La Création à La Seine Musicale : Haydn et son planétarium
Après l'inauguration réussie de La Seine Musicale, la création est encore au programme : La Création de Haydn, oratorio composé entre 1796 et 1798, remontant aux origines de l'Univers :
La mise en scène de la troupe catalane La Fura dels Baus met en avant la création vidéo, comme à son habitude. Avant le Big Bang, les mots projetés sont happés en spirale dans un trou noir. La musique dissonante de ce chaos éclate fortissimo sur Licht (lumière) avec une projection de spermatozoïdes en vidéo à travers la scène. Cette vidéo se prolonge également sur les tablettes tactiles des choristes : les flocons de neige envahissent les ipad brandis. Le lait qui tombe en manne céleste emplit les tablettes de blanc, avant qu'elles ne se vident lorsque les chanteurs font semblant d'y boire.
Les choristes d'accentus rendent le génie de cette musique harmonieuse comme l'univers par leurs voix équilibrées et sonores, tandis qu'ils se déplacent en rond, tenant des ballons d'hélium qui figurent le mouvement des planètes, le tout autour d'un interprète suspendu et costumé en soleil (une représentation héliocentrique qui aurait pourtant valu le bûcher à l'époque de Haydn).
Les solistes prennent ensuite le relais de cette illustration, tenant des boules lumineuses en opérant des révolutions, tels des professeurs de SVT les plus impliqués qui soient pour illustrer leurs cours. Pour la création de la mer, un homme en jogging noir et gilet de sauvetage orange se noie dans un aquarium. Tandis que les tablettes s'alignent pour former un delta de courant aquatique, le baryton le ressuscite par un massage cardiaque. Ce sera à son tour de plonger dans l'aquarium. Avec les pans de sa tenue crinoline, il ressemble aux méduses projetées en vidéo et suscite des rires lorsqu'il conclut son air en buvant la tasse, puis lorsqu'il cabriole en slip pour sortir de l'eau.
L'Insula orchestra, en résidence à La Seine Musicale est mené par la poigne ferme de Laurence Equilbey. Sa direction tendue, martiale, lance cette musique en une série de soubresauts. Crispés, les musiciens peinent à partir ensemble. Les cadences enchaînent de secs coups d'archets et de timbales, avant l'aigrefin des flûtes. Toutefois, la fosse trouve une pompe digne des échos divins lors des derniers jours de la semaine. À l'inverse, l'accompagnement instrumental des chanteurs durant les passages par pupitres et les récitatifs, charme par sa douceur.
Laurence Equilbey (© Julien Benhamou)
Daniel Schmutzhard interprète Adam et Raphael. La voix sied à son rôle de récitation biblique. Impliqué et intense à travers les airs et récitatifs, le chant est à peine tendu et métallique. Cette voix et l'acoustique de l'auditorium se valorisent mutuellement, déployant leur ample longueur. Ce baryton, Prince d'Arabie immaculé, a le même chapelier que la soprano Mari Eriksmoen (Eve et Gabriel). Mozart l'aurait adorée : avec ses grandes ailes blanches étoilées, elle est une fusion de la Reine de la nuit et de Papagena. La mise en scène lui demande d'agiter constamment ses grandes ailes, mais, la fatigue et la concentration vocale reprenant leurs droits, les mouvements s'atténuent en des bras ballants.
Sa voix unit les extrêmes, la terre et le ciel : une fondation chaude et fermée, presque sombre (sauf lorsqu'elle est soulevée dans les airs), sous des aigus et harmoniques voletant. Le ténor Martin Mitterrutzner, en Uriel, complète un trio admirable dans les ensembles finaux. Pourtant, sa voix serre dans les soli, dès le médium et le mezzo forte.
Haydn aura bien eu raison de composer un septième jour de repos élégiaque après ces émotions et La Seine Musicale aura bien fait de programmer cette production chargée et tendue un vendredi, veille de Sabbat, jour durant lequel Dieu et les spectateurs peuvent se reposer de La Création.