Cyrille Dubois chante La Nuit de Mai
« Alfred Bruneau méritait mieux que l’oubli » justifie Vincent Figuri. Ami intime d’Emile Zola, Alfred Bruneau créa avec lui de nombreux opéras qui connurent leurs heures de gloire à l’Opéra Comique et à l’Opéra de Paris, comme le plus célèbre d’entre eux L’Attaque du moulin (1893). Mais il a aussi composé huit cycles ou cahiers de mélodies ainsi qu’une trentaine d’autres isolées et un mélodrame La Nuit de Mai (1886) pour harpe, quatuor à cordes et récitant sur le célèbre texte d’Alfred de Musset.
Toutes les œuvres de ce disque sont exécutées en 1ères mondiales exceptée une mélodie sur un poème de Jean Richepin (Soirée). Le 1er CD est consacré à 2 cycles de mélodies : Chants antiques (1927, poèmes d’André Chénier) et En plein air (1932, poèmes de Théophile Gautier) complété avec 2 mélodies Un Miracle et Soirée (poèmes de Jean Richepin).
Comédien de formation, Vincent Figuri accorde une égale importance au texte et à la musique et souhaita un chanteur partageant la même conception. La collaboration s'établit avec le jeune ténor français Cyrille Dubois, chanteur cherchant toujours à remettre au jour des compositeurs moins en vogue (comme en témoigne son intérêt pour la mélodie française avec le dernier album en date consacré aux sœurs Boulanger). Accompagné par Jeff Cohen qui fut son professeur au Conservatoire National de Paris, tout aussi érudit pour ce type de répertoire, il parle d’une démarche qui l’anime à chaque instant.
L'argument rend sensible, la découverte de ces mélodies est présentée par un rendu enthousiaste, l’occasion d’entendre la singularité de Bruneau. Tout d’abord dans le choix des poètes, André Chénier restant un auteur rarement mis en musique. Le choix des thèmes avec l'évocation d’une antiquité fantasmée dans un style délicat et un peu désuet, non sans rappeler les Chansons de Bilitis (1896, Claude Debussy / Pierre Louys). Mais aussi par la liberté de ton et de prosodie : l’accompagnement aux procédés simples mais efficaces (successions d’arpèges, accords alternés, simples lignes mélodiques ou égrènement de croches, excluant la virtuosité) laisse toute la place au déploiement de la ligne vocale qui porte le texte vers et par un réel souci de compréhension. Cet aspect mélodique est indissociable de Cyrille Dubois : sa voix délicate, aux aigus clairs, au timbre coloré se met au service de la finesse poétique des textes, sans tomber dans la mièvrerie. La ligne mélodique est fluide, le son lumineux est éthéré, sans vibrato excessif ni emphase. Chaque mot, chaque phrase sont pensés à la fois dans leur unité et leur globalité.
Avec le pianiste Jeff Cohen, ils construisent des couleurs, des paysages sonores, des instantanés. Ainsi le frémissement d’un amour naissant ou caché (l’amante retrouvée), les affres d’un amour trahi (la lampe), l’extase amoureuse fantasmée (à Chromis), l’évocation de la nature teintée d’un érotisme filigrané (la rose-thé), le souvenir d’un amour défunt (le banc de pierre), les incertitudes du voyage (Les matelots, la Caravane), l’éphémère de notre vie terrestre (la Source).
Intelligence, sincérité, rendent à chaque poème leur éclairage pour le valoriser, avec respect tout en gardant un élan et une fraîcheur spontanés. Cette renaissance permet ainsi une meilleure connaissance de la mélodie française du XXème siècle.
Le 2ème CD propose le mélodrame La Nuit de mai (1886) sur le poème éponyme de Musset dans sa formation originale pour harpe, quatuor à cordes et déclamation. Après avoir exhumé ce manuscrit inédit de la Bibliothèque Nationale de France et en avoir assuré la création en 2005 à Radio France avec le Quatuor Voce, Vincent Figuri souhaitait enregistrer cette œuvre attachante pour sa formation initiale.
Le style très français n’est pas sans rappeler quelques réminiscences du langage de Duparc, Chausson ou Franck. Vincent Figuri a révisé, équilibré le discours poétique avec la musique et comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, il en assure la partie récitante. Le ton et le style sont adéquats : compréhension, articulation, investissement. Reste cependant à regretter une prise de son un peu déséquilibrée, la voix prenant par moment trop le dessus sur les instruments.
Se succèdent ensuite quelques pièces de musique de chambre pour divers instruments (violoncelle, cor, alto, quatuor de clarinettes) le tout interprété par les quatuors à cordes Varèse et à bois Anches enchantés, Marie Normant à la harpe et Jens McManama au cor.
L’album se termine par un dernier inédit : la réduction pour piano du prélude de la comédie lyrique L’Enfant roi (1905).