Yannick Jadot : "Un milliard d’euros supplémentaire par an sera affecté au budget du Ministère de la Culture"
Quel est votre rapport personnel au spectacle vivant en général et en particulier à la musique et à l’opéra ?
J'aime l'idée que le spectacle vivant trouve sa place autant dans de prestigieuses salles que dans des espaces de pratiques amateurs. C'est cette diversité qui fait la richesse de la création française et notamment du spectacle vivant. D'où l'importance de soutenir les pratiques artistiques en amateur. Je n’oppose pas culture populaire et institutionnelle, elles se complètent, dans la musique et l'opéra aussi. Un exemple : à Bordeaux, ville écologiste, la ville fait évoluer son opéra, l’un des plus beaux services publics qui soit, avec en parallèle un projet d'opéra citoyen. Cela signifie des ateliers, une plus grande participation du public, une ouverture vers de nouveaux publics. L’opéra partout et pour toutes et tous.
Quel bilan tirez-vous des décisions qui ont été prises pour la culture ces cinq dernières années, en particulier la gestion du Covid et la mise en place du Pass Culture ?
Être privés des lieux où la culture se partage, où l’art s’exprime, a révélé un manque évident. Ces lieux, dans toute leur diversité, ont été fermés trop longtemps en
comparaison d’autres lieux dédiés au commerce. Il aurait fallu les rouvrir plus tôt, car en matière d’organisation et de suivi des protocoles, nous pouvions faire entièrement confiance aux professionnels de la culture. Économiquement, la crise et les trop longues périodes de fermeture les ont affaiblis, toutes structures confondues. Cela a également engendré un éloignement du public. Le gouvernement a déployé des moyens importants pour la culture dans le contexte de la pandémie, mais il n’a pris aucune mesure d’envergure pour le maintien du lien avec le public. Les collectivités ont apporté un soutien financier indispensable aux acteurs culturels en se faisant le relais de l’Etat, mais toutes les structures, et notamment les théâtres privés, n’ont pas pu bénéficier des aides du ministère. Il faudrait renforcer le soutien aux petites et moyennes structures, aux lieux culturels où les Français peuvent exprimer leurs pratiques artistiques et exercer leurs droits culturels. Il nous semble urgent et essentiel d’être attentifs à un rééquilibrage de l’action de l’Etat entre l’Ile-de-France et les autres régions, et d’avoir une attention particulière aux lieux moins institutionnels, ceux qui permettent de se rencontrer et de partager la culture.
Malgré les moyens financiers importants déployés, la seule mesure nouvelle d’Emmanuel Macron restera le pass culture, c'est-à-dire la distribution d’un chèque de 300 euros aux jeunes de 18 ans. Une mesure purement consumériste, bénéficiant surtout à des produits commerciaux (pour 50%, c'est une subvention à l'achat de mangas et aux blockbusters), loin de l'idée qu’on peut se faire d’un service public de la culture. Ce pass apporte certes un certain nombre d’informations et un crédit aux jeunes, mais il ne peut pas être l’unique porte d’entrée vers un parcours d’éducation artistique et culturel. La nécessité de toucher tous les jeunes dans leur diversité et d'ouvrir leur regard vers la culture reste entière.
Quel est votre projet pour la culture ? Quels seront vos objectifs et avec quels moyens entendez-vous les atteindre ?
Nous avons besoin d’un secteur culturel fort et actif pour réparer les liens qui se sont distendus.”
