En 23/24, l'Opéra du Rhin fera voyager son public vers d'autres mondes
Alain Perroux, cette saison, vous avez dû réduire la voilure sur Le Conte du tsar Saltane à Mulhouse du fait de la situation économique actuelle. Y aura-t-il également des restrictions la saison prochaine ?
La hausse des charges fixes a touché tout le monde en 2022, que ce soit sur les matières premières (qui impactent la construction de décors et de costumes), sur l’énergie (qui joue sur les coûts de transport), ou sur les salaires de la fonction publique, qui ont été augmentés de 3,5%. Nous sommes un syndicat intercommunal assimilés à la fonction publique territoriale et avons dû appliquer cette augmentation. Tout cela s’ajoute au Glissement Vieillesse Technicité, qui génère une augmentation naturelle des charges de personnel, et à une stagnation de nos subventions depuis une quinzaine d’années. En 2023, nous subissons une problématique supplémentaire puisque certaines de nos tutelles, les villes de Strasbourg et de Mulhouse, ont dû baisser leurs subventions de 2,5%, soit environ 250.000 euros. Il a donc fallu opérer quelques ajustements. Le plus visible a été le fait de renoncer à présenter Le Conte du tsar Saltane en version scénique à Mulhouse. C’est un spectacle dont les représentations occasionnaient des coûts techniques importants. J’ai aussi dû renoncer, comme beaucoup de maisons, à une production prévue la saison prochaine, et qui sera finalement jouée en 2025. Comme elle n’a pas été annoncée, c’est un effet moins visible. On compte d’ailleurs 24 productions supprimées pour la saison prochaine dans les opéras en région représentés par Les Forces Musicales. C’est autant d’engagements en moins pour les artistes, les techniciens et tout l’écosystème culturel.
Comment avez-vous choisi la production à annuler ?
D’abord, je ne voulais pas supprimer un spectacle coproduit, afin de ne pas mettre en difficulté nos coproducteurs. Le spectacle en question ne l’était pas (mais nous avons désormais un coproducteur pour 2025) . Il était positionné au moment des fêtes, ce qui me permettait de le remplacer par un ballet "familial" du répertoire. Et je savais que nous avions une programmation suffisamment forte pour que cette saison 2023/2024 reste suffisamment belle, ambitieuse, attractive. Les premiers retours sont d’ailleurs très encourageants : les ventes d’abonnements sont encore plus dynamiques que celles de l’année dernière.
Sur la prochaine saison, plusieurs productions sont sans coproducteurs (Lohengrin, Guercœur et Norma) : n’est-ce pas embêtant dans le contexte économique actuel ?
En effet, nous n’avons pas encore de coproducteurs pour les trois derniers spectacles de la saison, mais il y a des discussions avec des maisons qui pourraient s’associer à nous sur ces projets. Ces discussions se poursuivent fréquemment après l’annonce de la saison. L’année dernière, le Couronnement de Poppée de mars 2023 avait été annoncé sans coproducteurs : finalement, l’Opéra de Graz s’est joint à nous et reprendra ce spectacle. Il faut aussi rappeler que ces projets ont été lancés il y a trois ans, dans un tout autre contexte économique, qui permettait d’être plus volontariste. Aujourd’hui, nous redoublons d’effort : je peux déjà vous annoncer que toutes les productions de la saison 2024/2025 seront coproduites.
Cela dit, il y a différentes réponses à apporter à la situation actuelle. La croissance des recettes de coproduction en est une, et nous l’activons déjà (bien que nous n’ayons pas les moyens d’avoir une personne dédiée à la recherche de coproducteurs, comme au Festival d’Aix, par exemple). Mais ce n’est pas la panacée. La coproduction nécessite beaucoup de compromis par rapport au projet initial. Cela pose aussi des questions de développement durable, lorsque les coproductions sont faites avec des institutions d’autres continents, car il faut alors faire traverser le monde à des décors volumineux. Enfin, je note que les revenus générés par les coproductions sont bien moindres aujourd’hui qu’il y a quelques années.
Comment se porte votre fréquentation ?
