Fougue et passion : Vivaldi, Sandrine Piau et Le Concert de la Loge au Louvre
En introduction au concert de ce midi, Julien Chauvin ne peut cacher sa frustration de jouer devant l’Auditorium du Louvre vide et de ne pas pouvoir ressentir la présence vibrante des spectateurs, qui sont aujourd’hui téléspectateurs devant le compte vidéo du musée. Salle vide ? Non, pas tout à fait : une armée de régisseurs, de techniciens et de producteurs agissent dans l’ombre pour permettre cette retransmission. Julien Chauvin leur dédie ce concert qui met à l’honneur Antonio Vivaldi et ses deux passions : le théâtre et le violon : deux mondes qui se rencontrent sur cette scène de l’Auditorium du Louvre pour un moment précieux de partage.
Dès son discours terminé, le chef violoniste entraîne soudainement son orchestre du Concert de la Loge et l’auditeur dans une alerte et énergique Ouverture de L'Olimpiade. Tous les musiciens suivent attentivement la direction musicale pleine de contrastes et forment un ensemble très vivant, autant musicalement que visuellement. Chaque concerto interprété lors de ce concert attire l’attention de l’auditeur qui ne s’ennuie jamais, l’oreille étant constamment sollicitée pour quelques nouveautés mélodiques, rythmiques ou de dynamiques. Dans le Concerto pour violon en ré majeur, la précision et la clarté de jeu ne souffrent absolument pas de l’énergie des musiciens debout. L'équilibre sonore paraît très juste, aussi grâce à la prise de son des équipes de Radio France. De quoi apprécier le grain et la présence des cordes graves, et savourer notamment la ligne mélodique lors du mouvement lent de la Sinfonia en sol mineur. C’est également lors du premier mouvement de cette œuvre que les pupitres de violon 1 et de violon 2 partagent leur plaisir de se répondre, avec même une certaine malice sur ce rythme qui donne envie de swinguer.
La soprano Sandrine Piau incarne la passion de Vivaldi pour la scène et le théâtre avec expressivité et superbe. Dès son premier air « Della rubella » extrait de L'Atenaide, le spectateur peut admirer l’expressivité faciale de la chanteuse et y voir l’impressionnante maîtrise vocale, sur toute l’étendue de sa tessiture, lors d’ornements aussi aisés que ciselés. Grâce à l’accompagnement, aux pizzicati figuratifs et tout à fait délicieux dans l’air « Zeffiretti che sussurrate » extrait de Ercole sul Termodonte, le timbre de la soprano offre des graves ronds, des médiums naturellement moelleux et des aigus brillants en paillettes. Elle offre en bis captivant et touchant l’air « Sono se pur sei » extrait de Tito Manlio.
C’est le chef et violoniste Julien Chauvin qui incarne, naturellement, la passion de Vivaldi pour le violon avec une agilité et une aisance constantes. Si la maîtrise d’archet de l’instrumentiste impressionne ou si ses doigts se posent avec facilité et assurance sur le manche de son instrument pour des bariolages vertigineux, toute cette fougue virtuose et exubérante n’est pas gratuite : elle est au service de cette musique extravagante dont le but n’est pas tant d’impressionner que de partager le plaisir de la virtuosité. Julien Chauvin sait aussi se montrer sensible, notamment lors de la mélodie au lyrisme tout à fait vocal sur le Largo du Concerto en si mineur RV 387. Ce n’est même pas un hasard si Vivaldi reprend ce mouvement, presque tel quel, pour le donner à son personnage Anastasio, dans Giustino, l'air fameux, « Vedrò con mio diletto ».
Cet air offre une synthèse des passions de Vivaldi et de ces interprètes partageant leur fougueuse passion avec un public, peut-être absent mais assurément conquis.