Gala anniversaire pour Donizetti dans son Festival en ligne
"GaetAMO Bergamo"
Tel est le nom de ce concert jouant sur le prénom de Donizetti : Gaetano, avec M plutôt que N, pour former Amo (j'aime) en ce jour de son anniversaire (le maître musical est né à Bergame le 29 novembre 1797).
Ce concert de gala invite le spectateur à parcourir la richesse du répertoire et des styles du maître avec une série de morceaux enregistrés, mais présentés par Cristina Parodi et Francesco Micheli. La présentatrice télévisée de la Rai et le metteur en scène (qui signait une Lucia di Lammermoor pleine d’esprit-s à Bordeaux) présentent et reviennent sur les airs, installés depuis les loges du théâtre dans un dialogue vivant et didactique, comme une version très rajeunie et bienveillante du Muppet Show.
Le théâtre vide et restauré a enlevé les sièges du parterre pour y poser un pré de gazon où les artistes s'expriment tout en restant distancié (élément parmi d'autres ayant également servi de scénographies aux opéras captés durant cette édition). D'autres éléments de décor sont également apportés pour certains morceaux, le tout voulant composer un grand opéra (imaginaire) en quatre actes.
La première partie, intitulée "Gaetano e l’epidemia" rappelle que Donizetti vivait lui aussi dans un monde frappé par les épidémies et notamment le choléra. Les présentateurs de la soirée lisent d'ailleurs des recommandations farfelues de l'époque pour guérir le choléra : remèdes aussi crédible que la recette de L'Elixir d'amour, dont le baryton Omar Montanari -en Docteur Dulcama- vante d'ailleurs les mérites (“Udite, udite, o rustici”) d'une voix amplement sourde et pincée, perché sur une voiturette de golf (qui tourne en rond sur la pelouse du parterre).
Juste avant lui, dans un tout autre registre mais très complémentaire, le personnage d'Edgardo chante pour Lucia di Lammermoor la Tombe de ses aïeux (“Tombe degli avi miei”) : Celso Albelo, ténor bel cantiste y expose et (en) impose sa voix très nasale (mais de fait très placée, notamment dans le masque, sachant que les artistes testés sont dispensés d'en porter un hormis dans le grand finale où ils restent toutefois distanciés). La voix est très puissante, au point de faire sauter les niveaux de la captation audio à plusieurs reprises durant son intervention. Le baryton et le ténor partagent (avec tous les autres solistes lyriques de la soirée) une maîtrise de l'italien rythmé, des intentions et une énergie déployées dans la retape comme dans l'émotion : en somme une conscience de la tragi-comédie Donizetti.
Le deuxième acte, "Gaetano e le donne", offre différentes visions de la femme d'opéra, mais chacune sait aussi emprunter aux autres caractères (dramatique ou léger, toujours lyrique) par la richesse de la prestation vocale. Anna Bolena est incarnée par la soprano Francesca Dotto qui chante “Al dolce guidami”. La ligne est ample et riche, dans les graves appuyés, le médium chaud et des aigus déployés avec maîtrise, le tout vibré et tenu (quoiqu'un peu moins dans les vocalises qui sont toutefois d'une grande délicatesse lorsqu'elles ralentissent). “O mio Fernando”, qui est pour beaucoup de mélomanes leur aria favorite de La Favorite est offerte en un grand élan dramatique par la mezzo-soprano Annalisa Stroppa. Déployant un lyrisme intense, des appuis vocaux marqués, sa voix est un peu plus largement convoquée que nourrie dans la hauteur et la longueur, mais l'incarnation est très investie par le texte (une qualité universellement partagée ce soir par tous les interprètes, très soucieux de respecter la parole du génie dans sa propre maison).
Pour l'Acte III, "Gaetano e il riso" : le rire commence par une larme, furtive (la plus célèbre du catalogue lyrique et le plus fameux air de Donizetti), rappelant que cet opus giocoso est surtout connu pour un air de tristesse. Le ténor Dave Monaco y propose une prestation complète, unissant ses qualités de couleur et de souffle, appui et finesse jusqu'en une grande vocalise à travers l'ambitus. La soirée continue avec le même opus mais deux autres interprètes, dans le duo “Ai perigli della guerra” : le ténor Giorgio Misseri pincé et généreusement candide dans son interprétation, de même que le baryton Christian Federici à la fois appuyé et bondissant vocalement (tout en tenant un masque de science-fiction à la Lovecraft qu'il tend sans autre forme d'explication à Nemorino, comme pour l'inviter à une guerre des étoiles).