Avec ses productions très diversifiées d’opéra et de ballet, ses concerts, ses offres jeune public, ses rencontres avec les artistes, ses conférences, notre programmation s’adresse à un à public large, ce qui nous a permis d’avoir un très bon taux de remplissage, à 82% la saison 2021/2022 et qui devrait avoisiner les 90% pour la saison 2022/2023 encore en cours. Nous avons eu plus d’abonnés en 2022/2023 à Strasbourg que nous n’en avions en 2019/2020, soit avant la crise du Covid (et autant à Mulhouse et Colmar). Si la dynamique se poursuit, cela montrera qu’il n’y a pas de fatalité : l’opéra peut encore toucher toutes les générations. Nous faisons très attention aux tarifs, même si nous avons dû les augmenter pour la saison prochaine. Ils n’avaient pas bougé depuis 2015. Ce sera une hausse très limitée, qui visera surtout les catégories les plus élevées qui passeront de 90 € à 96 €. Les catégories les moins chères n’ont pas bougé, avec des places à 12 € et même à 6 € pour les étudiants.
Comment avez-vous construit votre programmation ?
La saison 2023/2024 clôture un cycle de trois ans durant lesquels nous aurons beaucoup travaillé sur l’importance des récits, comme facteurs de cohésion. Il y a deux ans, nous avions exploré la puissance rassembleuse des récits, cette saison nous nous sommes concentrés sur leur fonction quasi-thérapeutique. La saison prochaine, nous célèbrerons la capacité des récits à nous transporter dans d’autres mondes, voire dans des univers rêvés, afin de nous permettre de nous évader pour mieux nous reconnecter avec nous-même et réfléchir à notre propre existence. Les récits utopiques ont même une fonction politique, pour faire évoluer notre monde. Nous irons ainsi dans l’Inde onirique de Lakmé, dans les enfers hantés que va fréquenter Don Giovanni. Nous découvrirons des mondes imaginaires permettant de développer le projet d’une société idéale, comme dans Lohengrin ou Guercœur (dans lequel le personnage allégorique de la Vérité incite à garder espoir en un monde meilleur, celui dont rêvait Guercœur mais qu’il a échoué à faire émerger). Ces mondes rêvés ne sont pas un opium pour s’évader de nos quotidiens, mais une incitation à changer notre monde.
Vous poursuivrez l’an prochain votre collaboration avec le Festival Musica, par la création mondiale de Don Giovanni aux enfers de Simon Steen-Andersen : quelles ont été les origines de ce projet ?
Cette année 2023 marque les 40 ans du Festival Musica. En 2020, comme je souhaitais passer commande d’un nouvel opéra à cette occasion, Stéphane Roth [le Directeur du Festival Musica, ndlr] m’a incité à m’intéresser au travail de Simon Steen-Andersen, qu’il avait déjà programmé. J’ai très vite été séduit par son univers. C’est à la fois un compositeur, un dramaturge, un metteur en scène, un vidéaste, un plasticien : il envisage les projets dans leur globalité. Il n’a jamais mené un projet d’une telle envergure : il y aura un « orchestre Mozart » un peu augmenté en fosse, six solistes vocaux, un chœur d’hommes, et cinq instrumentistes de l’Ensemble Ictus sur scène, mêlés aux solistes et au chœur, dans l’action. Il y aura une spectaculaire dimension scénique avec décors et costumes, ainsi qu’un important travail de vidéo.
À quoi ressemblera son projet ?
Simon Steen-Andersen est un artiste qui utilise souvent des matériaux musicaux préexistants qu’il retravaille. Ici, il propose une traversée des enfers de l’opéra, à travers des scènes tirées du répertoire (dont certaines sont célèbres et d’autres méconnues), mais aussi de personnages démoniaques (tel Scarpia) ou de personnages maudits (comme le Hollandais volant). Sa traversée des mondes infernaux est donc une exploration du répertoire lyrique et de l’histoire de l’opéra, mais aussi une visite des coulisses du théâtre. Le spectacle démarrera par la scène finale de Don Giovanni, in extenso. Puis, quand le Commandeur entraine le libertin dans les enfers, nous les suivrons. Le résultat sera un patchwork avec des extraits d’œuvres existantes, plus ou moins longues, plus ou moins transformées. Steen-Andersen recrée des récitatifs, mais il ne puise les mots de son livret que dans des scènes existantes du répertoire. Ce sera ainsi un spectacle très original, qui parlera à tous les publics : il sera très accessible et spectaculaire, et devrait attirer les néophytes tout en amusant les amateurs d’opéra. Il sera créé chez nous puis voyagera à Copenhague.
Qui avez-vous choisi pour l’interpréter ?
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg sera dirigé par Bassem Akiki, qui est très friand de ce type d’expériences. Nous aurons des chanteurs très disponibles sur le plan scénique et vocal.
