Don Giovanni, Chambre 666 avec vue sur le porc d'Athènes
La nouvelle production de John Fulljames rappelle que Don Giovanni est un dramma giocoso mais hésite dans sa note d'intention entre "humour" et "dark thriller", amour et mort, liberté et ordre. Ces thématiques effectivement puissantes dans l'œuvre sont ici mises en scène avec des alternances à la fois brusques et hésitantes, à l'image de ce plateau passant de la chambre 666 d'un d'hôtel (où les portes d'ascenseurs s'ouvrent tels les placards du théâtre de boulevard) à une chambre froide aux carcasses de porcs suspendues et tranchées dans le sens de la longueur (un thème décidément répandu de nos jours). Le cadavre glacé du Commandeur est d'ailleurs parmi ces carcasses (mais supprimant de fait l'éventuel rapport entre Don Giovanni et les porcs), il est comme pendu à un croc quoiqu'il s'agisse en fait d'un mousqueton bien visible, et il bouge en même temps qu'il chante, dans un effet morbide. "La scène est bien étrange" s'étonne Don Giovanni dans le livret, certes. Les lumières aussi opposent les univers, passant de la clarté à l'obscurité (alternant littéralement sur les séquences sensuelles et dramatiques), tout comme le jeu d'acteurs parfois très sommaire (les interprètes courant à plusieurs reprises pour aller s'immobiliser à un endroit, regardant régulièrement le chef du coin de l'œil).
Les décors (Dick Bird) et les costumes (Annemarie Woods) entièrement créés dans les atelier de l'Opéra National de Grèce sont d'une élégance moderne. Les portes des couloirs et suites d'hôtel coulissent aussi impeccablement que la coupe des costumes modernes. Toutefois, les costumes de bal, robes très vertes cintrées aux genoux ne mettent pas en valeur les femmes (et encore moins les hommes, Don Giovanni s'en sortant bien en gardant son costume et revêtant seulement un masque en cuir aux oreilles de lapin). Les perruques aussi sont très mal choisies et mal ajustées (même si, et justement alors qu'elles servent au maître et au valet à échanger de rôles).
Le choix d'une distribution vocale grecque permet de privilégier ainsi des artistes nationaux mais rend surtout le spectacle tout simplement possible en ces périodes de restriction-interdiction des voyages internationaux (la captation a été réalisée en décembre dernier). La distribution est évidemment dominée par le rôle-titre Tassis Christoyannis, bien connu de la France et qui offre à l'italien sa même noblesse dans la ligne du chant et la prosodie. Le baryton conserve cette noblesse dans son jeu (même quand il chante avec un micro de karaoké ou joue d'un croc de boucher), rappelant la haute lignée du personnage et rendant convaincante la séduction de ce gentleman mais restant donc en-dehors des facettes violentes et cruelles de ce drame et encore davantage de la mise en scène.
Tassos Apostolou chante Leporello (Tassis et Tassos sont donc réunis dans ce bateau), arrondissant son timbre et son caractère pour offrir à Don Giovanni un valet serviable, plutôt secondant que victime (et goûtant d'ailleurs une partie de ses plaisirs). Cela en diminue un peu le caractère (et tend vers un vrombissement vocal amoindrissant l'articulation) mais renforce le lien avec le noble anti-héros et contribue à caractériser la noirceur de cette production.
Donna Anna (Vassiliki Karayanni) prend du temps pour stabiliser sa voix, mais puise des fureurs vocales dans la soif de vengeance de son personnage, et déploie ainsi progressivement un volume lyrique. Don Ottavio, à l'inverse (mais de fait en complémentarité avec sa fiancée Donna Anna) adoucit de tendres aigus après avoir quelque peu tendu sa voix et son corps engoncés. Toutefois, les deux interprètes repartent en grandes tensions vocales après l'entracte, perdent la justesse et une grande partie de leur voix. La voix d'Anna Stylianaki (Donna Elvira) bouge et se distend jusqu'à perdre ses appuis, sauf lorsqu'elle remonte vers des aigus aiguisés.
Chrissa Maliamani propose une Zerlina piquante, qui se prend pleinement au jeu de la séduction mais qui surjoue elle aussi des emportement soudains, élans du corps de la voix. La ligne de chant manque donc d'homogénéité (les mêmes voyelles et les mêmes notes ne se ressemblent pas). Elle conserve toutefois un équilibre entre l'agilité colorée du médium-aigu et une assise vocale forgée en souffle. Son Masetto Nikos Kotenidis affirme avec sérieux son entrain amoureux puis sa désillusion, la voix étant placée comme le caractère.
Le Commandeur Petros Magoulas est agité au début de l'opéra puis à l'inverse immobile à la fin, lorsqu'il revient en fantôme et pose d'autant mieux sa ligne de chant.
La vidéo de la captation connaît quelques soucis techniques dans la balance des blancs et certains ralentissements, l'Orchestre également. La direction musicale de Daniel Smith est sinon mesurée, dans ses tempi, ses fougues comme ses équilibres. Le Chœur se fait lui aussi le discret soutient des solistes.
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