Le troisième extrait, au lien tout aussi difficile à élucider avec la thématique du rire, est “Bella siccome un angelo” certes de l'opera buffa Don Pasquale et parlant d'un regard rieur mais qui est une romance amoureuse, a fortiori dans l'interprétation passionnée déployée par le baryton lyrique Bogdan Baciu. Le rire viendrait alors plutôt de l'immense pièce montée devant laquelle il chante, puis qu'il embrasse (rappelant combien elle est en carton-pâte).
Toujours de Don Pasquale “Cheti, cheti, immantinente” offre la complicité de jeux et de voix dans un grand crescendo tragicomique et sonore entre deux voix gravement Donizettienne : Michele Pertusi, plongeant dans les profondeurs de la basse et Fabio Capitanucci, s'appuyant sur un bariton nourri et également agile.
Le quatrième acte de ce gala semble encore plus générique (Gaetano e l’Italia) d'autant qu'il est expliqué par les liens familiaux très importants pour les transalpins. Le baryton Roberto Frontali chante ainsi le Duc de Nottingham (“Forse in quel cor sensible” dans Roberto Devereux) avec toute l'intensité et la lyrique tristesse du mari inquiet pour son épouse. Dans un choix qui aurait bien mieux convenu au troisième acte, le “Lamento in morte di Bellini” est l'occasion d'interpréter cet hommage d'un maître du bel canto à l'autre. Les pleurs se font vibrants et vibrés dans l'ample voix de la soprano Manuela Custer, jouant avec grandiloquence gestuelle dans le théâtre vide et sombre.
Le thème italien s'affirme alors avec le dernier morceau grâce au dialecte. En effet Donizetti quoiqu'originaire du Nord de l'Italie fit sa légende à Naples (avant Paris), et comme le rappellent les présentateurs, il écrivit -en parallèle de ses opéras- l'essentiel de ses chansons en napolitain : “Me voglio fa' na casa” est alors interprété par la mezzo-soprano Gaia Petrone avec de lyriques tralalalala devant des cygnes en ballons (eux aussi recyclés d'une autre production de cette année).
Le programme montre ainsi la grande richesse du catalogue de Donizetti et des talents vocaux accueillis dans son festival pour l'enchanter dans des opéras très fameux ou tout aussi méconnus, et même dans le registre de la musique de chambre. Le violoniste Stefano Montanari et la pianiste Daniela Pellegrino ouvrent ainsi la soirée avec une sonate. Par la suite, est également entonnée une mélodie (“La conocchia”, la quenouille) extraite des Nuits d’été à Pausilippe (recueil d'ariettes, romances, nocturnes et duettinos) où la soprano Carmela Remigio déploie également le lyrisme de ses appuis et élans, articulation et appui sonore crescendo, d'une voix piquante et large devant un élément de décor entre le bouclier d'or à moitié enterré et la roue sertie.
Les chanteurs sont accompagnés tout au long du gala par Daniela Pellegrino et par Ugo Mahieux, les deux interprètes suivant et guidant les solistes vocaux comme des chefs de chants, la pianiste avec une souple articulation, le pianiste avec grande précision.
La soirée se conclut comme il sied pour un Gala par un Brindisi mais de fait pas celui habituel de Verdi : “Mesci, mesci” d'Il campanello réunit tous les artistes de cette soirée et de ce Festival 100% Donizetti dans un nouveau sommet de lyrisme, mené par l'éloquente et ample basse de Simon Lim sous la baguette de Riccardo Frizza (maestro qui nous rappelait tous ses liens avec Donizetti).
De quoi fêter un Joyeux Anniversaire à Donizetti en parcourant la riche diversité de son œuvre et de ses interprètes, à l'image de ce Festival en web-tv qui propose pour 2020 les opéras Marino Faliero et Le nozze in villa mis en scène, ainsi qu'une version concert de Belisario (vidéo à la demande pour 20 € l'unité ou via un abonnement donnant accès intégral) et pour chacune de ces œuvres, de très intéressants reportages (making-of avec interview) entre 2h45 et 3h50, ainsi qu'une visite virtuelle.