Côté création, vous présenterez aussi Le Journal d’Hélène Berr en décembre, une œuvre de Bernard Foccroulle avec qui vous avez collaboré à Aix : quand et comment ce projet est-il né ?
Comme vous le soulignez, Bernard Foccroulle m’a engagé au Festival d’Aix-en-Provence et j’ai travaillé 11 ans à ses côtés. Cela a été un compagnonnage magnifique dans mon parcours. Une fois qu’il a quitté ses fonctions à Aix, il a pu trouver plus de temps pour composer. Il a ainsi démarré ce projet très personnel, avant même d’en avoir reçu commande. Le texte est bouleversant : c’est le journal intime authentique d’une étudiante parisienne juive, qui décrit sa vie sous l’occupation. Hélène Berr est une jeune adulte qui décrit sa vie de femme passionnée, notamment par la culture, et vivant une première histoire amoureuse. Elle décrit son quotidien dans un style littéraire qui en fait un texte de grande valeur. Bernard Foccroulle a imaginé ce projet pour le Quatuor Béla, qu’il connaissait de sa période aixoise. Ce sera un opéra de chambre pour une voix de mezzo-soprano (Adèle Charvet qui interprète Hélène), un quatuor à cordes et un piano.
Quel univers Matthieu Cruciani développera-t-il dans sa mise en scène ?
Quand j’ai été nommé, Bernard Foccroulle avait déjà ce projet en tête et il cherchait un commanditaire. Nous nous sommes entendus avec La Belle Saison pour travailler ensemble : eux viennent de faire une création de l’œuvre en version concert à Cherbourg puis aux Bouffes-du-Nord, et nous en produirons la première version mise en scène car cette pièce a toujours été pensée comme une œuvre théâtrale. La mise en scène est assurée par Matthieu Cruciani que j’ai appris à connaître à Aix-en-Provence et qui codirige la Comédie de Colmar avec Émilie Capliez. Il a eu l’heureuse idée de proposer à Marc Lainé, Directeur du CDN de Valence et que j’ai aussi rencontré à Aix, de créer la scénographie. Ils ont conçu un très beau projet, dans un esprit chambriste, que nous jouerons dans nos trois villes, dans des salles offrant l’intimité que requiert cette histoire tragique : à la fin de l’ouvrage qui dure environ 1h30, les membres du quatuor disent avec simplicité, sous forme de mélodrame, le destin d’Hélène qui est morte dans un camp de concentration.
La recréation de Guercœur d’Albéric Magnard est au cœur du Festival Arsmondo : qu’est-ce qui vous a donné envie de faire découvrir cette œuvre au public ?
Je possédais depuis 25 ans l’unique enregistrement de cet opéra dirigé par Michel Plasson, mais je ne l’avais pas écouté attentivement. Un théâtre de la province allemande en a donné une production en 2019, qui a fait grand bruit. Ce n’était que la deuxième production de l’œuvre, puisque depuis la création en 1931, elle n’avait été donnée qu’en version de concert à Toulouse à l’occasion de l’enregistrement. Même si je n’ai pas vu ce spectacle, j’en ai entendu parler, ce qui m’a incité à me plonger dans cet ouvrage. J’ai réalisé alors que c’était un chef-d’œuvre absolu. J’étais encore à Aix et j’en avais parlé avec Ingo Metzmacher, qui y dirigeait Jakob Lenz. Lorsque j’ai été nommé ici et que le projet a pris forme, il a tout de suite accepté de le diriger. Il viendra pour la première fois en Alsace.
Comment l’œuvre s’intègre-t-elle dans le projet Arsmondo ?
J’ai été très touché par le beau monologue utopique de la déesse Vérité, à la fin du troisième acte. J’ai donc imaginé construire le Festival Arsmondo autour de cette idée d’utopie, ce qui est un pas de côté par rapport aux thème habituels qui s’articulent autour d’une culture du monde. Arsmondo est un festival interdisciplinaire porté par l’Opéra National du Rhin. Le thème de l’utopie est porteur pour des tables rondes, des conférences, des films, de la littérature. Ce sera donc une édition un peu différente, mais elle nous permettra toujours de travailler avec des partenaires institutionnels ou associatifs à Strasbourg, avec un public qui s’est constitué au fil des ans, et qui désormais attend avec impatience nos propositions.
Pourquoi avoir choisi Christof Loy à la mise en scène ?
