Acis et Galatée, un chef d’œuvre de Haendel dans une version recréée Salle Cortot
Alexandre Baldo, comment avez-vous (re)découvert cette version d’Acis et Galatée ?
Cela remonte à mes recherches à la bibliothèque de Vienne en 2019-2020.
J’ai vécu six années en Autriche, j’ai fait mes études d’instrumentiste (d’altiste) au Mozarteum à Salzbourg que j’ai également rejoint en chant (discipline dans laquelle je me suis complètement plongé lors de la pandémie). Avec l'Ensemble Mozaïque, j'ai remporté en 2021 le prix Note 1 au Concours Biber, distinction nous donnant la possibilité d'enregistrer un CD pour le label Pan Classics. La seule consigne était de choisir de la musique baroque autrichienne, mais autrichienne dans le sens où elle avait été jouée en Autriche. Or, comme tous les compositeurs ou presque et notamment des Italiens passaient par Vienne, j’ai donc trouvé la matière de mon album Caldara… Mais je suis aussi tombé sur une partition de Händel qui m’a beaucoup intrigué. Je l’ai consultée pour étoffer mon répertoire… et je suis tombé sur des pages incroyables !
Il s’agit d’une édition Bärenreiter d’Acis et Galatée, qui collecte différentes versions faites par Händel au fil des années et j’ai donc retrouvé ainsi la version de 1736 qui n’a jamais été donnée en concert ou enregistrée depuis.
Quelles sont les particularités et les intérêts de cette version de 1736 ?
Acis et Galatée est une œuvre extrêmement connue, l’une des plus connues de Händel mais c’est une pièce polymorphe car il y a eu de nombreuses reprises au long de la vie de Händel (reprises pour lesquelles il pouvait réécrire l’œuvre en l’adaptant aux artistes, aux lieux et aux publics).
J’aime beaucoup cette version de 1736 car Händel y a adapté tous les airs pour qu’ils soient chantés en italien (ce qui est étonnant sachant que cette version a été donnée par des chanteurs principalement anglais, à l’exception de la grande Anna Maria Strada del Pò, et à Covent Garden). Il a repris des airs de sa Serenade de 1708 de Naples Aci, Galatea e Polifemo, ainsi que des cantates qu’il a composées dans son grand tour d’Italie, avec des pages retranscrites d’autres instruments, d’autres voix… Händel se caractérise par une vocalité et une écriture italienne, toute sa vie durant. Il a même fait venir des chanteurs italiens avec lui, à Londres.
Cette version de 1736 m’a également ainsi permis de découvrir des airs composés spécifiquement pour Polifemo (qui est pourtant un rôle emblématique, du fait des autres versions). Une grande scène en forme de récit accompagné est suivie d’un Allegro virtuose tiré de la cantate pour soprano “Mi palpita il cor”. Suit un grand air “Affanno tiranno” très sombre. Le deuxième air composé pour cette version est “Ha solo contenti”, véritable déclaration d’amour, un air presque galant avec des fioritures incroyables (qui est presque pour une soprano… mais en clé de fa : donc pour voix de basse, mais très virtuose). Ces airs permettent de voir à quel point les chanteurs engagés par Händel étaient exceptionnels.
Et l’œuvre est ainsi un patchwork incroyable, c’est une vraie “mosaïque”, qui retranscrit ainsi trois décennies de travail du compositeur. C’est passionnant de voir ainsi comment il crée et travaille.
Cette version de 1736 se présente dans votre programme comme une “sérénade” également, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
La Sérénade est un genre lyrique, traditionnellement donné à l’occasion d’une festivité et jouée en plein air (notamment à Naples). C’était le cas pour la version de 1708 d’Acis et Galatée (pour le mariage du neveu de la duchesse Sanseverino qui a commandité l’œuvre à qui accueillait alors Händel). Il y a ensuite une version de 1718 qu’on nomme parfois “masque”, “semi-opéra”, mais pour la version de 1736 je parle à nouveau de Sérénade car elle a certes été représentée à Covent Garden mais sans action scénique : avec décors, costumes, mais sans mise en scène ou en espace.
Comment a été prise la décision de présenter ce projet au public ?
Après l’enregistrement de mon disque Caldara et les concerts de sortie d’album, Philippe Grall de PhilBarok Production et moi avons donc décidé de re-proposer cette version d’Acis et Galatée, d’autant que Chloé de Guillebon, la claveciniste de mon Ensemble Baroque Mozaïque voulait jouer cette œuvre de longue date.
