Festival de Saint-Denis : trois concerts bonus improvisés
Les sièges de la Basilique de Saint-Denis allant par groupes de 5 chaises indissociables (formant des petits rangs unis par une barre transversale de bois), l'organisation a disposé deux de ses fameux coussins bleus à chaque bout de ces groupes, condamnant le siège central avec une affichette. Cette organisation impeccable en terme de symétrie permet d'installer impeccablement tous les couples d'une manière aussi simple que respectueuses des règles sanitaires... à ce détail près que des places individuelles ont aussi été offertes, prenant le risque qu'un seul spectateur mobilise ainsi les 3/5 d'un rang ou bien qu'il se trouve sans distanciation près d'une personne qu'il ne connait pas : ce fut notre cas.
L'armée de bénévoles aussi dévoués que consciencieux dans le placement des spectateurs improvise alors un conciliabule/comité stratégique, vérifiant tout d'abord que les places émises correspondent en effet aux sièges mitoyens. C'est malheureusement bien le cas mais qu'à cela ne tienne, un coussin bleu est décalé d'un siège et le problème est résolu... jusqu'à ce qu'un couple vienne s'installer à leurs légitimes places du même rang. Il faut donc le signaler à nouveau, aucune solution n'est immédiatement disponible dans cette nef qui se remplit progressivement aux presque 4/5. Qu'à cela ne tienne, en s'asseyant à cheval entre deux sièges, comme nous sommes invités à patienter, un demi-espacement est respecté en attendant une intervention des sphères supérieures : les hommes en noir. En effet, lorsque les bénévoles ne peuvent plus agir, ils peuvent alors appeler à la rescousse les hommes en costumes qui armés de talkie-walkie et oreillettes fondent sur le problème pour demander d'attendre, encore un peu. Finalement, juste avant le début du concert la situation se débloque, un groupe de 3 est repéré non loin, le trio de spectateurs étant venus ensemble, ils peuvent être rassemblés côte à côte et laisser ainsi une place en bout de rang. Solution miraculeuse !... qui tient environ 20 secondes, le temps pour la quatrième personne du groupe d'arriver à son tour, complétant le rang en même temps que le supplice. Nous nous exfiltrons donc au moment où entrent les artistes, sous le regard attristé des hommes en noir et le désespoir des bénévoles qui auront tant fait pour chercher une solution inexistante. Inexistante ou presque, puisque nous trouvons une place isolée, près de la porte avec une magnifique vue sur une colonne. Mais le plaisir d'admirer ce pilier soutenant la Basilique des rois, se double par celui de voir le concert par écran vidéo (des relais d'image étant disposés pour les places aveugles). Et le son s'apprécie aussi puisque le concert est fortement amplifié.
Angélique Kidjo anime un tour du monde musical à travers les pays et les genres les plus divers et variés. Un tour du monde mais pas un tour de chant, l'artiste n'est pas en voix mais elle est assurément en verve. Angélique Kodjo se fait conteuse pendant mais surtout entre les morceaux, captivant le public de bout en bout par ses apartés cocasses, ses devinettes et surtout une énergie mise au service de la dignité des peuples et du pouvoir des femmes.
Vocalement, la justesse est constamment approximative et changeante, en particulier dans le médium et surtout le grave,. Cela est dû à un manque de maîtrise dans le souffle et les hauteurs de notes, et non pas à un choix stylistique (pour preuve, les "blue notes" qu'elle touche sont faites pour frotter délicieusement sur les accords, ici elles glissent et toutes les autres notes frottent ainsi).
Omniprésente sur scène car captant l'attention par son investissement, l'interprète choisit un répertoire océanique, mélangeant toutes les langues et tous les styles en une interprétation uniforme : de Toulouse vers Afrika en passant par Syracuse, des hommages à Cesaria Evora, Barbara, Manu Dibango, Alain Souchon, etc. Le chant est pourtant toujours le même, rendant d'autant plus impressionnant l'investissement scénique que les phrases sont syllabiques, tous les rythmes identiques, la prosodie stricte. De fait, pour faire penser à Claude Nougaro, la chanteuse à défaut de pouvoir suivre son flot de boxe verbale imite des accents roulés comme elle le fait pour un tremblement à la Ferré, Souchon ou Salvador. L'ensemble instrumental qui l'accompagne peine à dynamiser l'ensemble. Il réunit (dans cette esthétique fusion) cordes occidentales, piano et percussions mais avec aussi un chef, sans donc savoir qui mène et qui suit.
Le changement de pianiste (l'instrument étant désinfecté touche par touche avant et après) permet de faire entrer un musicien invité : Alexandre Tharaud que dès lors chacun suit. Le son prend alors la dimension de cette nef acoustique et le piano devient un paquebot pour "Emmenez-moi au bout de la terre."
Autre invité, le trompettiste Ibrahim Maalouf reste très en retrait, hésitant déjà pour son entrée en scène, il ne fait qu'effleurer les micro-intervalles qui firent jadis la démonstration de sa maîtrise à la trompette et de ses riches couleurs. Il ressort une fois ses interventions effectuées et il restera introuvable pour le bis, malgré les demandes d'Angélique Kidjo.
La troisième invitée au contraire suit l'enthousiasme de la tête d'affiche : Julie Fuchs accompagne deux morceaux en doubles voix et mouvements de danse. Malheureusement les registres choisis sont trop graves pour elle et il est difficile de les octavier (chanter les même notes dans l'aigu) sans basculer dans un style s'apparentant à la voix lyrique mais pas entièrement, ne correspondant donc ni au style du morceau ni à une rencontre fusion avec une cantatrice. Il faut attendre l'aigu final de l'Hallelujah (Leonard Cohen) pour que se déploie un aigu lyrique en point d'orgue avec toutes les qualités, bien connues et détaillées sur nos colonnes, de la soprano.
L'énergie, la gouaille et la bonne humeur d'un "indécrottable optimisme" comme Angélique Kidjo le proclame à défaut de le chanter soulève l'assistance littéralement. Le public se lève, frappe des mains, chante et danse, faisant fi des distanciations mais gardant religieusement son masque. Les musiciens sont acclamés et notamment Angélique Kidjo qui pourrait sans doute aussi bien chanter (de la même façon en tout cas) Verdi et la compagnie créole.
Le public enthousiaste est invité à quitter les lieux en respectant les distances sans autre forme d'organisation et à ressortir par la même porte que celle empruntée pour entrer, sauf que les sorties étant visiblement bloquées par des des barrières de bois, les spectateurs sortent agglutinés par une même sortie, mais visiblement ravis de leur soirée. Il faut dire que, dernier et cruel paradoxe de la soirée, l'assistance pour rentrer chacun chez soi vient s'agglutiner bien davantage dans les rames bondées de la ligne 13 du métro, où la distanciation n'est plus imposée depuis longtemps, depuis aussi longtemps que les salles de spectacles souffrent et font de leur mieux.