Christof Loy est un metteur en scène majeur de notre temps, et je trouve qu’il ne travaille pas assez en France. Lors de nos conversations, il a lui-même évoqué Guercœur, car il est très mélomane et adore les raretés : son envie de le monter à rejoint la mienne, de sorte que ce projet est né tout naturellement.
Vous invitez un plateau vocal prestigieux, mené par Stéphane Degout (Guercœur), Catherine Hunold (Vérité), Antoinette Dennefeld (Gisèle) ou encore Eugénie Joneau (Bonté) : comment avez-vous pensé cette distribution ?
Stéphane Degout est friand d’aventures et de défis : le projet l’a intéressé, et nous nous sommes donné le temps de trouver des dates permettant de réunir la meilleure distribution possible autour de lui. Parmi les artistes français d’aujourd’hui, je ne vois pas mieux que Catherine Hunold pour chanter Vérité, rôle de soprano dramatique extrêmement exigeant. Je suis très heureux de retrouver Antoinette Dennefeld, qui est une enfant du pays, et qui sera parfaite dans le rôle de Gisèle. Eugénie Joneau est une ancienne de notre opéra studio, une artiste à suivre absolument. Enfin, Julien Henric a la voix idéale pour chanter Heurtal.
Vous présenterez deux autres raretés, à commencer par Polifemo de Porpora : qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette œuvre ?
C’est un projet mené de manière très volontariste, car je suis aussi très amateur d’opéra baroque. De Polifemo, on connaît principalement un air, « Alto Giove ». Cet opéra est contemporain d’Alcina et Ariodante de Haendel : il a été créé dans un climat de concurrence entre les deux compositeurs, qui rivalisent d’inspiration et font chanter les plus grandes stars de leur époque pour attirer le public. L’astucieux livret mêle deux histoires de la mythologie grecque, mais qui ont un personnage en commun : l’antihéros Polyphème, ce cyclope qui apparaît dans L’Odyssée au début des aventures d’Ulysse, puis dans les Métamorphoses d’Ovide, dans la fable pastorale d’Acis et Galatée. La partition est elle aussi singulière, avec de très beaux airs et des duos magnifiques, de la pyrotechnie vocale, beaucoup d’expressivité et de couleurs dans un orchestre plus fourni que les opera seria habituels. Il y a de longues scènes de récitatifs accompagnés, ce qui est aussi une originalité. Ce sera une création française.
Emmanuelle Haïm dirigera son Concert d’Astrée : pourquoi ce choix ?
Il a fallu la convaincre car ce n’est pas un opéra qu’elle avait en tête, même si elle le connaissait de réputation. C’est une artiste que j’aime beaucoup, nous nous connaissons depuis longtemps, et elle a un amour profond pour les voix, condition sine qua non pour défendre un opera seria. Elle ne m’a pas dit oui tout de suite : elle a d’abord souhaité travailler la partition. Et elle a finalement été conquise.
Vous confiez la mise en scène à Bruno Ravella, désormais un habitué de la maison : qu’en attendez-vous ?
Nous cherchions quelqu’un qui puisse trouver une porte d’entrée dans la rigidité de l’opera seria, et qui ait un rapport avec la langue italienne. Nous avions eu une très belle expérience avec son Stiffelio. Bruno aime vraiment l’opéra sous toutes ses formes et il est très créatif. Il a trouvé une belle solution dramaturgique pour articuler les deux histoires qui ont peu de points de jonction.
Pouvez-vous présenter le plateau vocal, emmené par Franco Fagioli dans le rôle d’Aci ?
Comme à la création, il nous fallait de très grands chanteurs. Et comme ce projet a été pensé très en amont, nous avons pu nous assurer la présence du chanteur idéal pour ce rôle écrit pour Farinelli, en la personne de Franco Fagioli. Nous aurons aussi Paul-Antoine Bénos-Djian, que j’ai engagé dès le début de sa carrière à l’Académie d’Aix, et Delphine Galou, qui est passée par les Jeunes voix du Rhin et a développé sa carrière dans ce répertoire.
L’autre rareté sera une comédie musicale, Les Fantasticks : pourquoi présenter cette œuvre ?