Les parties séparées n’étant pas disponibles, je les ai éditées moi-même d’après la partition totale.
Nous allons donc recréer la version de 1736, mais d’une certaine manière il s’agira aussi d’une “version 2024” car nous avons réadapté la partition pour Cortot, en enlevant deux rôles secondaires (Filli et Silvio) et les chœurs (que nous pourrons réintégrer pour des reprises potentielles dans le futur). Les chœurs étant en anglais, nous proposerons donc à Cortot une version entièrement en italien (Händel emploie les deux langues dans sa partition, ce qui était une pratique commune à l’époque : en fonction des chanteurs, et des publics). Je trouve cela particulièrement fascinant dans cette partition : la manière dont Händel reprend des styles qu’il avait explorés précédemment et les réadapte aux effectifs et aux chanteurs dont il dispose…
L’essentiel de la partition sera là à Cortot, et donc dans un format intimiste qui correspond tout à fait à cette Salle : à ses dimensions et son caractère. Cela nous permet d’être ainsi au plus proche du public.
Quel sera l’effectif instrumental ?
À Cortot nous jouerons à un par partie. Händel disposait d’orchestres très fournis, mais cela nous donnera ainsi une version seyante pour Cortot, cela permet de valoriser chaque membre de l’ensemble (or nous avons des instrumentistes exceptionnels : c’est aussi ce que j’ai fait pour mon disque Caldara, et cela fonctionne très bien).
Nous serons donc 13 musiciens : 3 chanteurs et 10 instrumentistes. C’est ainsi l’occasion de réunir tous les musiciens de l’Ensemble Mozaïque (dont fait aussi partie la soprano Maria Ladurner qui chante Galatée) et même un peu davantage : en invitant notamment aussi Marco Angioloni qui chantera Acis et travaille également avec Philippe Grall.
L’idée de ce concert du 2 février à Cortot est de faire venir tout le monde : des connaisseurs qui redécouvriront Acis et Galatée sous un autre jour, des spectateurs qui viendraient pour la première fois à un concert classique (raison pour laquelle nous avons un tarif réduit à 12€ pour les moins de 28 ans, demandeur d'emploi et intermittents), ainsi que des programmateurs et producteurs (afin que ce projet continue son parcours, soit enregistré au disque, soit représenté avec d’autres effectifs : comme Händel adaptait lui-même la partition aux effectifs et aux lieux).
Sur quelle dynamique l’Ensemble Mozaïque a-t-il été fondé ?
Mozaïque est un ensemble dont nous sommes tous co-fondateurs : nous nous sommes rencontrés au Mozarteum (d’où le z dans le nom Mozaïque), nous venons de pays différents, nous sommes très proches et adorons jouer ensemble. Nous avons rapidement remporté un concours en Allemagne à Rheinsberg, ce qui nous a permis de consolider notre répertoire avec deux années de résidence et de concerts (et nous avons participé à plusieurs festivals depuis, à Potsdam, Innsbruck, au Festival de Saintes l’année dernière).
Tout le monde a son mot à dire musicalement, mais pour de plus grands projets et pour Acis et Galatée, la direction musicale est assurée par la claveciniste Chloé de Guillebon.
Comment avez-vous rencontré Philippe Grall et rejoint ses productions ?
Nous nous sommes rencontrés par un hasard complet : je chantais Bach avec l’Ensemble Correspondances au Festival de Charolles en juin 2022. Il m’a remarqué à ce concert, nous sommes restés en contact et au moment de la sortie de mon disque Caldara, il s’est proposé pour produire mon concert de sortie de disque Salle Cortot. C’était un très beau moment, le 22 juin dernier, avec beaucoup de monde. Nous continuons depuis à travailler ensemble, pour cet Acis et Galatée et d’autres projets pour le futur.
Et PhilBarok soutient d’autres musiciens, dont Arnaud Gluck, et Marco Angioloni qui sera Acis.
Quels sont vos liens avec les deux autres solistes lyriques de cette production ?
Nous nous connaissons depuis longtemps. Marco sera parfait pour Acis, avec sa présence et une forme de candeur. Le fait que cette version ait été écrite pour ténor (et non pas pour castrat) induit une transposition et une réécriture d’Händel mais demande dans les ensembles une très grande présence, de grands mouvements à travers l’ambitus. Nous invitons ainsi le public à venir juger lors du concert, de la couleur apportée par la présence d’un ténor.
