De derrière le rideau : Choisir sa voie avec sa voix
Il fut un temps, pas si lointain, où le jeu des chanteurs lyriques ne leur aurait pas permis de rentrer en première année du Conservatoire National de Théâtre, et c’est un délicat euphémisme. Dans le même temps, non loin de là, à la Comédie Française, chants et ballets, comme dans le Bourgeois Gentilhomme, ne nous laissaient pas dans l’illusion d’être au Palais Garnier. Dans les deux cas, les voix, travaillées jusqu’à la perfection, nous ravissaient et nous faisaient admirer le « Répertoire », comme on disait, avec un plaisir non dissimulé. La situation a bien changé, et dans le bon sens, je crois.
Il en était de même des mises en scène. On ne devait en rien dénaturer l’œuvre et les metteurs en scène mettaient un point d’honneur à rester fidèlement dans les pas des auteurs et des compositeurs. Les choses ont évolué. Les grands du théâtre se sont essayés à l’opéra et réciproquement. Lambert Wilson a démontré que sa voix lui permettait d’aborder les plus grands airs, et il n’est pas le seul. Nathalie Dessay, plus récemment, s’est lancée dans l’arène théâtrale avec un succès reconnu, qui lui fait désormais consacrer à cet art, l’essentiel de son talent. Des stars comme Patrice Chéreau ou Peter Sellars n’ont pas hésité à se lancer dans des aventures dont ils sont sortis grandis, alors que l’on n’aime pas, dans notre pays, le mélange des genres. Chacun doit faire carrière dans son domaine, comme si c’était les autres qui devaient définir quel est votre domaine !
Tout ceci est très bon signe et marque une inflexion très forte vers une démocratisation bienfaisante de ces deux arts à la gémellité contrariée. Démocratisation du jeu et des mises en scène permettant aux créateurs d’aller au bout de leur sensibilité et de leur créativité. Les comédiens chantent avec talent et les chanteurs jouent comme au théâtre. Les mises en scène les plus avant-gardistes mettent en valeur les opéras les plus classiques, les rendant accessibles à un public qui ignorait jusqu’au nom des plus grands compositeurs. Alors bien sûr, smokings, robes longues et redingotes ne sont plus réservées qu’à certaines soirées bien ciblées, mais l’opéra n’y a-t-il pas gagné à s’ouvrir à tous, dès l’âge scolaire et à des prix en adéquation avec ce public nouveau ?
Nous allons pouvoir suivre l’excellente initiative d’un très grand comédien et réalisateur au succès constant. En effet, en 2017, Guillaume Gallienne nous proposera une Cenerentola de Rossini à sa manière d’homme de théâtre consacré et de réalisateur de cinéma titré et adulé par un public très large. Il travaille déjà pour entrer dans cette œuvre très connue et donc forcément délicate à revisiter. Il va le faire avec tout son cœur qui est grand, et nul doute que nous irons nombreux l’ovationner avec toute la troupe d’artistes lyriques et musiciens, costumiers, chœurs et techniciens qui, une fois de plus nous ferons décoller de notre siège ! Sa voix est connue, sa voie est inconnue, mais ni l’une ni l’autre n’est à sens unique. On y va ?
Retrouvez la précédente chronique de Philippe Marigny : Le lac des cygnes