Nous avons collectivement besoin d’un secteur culturel fort et actif pour réparer les liens qui se sont distendus. Nous avons besoin de création et d’imaginaires pour comprendre la complexité des crises qui viennent et préparer le monde de demain. A cet égard, la culture est un des piliers de la République écologique que nous appelons de nos vœux. Un milliard d’euros supplémentaire par an sera affecté au budget du Ministère de la Culture [sollicitée par nos soins l'équipe du candidat n'a pas encore précisé la manière dont cette mesure serait financée, ndlr]. Nous sanctuariserons le soutien à la création et aux artistes, en augmentant la part dédiée à la création à hauteur de 25% du budget global. Nous franchirons une nouvelle étape de la décentralisation culturelle en mettant des moyens supplémentaires à destination des territoires, tout en favorisant la co-construction des politiques publiques entre l’Etat, les collectivités territoriales et les acteurs culturels, dont les acteurs associatifs. Ces nouveaux moyens permettront aussi de financer la mise en place de l'éga-conditionnalité [fait de rendre les aides publiques conditionnelles à la politique de lutte contre les inégalités, ndlr] dans les aides publiques et les établissements qui dépendent du Ministère de la Culture, l'aide à la transition écologique du secteur, ainsi que le soutien aux pratiques en amateur et aux artistes-auteurs.
Que contiendra la lettre de mission que vous adresserez à votre Ministre de la Culture ?
La France dispose d’un inestimable patrimoine et d’une production culturelle exceptionnelle. Elle représente 50 milliards d’euros soit 2,3% de l’économie française, 700.000 emplois : c’est considérable. Le territoire est maillé par les institutions mais aujourd’hui, ces dernières ne sont pas suffisamment soutenues, et surtout il n’y a plus aucune direction claire. Nous vivons une crise profonde du modèle culturel français. Je veux à la fois renforcer le soutien au secteur culturel et aborder une nouvelle étape de la décentralisation. Je veux bien sûr soutenir les artistes, mais aussi de nouveaux lieux, de nouveaux publics. Je défendrai les cultures et les langues au pluriel. Qu’elles soient régionales, qu’elles soient issues de nos métissages. La mixité et la cohésion sociale, la promotion de la diversité des esthétiques et la multiculturalité seront de grands axes de ma politique culturelle. Je lancerai un grand plan pour les pratiques artistiques amateurs. Aujourd’hui, peu de soutien est donné aux 16 millions de citoyens qui ont une pratique artistique en amateur régulière et peu de lieux leur sont dédiés. La feuille de route politique du Ministère fera de l’éducation artistique et culturelle et de la mise en œuvre des droits culturels des priorités car ce sont des ferments de la République écologique. Cette politique culturelle accordera une place importante à la participation et à la co-construction avec les habitants en matière de culture. Enfin la diversité culturelle, c’est aussi la diversité des acteurs économiques de la culture. J’agirai contre les phénomènes de concentration économique à l’œuvre, notamment dans les musiques actuelles, afin de garantir la pluralité des acteurs et des esthétiques.
France Télévisions a exclu ces dernières années le spectacle vivant de ses grandes chaines (les diffusions étant en seconde partie de soirée sur France 5) : qu’en pensez-vous ? Comment envisagez-vous de rendre ces arts accessibles au plus grand nombre ?
Les missions de service public audiovisuel doivent nécessairement intégrer plus de programmes dédiés à la culture et ce à des heures de grande écoute. La demande est là et de nombreux Français apprécient que leur soient proposés du spectacle vivant, des concerts, de l’émotion. En accord avec les grandes chaînes publiques et le CSA, nous travaillerons à une programmation ambitieuse et de qualité aux heures de grande écoute. Il s’agit d’une mission essentielle du service public à retravailler.
Comment comptez-vous faire évoluer le budget de la culture ?
25% du budget du Ministère de la Culture sera consacré à la création”
Comme je l'ai indiqué, nous augmenterons le budget de la culture d'un milliard d'euros, et 25% du budget du Ministère sera consacré à la création. L’augmentation du budget de la culture permettra entre autres objectifs d’aborder une nouvelle étape de la décentralisation et ainsi de rééquilibrer l’action de l’Etat entre l’Ile-de-France et les autres régions, mais aussi entre culture populaire et institutionnelle. Il ne s’agit pas d’opposer mais de réconcilier, je ne veux pas faire moins mais plus.
Prévoyez-vous en particulier des actions pour le spectacle vivant, la musique classique et l’opéra ?