Maria Ladurner qui chantera Galatée est une très chère amie et nous avons beaucoup chanté ensemble. Elle fait une très belle carrière dans le baroque (elle chante aussi avec Jordi Savall), et elle fera merveille dans le rôle de Galatée par sa grâce.
Quant à ma partie, celle de Polifemo, elle est extrêmement fleurie, très vocalisante. Cela tombe parfaitement dans mes cordes (ç’aurait même pu être plus grave… mais je rajoute donc des graves dans mes variations).
Maria Ladurner | Marco Angioloni (© Maxime CAILLE – PhilBarok Production) |
Comment avez-vous travaillé la dimension théâtrale de cette œuvre, pour cette version de concert ?
Nous voulons donner le plus d’épaisseur possible à tous les personnages et à leur relation, pour que le public comprenne toujours les motivations et les propos des personnages. Ces affects, cette psychologie motive ainsi également les tempi, les couleurs de la partition instrumentale. Ayant été formé comme instrumentiste baroque (notamment avec Reinhard Goebel), la lecture des sources et de la partition est pour moi primordiale. Elle ne doit pas devenir un carcan pour le chant, mais l’aider, dans un dialogue, à s'approprier les mots, le sens.
Je suis ainsi ancré dans le répertoire historiquement informé, cela étant, mon répertoire se diversifie beaucoup au-delà du baroque (vers le classique, le bel canto, le XXe siècle). Or, pour moi, il s’agit de la même approche : celle du texte, du sens des mots, permettant de se créer un personnage car c’est ce qui va infuser le travail musical. Pour moi, la dichotomie entre chanteur baroque et chanteur lyrique n’a pas de sens. Beaucoup de chanteurs montrent qu’ils peuvent traverser ainsi les siècles et les esthétiques, c’est ce qui me plaît : apporter au bel canto l’agilité baroque, apporter au baroque la riche matière lyrique.
Vous ajoutez également une récitante pour ce concert, quel sera son rôle ?
Il n’y aura pas de sur-titres à Cortot, or je trouve indispensable que le public puisse bien tout comprendre. La récitante pourra ainsi planter le décor, rappelant l’histoire et les références pour que le public se projette dans l'œuvre. Elle lira des textes, des poèmes, des extraits des Métamorphoses d’Ovide qui font avancer l’action. Le 2 février, ce rôle sera assumé par Jeanne Vitez (fille du metteur en scène Antoine Vitez), qui est une magnifique actrice.
Nous avions déjà fait ce procédé l’année dernière avec Mozaïque à la Philharmonie de Linz en Autriche pour un programme autour d’Orphée de Telemann. L’actrice vient ainsi, en plus des trois solistes, parler dans la langue du public et donner des clefs d’écoute. L’absence de sur-titres, la présence d’une actrice, la dimension intimiste de cette version et de l'œuvre, tout cela contribue aussi à rendre l’expérience très directe pour le public, immersive et ouverte à tous.
Pouvez-vous également nous résumer l’intrigue de cette œuvre ?
Nous sommes en Sicile, entre Catane et l’Etna, non loin du détroit de Messine. Une nymphe aquatique, une néréide d’une rare beauté, nommée Galatée, est courtisée par le cyclope Polyphème éperdument amoureux malgré sa laideur. Galatée tombe quant à elle amoureuse du berger Acis. Ils vivent une idylle, malheureusement très vite interrompue par la jalousie du cyclope qui écrase son rival sous un rocher (dans les Métamorphoses d’Ovide, Acis va ensuite se métamorphoser en fleuve, pour rejoindre Galatée).
Moralité : fidélité et constance primeront toujours sur la jalousie et les passions. C’est une vision très Classique et Humaniste (qui revient très souvent dans les livrets d’opéra et même dans les airs où une première partie s’enflamme de passion, mais où la seconde partie est un retour à la raison).
Que souhaitez-vous offrir au public par cette soirée ?
La beauté de la musique : c’est du Händel et de très grande facture.
Ce sera aussi l’occasion de voir au plus près treize jeunes instrumentistes et chanteurs, de se plonger au plus proche dans le son, dans une alchimie !
Vous pouvez réserver vos places en suivant ce lien.
Nous vous donnons également rendez-vous dès la semaine prochaine sur Classykêo pour une interview perchée avec Alexandre Baldo…