C’est une rareté en France, mais un très grand classique aux Etats-Unis. Elle figure au livre des records car la production d’origine (dans une petite salle du Off Broadway) a tenu l’affiche sans discontinuer pendant 42 ans, jusqu’en 2002. J’avais vu cette production dans les années 1990. Comme la pièce réclame des moyens très limités (un piano, une harpe, cinq chanteurs et trois comédiens), c’est une pièce qui est beaucoup montée dans le circuit des salles indépendantes ainsi que par des amateurs et dans les universités. Il y a aussi eu une version télévisuelle dans les années 1960 et un film hollywoodien (hélas pas très réussi) dans les années 1990. L’œuvre a déjà été jouée en France, notamment dans les années 1980, mais elle n’a jamais vraiment imprimé sa marque. L’une de ses chansons, « Try to remember », est pourtant très populaire et a été énormément reprise (y compris en France par Nana Mouskouri et dans une publicité pour une marque de café). Il est intéressant de monter ce titre en France car le livret a été inspiré par une pièce de jeunesse d’Edmond Rostand, Les Romanesques, version ironique de Roméo et Juliette.
Pouvez-vous nous en donner l’argument ?
Deux familles ont construit un mur entre leurs propriétés, et interdisent à leurs enfants de se parler, ce qui va en fait les inciter à se rapprocher et à tomber amoureux. Or cette inimitié entre les parents se révèle être un stratagème : ils sont en fait des amis, et prévoyaient que les enfants feraient le contraire de ce qu’ils leur demanderaient. Finalement, le happy end intervient dès la fin du premier acte, et il est intéressant de découvrir ce qui se passe ensuite. C’est une pièce très malicieuse, drôle, émouvante, tendre. Et c’est un ouvrage idéal pour notre dispositif Opéra Volant, dans le cadre duquel nous produisons des spectacles de chambre qui sont présentés dans nos trois villes, puis dans d’autres lieux du Grand Est afin de toucher des populations éloignées de l’opéra. Le spectacle rassemblera des chanteurs de l’Opéra Studio, des comédiens du Jeune théâtre national, et une metteuse en scène qui fait un travail passionnant, Myriam Marzouki.
Y aura-t-il des captations des raretés que vous présentez ?
Il y a des discussions : Arte s’est montré intéressé par une diffusion de Guercœur et un producteur voudrait le capter. Il faut encore trouver les financements pour ce projet, ce qui est difficile aujourd’hui. Si ça ne tenait qu’à moi, nous capterions tout ce que nous produisons, mais des captations de cette œuvre et de Polifemo me tiennent vraiment à cœur.
Pilier du répertoire, mais pas si souvent donné car nécessitant d’importants moyens, vous présenterez aussi Lohengrin : que vous évoque cette œuvre ?
À l’origine de ce projet, il y a une discussion avec Michael Spyres, un grand artiste avec lequel j’ai un dialogue suivi. Il est très curieux et a déjà abordé de très nombreux rôles (il battra probablement le record de Placido Domingo). En 2020, je lui ai demandé s’il pensait aborder le répertoire wagnérien, sa voix me semblant évoluer en ce sens, par sa puissance et le corps de son médium. Il se trouve que je voulais programmer du Wagner en 2023 car il y a un public pour cela en Alsace. Lohengrin n’a pas été donné depuis 40 ans à l’Opéra du Rhin, c’est une œuvre que j’affectionne et qui correspond exactement à la voix de Michael Spyres. Aziz Shokhakimov était quant à lui ravi de diriger cet opus.
Pourquoi avoir choisi Florent Siaud pour mettre en scène cette œuvre ?
Je m’efforce de trouver les bons équilibres au sein de chaque saison. J’invite un certain nombre de metteurs en scène très expérimentés, mais je tiens aussi à accompagner des artistes plutôt en début de carrière. C’est le cas de Florent, même s’il a déjà réalisé beaucoup de spectacles, notamment au Canada. Il a de belles idées, une passion pour Wagner et une approche très fine de Lohengrin, qui n’est pourtant pas une œuvre facile.
Vous présenterez enfin deux grands tubes présentant deux femmes sacrifiées, Lakmé et Norma. La Lakmé sera celle de Laurent Pelly, créée à l’Opéra Comique : qu’en aviez-vous pensé ?
J’ai beaucoup aimé la vision de Laurent Pelly. Nous nous sommes d’ailleurs beaucoup parlé quand il hésitait entre plusieurs approches. J’ai aimé son idée de s’inspirer d’un théâtre asiatique un peu rituel mais pas clairement défini pour prendre en charge la dimension exotique, question délicate aujourd’hui, tout en montrant le choc des cultures de manière très visuelle. Sa réponse met en avant la dimension onirique du livret, un onirisme exotique qui a la fragilité du papier, et que les colonisateurs anglais vont déchirer.
