Cosi Fan Tutte - Amour Moderne à l’Opéra de Massy
Après Les Noces de Figaro en 1786 et Don Giovanni en 1787, Cosi Fan Tutte est la dernière œuvre dans la collaboration entre Mozart et le librettiste Da Ponte. L’histoire proposée est assez osée pour l’époque : les auteurs remettent en question la fidélité, autant masculine que féminine.
Responsables de la mise en scène et des lumières, Frédéric Roels et ses assistants Nathalie Gendrot et Eric Lacourt, dirigent le spectateur vers une relecture de l’œuvre. Coupant certains passages de récitatifs afin de l’adapter au propos ou au décor, l’histoire est dès lors différente. En effet, les deux sœurs reconnaissent leurs fiancés, déguisés en "Turques" modernes après leur avoir annoncé qu’ils partaient en guerre, mais elles continuent de jouer le jeu. Poussées par l’ennui, elles sont amusées de se prendre à cette aventure amoureuse. Un grand jeu libertin dont tous les protagonistes sont complices commence et dévoile petit à petit les limites sentimentales de l'être humain. Une mise en scène osée, mais qui représente un Cosi Fan Tutte d’aujourd’hui où les femmes sont plus libres d’aimer. Mais s’agirait-il d’un amour superficiel ?
Cosi Fan Tutte de Mozart à Rouen (© JPouget)
Les décors de Bruno De Lavenère sont assez minimalistes au premier acte avec quelques canapés et un miroir. Puis, tombe des cintres un petit jardin, comme un paradis terrestre. Les costumes choisis par Lionel Lesire passent de tons ennuyeux à des styles comiques en passant par la séduction. Ceux de Ferrando et Guglielmo déguisés sont de couleur fluo (avec un petit air de racailles). Dorabella et Fiordiligi, montrent au fur et à mesure leur féminité à travers des robes moulantes puis des sous-vêtements risqués, l'ensemble recouvert également de fluo.
L’Orchestre de l'Opéra de Massy, dirigé par Dominique Rouits, respecte la partition mozartienne à l'exception de quelques coupures dans les récitatifs. Dans le rôle de la sensible et plaignante Fiordiligi, la soprano canadienne Sasha Djihanian est convaincante dans son jeu. Invitée par l’Opéra de Massy dans le cadre des rencontres internationales des "Jeunes Ambassadeurs Lyriques de Montréal", elle mène l’auditeur dans le fond de sa pensée. Le public est épris dans son air "Per Pietà Ben Mio Perdona". La voix est souple, ronde et chaleureusement projetée, bien qu'une faiblesse se ressente dans les aigus. La mezzo-soprano Violette Polchi marque une Dorabella joueuse et fine, se donnant plus volontiers au jeu sentimental. Peu à peu, la liberté l’envahit et s’empare de ce personnage un peu soumise à sa sœur au début. Claire, fluide et légère, la voix est assurée mais réservée lors de certains passages. Ferrando est chanté par le ténor Blagoj Nacoski. Malgré son expression timide, la voix est présente et claire. Le baryton Mathieu Gardon est un Guglielmo téméraire. Mal à l'aise dans la projection, il dispose pourtant d'une voix prometteuse. L’amusante et coquine servante Despina est interprétée par la soprano colorature Amélie Robins. À l’aise avec son personnage, elle n’hésite pas à être audacieuse autant dans son rôle de servante que dans ses rôles déguisés. Coupable de la mascarade, Don Alfonso est un personnage solennel jouant le jeu jusqu’au bout. La voix du baryton Simone Del Savio est profonde, remplie de couleurs et agréable à écouter. Enfin, les quelques apparitions du Chœur, ici la compagnie Chœur en Scène, sont très plaisantes. Ils se montrent professionnels sur scène mais aussi sur le côté, regardant l’opéra, comme des spectateurs.
Cosi Fan Tutte de Mozart à Rouen (© JPouget)
Cette version d'un chef-d’œuvre marque un changement d’époque et peut être considérée comme une éducation sentimentale de notre temps, les couples se cherchant, s'essayant et testant leurs limites.