Le plan national des pratiques culturelles et artistiques que je prévois permettra de soutenir la création et les pratiques culturelles dans les territoires. Nous privilégierons la valorisation des pratiques en amateur qui incluent aussi bien les initiatives de l’éducation populaire que du secteur associatif, partout et pour toutes et tous. Nous soutiendrons les lieux de culture indépendants qui ont pour point commun d’être tous nés d’initiatives d’artistes ou d’habitants. Le spectacle vivant et la musique sont présents dans ces lieux où s’inventent de nouveaux modèles économiques et de création. Les maisons d’opéras seront accompagnées pour mener à bien leur transition écologique. Nous multiplierons les initiatives de formation. Nous renforcerons la mise en œuvre d’une rénovation énergétique des équipements et bâtiments culturels. La scène lyrique et symphonique française est particulièrement riche et la jeune génération très prometteuse, mais l’opéra doit nécessairement se renouveler et s’ouvrir au plus grand nombre. Nous soutiendrons les maisons d’opéra qui s’engageront dans le renouvellement et la diversification des publics.
Envisagez-vous de renforcer les liens entre l’éducation nationale et la culture ?
J’ai découvert avec stupeur qu’Emmanuel Macron réfléchissait à fusionner l’Education nationale avec le Ministère de l’Enseignement supérieur et celui de la Culture. Quel terrible signal. La culture depuis de trop nombreuses années manque d’un Ministère à la hauteur, stable, inspiré, visionnaire. Cependant, l'éducation et les pratiques artistiques doivent être mieux articulées. Les pratiques culturelles proposées sur le temps scolaire et celles sur le hors temps restent très inégalitaires. Les temps périscolaires pourraient être mieux investis par l’apprentissage des arts et de la pratique artistique. Par ailleurs, une classe dont les élèves vont seulement aller une fois au théâtre dans l’année, cela ne suffit pas.
Les nominations aux postes de direction des opéras sont pour la plupart décidées ou validées par le Ministère de la Culture, voire par le Président lui-même : quels seront vos critères de choix ?
Aujourd’hui ce sont les différentes tutelles qui cofinancent les maisons d’opéra, qui choisissent les candidats et exposent leurs projets à ces postes de direction. Le choix est ensuite soumis à l’avis du ou de la Ministre de la Culture pour validation. Cette façon de faire est viable, il est légitime que les financeurs et gestionnaires des maisons soient à la manœuvre. En revanche, il est nécessaire que des femmes soient nommées à ces postes ainsi qu’aux directions musicales des maisons d’opéra et d’orchestres. Nous agirons en ce sens avec les collectivités.
Quelle est votre vision des conséquences de la crise Ukrainienne actuelle sur le monde de la musique classique, et en particulier de l’éviction d’artistes russes ?
La guerre en Ukraine est une tragédie qui concerne aussi le monde de la culture. Les orchestres et ensembles musicaux sont aujourd’hui très internationaux, il s’agit de familles dont bien évidemment font partie Ukrainiens et Russes. C’est un déchirement : personne ne doit être ostracisé en raison de sa nationalité, mais ceux qui soutiennent explicitement la politique meurtrière de Poutine s'excluent d'eux-mêmes de la famille de la musique. La communauté des artistes proteste et agit au quotidien pour dénoncer ces crimes de guerre, les nombreuses actions de solidarité qu’ils organisent nous prouvent s’il le fallait que celles et ceux qui font la culture sont les gardiens et les acteurs les plus vaillants de nos valeurs démocratiques.
Note de la rédaction : conformément à la charte éditoriale d'Ôlyrix, les écritures dites inclusives ont été retirées du texte transmis par le candidat.
Retrouvez ici notre article présentant cette série d'articles et ci-dessous les réponses des autres candidats :
- Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) - "Une véritable politique culturelle devrait commencer dès l’école"
- Anne Hidalgo (Parti socialiste) - "Sanctuariser les ressources de la culture"
- Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) - "Porter le budget consacré aux arts et à la culture à 1% du PIB"
- Eric Zemmour (Reconquête !) - "Diffuser des programmes à caractère culturel à la télévision"
- Yannick Jadot (Europe Ecologie Les Verts) - "Un milliard d’euros supplémentaire par an sera affecté au budget du Ministère de la Culture"