Comment vous êtes-vous trouvé associé à ce projet ?
J’ai entendu Sabine Devieilhe pour la première fois quand elle était encore au Conservatoire de Paris et j’ai noué avec elle des liens d’amitié. Quand j’ai su qu’elle participait à ce projet, je me suis rapproché de l’Opéra Comique et ai été accueilli à bras ouverts par Olivier Mantei, pour monter une vraie coproduction. Il a en effet été d’emblée décidé que nous construirions les décors et la majorité des costumes, car l’Opéra Comique n’a pas d’atelier de décors et nos deux scènes ont des contraintes similaires.
Pouvez-vous nous présenter les interprètes ?
Sabine Devieilhe sera dans son rôle-signature, avec une distribution franco-française, dirigée par Guillaume Tourniaire qui est un grand chef, trop peu présent en France, et que je suis fier de présenter dans ce répertoire qu’il défend aux quatre coins du monde.
Norma signera le retour de Marie-Eve Signeyrole à l’Opéra du Rhin : sous quel angle prendra-t-elle cette œuvre ?
Je connais son travail depuis ses débuts de metteuse en scène, et même avant puisqu’en 2011 elle était régisseuse de plateau à Aix. Quand elle a monté Samson et Dalila en 2020 à l’OnR, nous avions discuté de projets possibles et avions évoqué Norma, qui n’a pas été joué à l’Opéra du Rhin depuis longtemps. Marie-Eve Signeyrole est partie sur l’idée de l’ombre de Callas qui pèse sur ce rôle. Elle a choisi de l’assumer et de l’utiliser dans sa dramaturgie en suivant une chanteuse qui doit incarner Norma. Pour autant, il ne s’agit pas de déguiser Karine Deshayes en Callas. Le projet est très beau, au service de l’œuvre et de sa mythologie.
Pouvez-vous présenter l’équipe musicale ?
En réfléchissant à une chanteuse pour laquelle cela pourrait avoir du sens d’aborder ce rôle, j’ai pensé à Karine Deshayes. Elle a chanté le rôle en version de concert à Aix, ce qui n’était alors pas encore décidé mais lui a permis de l’aborder sur le plan musical. Andrea Sanguineti connait ce répertoire comme personne. Sa venue pour Stiffelio avait montré une bonne entente avec l’Orchestre Symphonique de Mulhouse qui sera dans la fosse.
Quels seront les principaux évènements du reste de votre programmation ?
Nous présenterons des récitals, avec un équilibre entre des chanteurs très confirmés comme Anne Sofie von Otter, et des chanteurs émergents comme Huw Montague Rendall.
Nous aurons également six productions de ballet. Danser Schubert au XXIème siècle est une soirée mixte avec beaucoup de propositions, puisque l’idée était de donner leur chance à des danseurs pour leur première expérience de chorégraphe. C’est une proposition ouverte à tous les artistes de la compagnie. Pour cela, il a été proposé aux danseurs d’imaginer des pièces assez courtes sur la musique d’un même compositeur : en l’occurrence Schubert, le maître de la petite forme. Il y aura 12 propositions pour un spectacle de deux heures. Nous reprendrons également Kamuyot, un formidable spectacle tout public chorégraphié par Ohad Naharin, grande figure de la danse contemporaine. Sérénade sera une soirée mixte en souvenir de Balanchine par trois chorégraphes, avec des œuvres pour orchestre à corde. Nous allons également vivre une rencontre originale avec les comédiens de La Compagnie des Petits Champs, qui a été fondée par Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro. Il y aura donc 30 danseurs de la compagnie, huit comédiens et quatre musiciens, pour une adaptation scénique d’On achève bien les chevaux, le roman de Horace McCoy qui a inspiré le fameux film de Sydney Pollack. C’est une métaphore puissante et terrible du monde capitaliste. Au cœur de la Grande dépression, on organisait des concours de danse pendant plusieurs jours : des gens dansaient jusqu’à épuisement avec l’espoir de gagner un prix. Il y aura une danse très physique, et du texte. Nous reprendrons le ballet Chaplin, un des "hits" de notre compagnie, au moment des fêtes de fin d’année. Nous jouerons enfin Spectres d’Europe, une autre proposition mixte. Avec notre ballet comme avec nos productions d’opéra, l’idée directrice est toujours la même : nous adresser aux publics les plus diversifiés grâce à une programmation elle-même diverse.