Achante et Céphise de Rameau : Pastorale héroïque pour un concert reprogrammé
Malgré l’annulation du concert prévu en mars de l’année dernière, le Centre de musique baroque de Versailles offre généreusement l’opportunité à Alexis Kossenko et à son ensemble Les Ambassadeurs de partager leur redécouverte de la pastorale héroïque Acanthe et Céphise. Cette œuvre de circonstance, donnée ici en version de concert, a été composée par Jean-Philippe Rameau (1683-1764) à l’occasion de la naissance en 1751 du Duc de Bourgogne, fils du Dauphin et petit-fils de Louis XV.
L’auditeur est d’abord frappé par l’étonnante ouverture qui, après quelques courtes et très douces mesures, surprend soudainement par des tirs de feux d’artifices et des jeux de chasse imités par les instruments (une fanfare qui pourrait presque faire entendre crier « Vive le Roi ! »). Ces figuralismes exigent des musiciens une grande et soudaine précision qui, si elle semble faire légèrement défaut dans les toutes premières fusées, réussit très rapidement à communiquer cette liesse aux allures spontanées et populaires.
Entrent alors en voix les deux amants : Acanthe, incarné par le ténor Cyrille Dubois, et Céphise, personnifiée par la soprano Sabine Devieilhe. Le premier captive aisément grâce à son interprétation toujours appliquée et une diction parfaite. Son dernier air de bravoure « Aigle naissant, lève les yeux » offre par-dessus tout le plaisir d’apprécier, outre son timbre constamment vaillant et brillant, sa maîtrise de souffle, lui permettant les plus belles vocalises, menées avec une grande finesse et une touchante expressivité. La douce Céphise n’est pas moins bien défendue, la tendre expressivité de la soprano étant encore valorisée par son timbre de voix puissant et agile, ainsi que par son engagement scénique à la fois retenu et intense. A la fin du premier acte, le spectateur ne peut être insensible à leur touchant duo « Sa fureur sera vaine si l’amour est pour nous » qui répond et contraste avec le vaillant « Qu’un ennemi jaloux fasse éclater sa haine » du chœur.
L’élégance du baryton David Witczak est non moins appréciable et néanmoins menaçante en génie Oroès grâce à sa voix bien assise et bien phrasée, tout comme le chant puissant, chaleureux et lumineux de la soprano Judith van Wanroij. Parmi les autres rôles ayant quelques occasions de se faire entendre, le ténor Artavazd Sargsyan offre un timbre riche et très agréable quoique vite tendue dans les aigus, le baryton-basse Arnaud Richard épanouit sa voix puissante. Parmi les rôles secondaires féminins, Jehanne Amzal est une Grande prêtresse de l’Amour au timbre lumineux et au phrasé convaincant dans sa simplicité, Anne-Sophie Petit, en Deuxième prêtresse, est superbement agile et dotée d’une voix fraîche, voire juvénile, et bien présente dans les graves, tandis que Floriane Hasler complète avec équilibre le trio des prêtresses.
Le travail d’ensemble des Chantres du CMBV est tout à fait patent, faisant preuve du début jusqu’à la fin de l’œuvre d’une très belle homogénéité, ce qui fonde toute la solennité des passages en chœur. Sous la direction vive, engagée et caressante d’Alexis Kossenko, les instrumentistes des Ambassadeurs font également preuve d’homogénéité et défendent agréablement la pâte orchestrale, colorée et intense, de l’œuvre de Rameau. C’est surtout dans les nombreux et incroyablement charmants numéros de danse que cette musique éclate dans toute sa finesse. Entre autres, avec les cors et les clarinettes, le timbre des musettes lors des menuets ou autres danses aux airs champêtres y ajoutent une couleur inattendue et exquise.
Le dénouement final apparaît subitement, sans crier gare mais tous s’exclamant « Triomphe, victoire ! Un Bourbon voit le jour ! » et les deux amants peuvent vivre leur amour sans les menaces du génie jaloux. Cette étonnante surprise du livret et cette bonne surprise d'un nouveau concert sauvé invite l’auditeur à se réjouir avec les artistes de cette belle opportunité de partager un de ces charmants trésors lyriques du XVIIIe siècle.