Green Opéra, les bonnes résolutions de La Monnaie de Bruxelles
Enjeux, en jeu
L’urgence que représentent les enjeux climatiques s’impose désormais à la société et à l’opéra : il se traduit, il “déteint” non seulement dans les sujets de certaines œuvres, dans la coloration ou le sens premier de certaines mises en scène, mais aussi dans le fonctionnement-même des maisons. C’est ainsi à travers différents pôles de production que le Théâtre de La Monnaie - Opéra de Bruxelles s’engage à se repenser plus durable avec un modèle énergétique toujours plus éco-responsable. La question de la conciliation entre écologie, culture et anthropocène (quand l’humanité domine la planète) raisonne ainsi à l’unisson des voix de l’opéra.
Bon gré, mal gré, les maisons d’opéra doivent de toute manière questionner leurs coûts de production : non seulement les coûts financiers (en ces périodes de crise continuelle, d’inflation, de menaces géo-politico-économiques) mais également les coûts environnementaux, alors pourquoi ne pas harmoniser les deux.
Son et Image
Les maisons d’opéra aiment se présenter comme de bons élèves de la transition écologique, souvent en avance par rapport à d’autres. Plusieurs maisons font l’effort autocritique de questionner leurs pratiques, mais pour produire un résultat restant parfois sur le plan symbolique, comme lorsque l’Opéra de Barcelone en temps de pandémie allie les deux sens du mot culture en jouant devant un public de plantes en pot, une initiative noyant de vert le velours rouge du théâtre (quitte à se voir accuser de “green washing”) et qui n’est pas si nouvelle (Mort Garson publiait déjà en 1976 l'album Mother Earth's Plantasia, offert pour l'achat d'une plante car destiné à être écouté… par les plantes).
Certes, mais si l'initiative est ici symbolique et même presque déjà-vue, elle n’en aborde pas moins un champ d’action toujours plus brûlant. La succession des confinements lors de la pandémie a été une occasion supplémentaire voire nouvelle de repenser les pratiques sociétales et culturelles, de réfléchir à de nouvelles organisations d’abord contraintes puis permises par la mise en pause, pour repenser le sens-même de la création.
Ainsi, cinq structures (Opéra de Lyon, Opéra de Paris, Théâtre du Châtelet, Festival d’Aix-en-Provence, et La Monnaie), qui se sont récemment réunies (alors qu’il était 17h25) pour s'engager sur ce sujet, ont formé le "Collectif de 17h25" en vue de mutualiser leurs constructions, re-conditionnements et réutilisations (de décors, accessoires, costumes notamment), ainsi que leurs transports : tout pour rendre tout plus durable, moins jetable. À ce titre, Lyon avait dès 2016 élargi le rayonnement de cette logique avec Göteborg et Tunis dans le projet OSCaR (Opera Sceneries Circularity and Ressource efficiency : circularité et efficience de ressources des décors d’opéra).
« La culture ne se consomme pas, elle se cultive. » Bernard Stiegler
Même s’il semble difficile de limiter les trajets et la consommation tout en proposant à un public cosmopolite des productions innovantes invitant les meilleurs artistes de la planète, La Monnaie se veut désormais “Green Opera”, en focalisant son faisceau vert sur l’éco-conception, le transport des décors, leur ré-utilisation, le recyclage et la valorisation des matériaux employés, sans oublier l’impact de la “consommation” culturelle.
Le Bilan (Carbone)
Voilà donc désormais cinq années que La Monnaie a lancé de nombreuses pistes et initié des modifications dans son fonctionnement, afin de devenir plus verte. Un état des lieux a été établi par le consultant CO2logic en 2020, afin de quantifier l’émission de gaz à effet de serre. Ce “bilan carbone” a évalué l'impact sur l'environnement du fonctionnement de la maison, en prenant comme exemple la Trilogie Mozart-da Ponte (dont nous vous avons rendu compte comme de toute la saison bruxelloise). Les résultats sont impressionnants mais transparents, l’impact de La Monnaie s'élevant à 3.853 tonnes de CO² en 2019, avec la répartition suivante : 43% pour les “activités générales-consommation de gaz du bâtiment, investissements et achats publics”, 45% pour “les productions d’opéra-scénographie et décors”, 10% côté “déplacements des spectateurs” et 2% pour le streaming.
Pour agir face à ce constat, en commençant par les deux sources d’émission presque équivalentes et très largement majoritaires, La Monnaie développe deux initiatives : la Green Opera House pour les activités de la maison et la Green Opera Production pour les spectacles.
Green Opera House
Suite aux calculs du bilan carbone de La Monnaie, un travail de réduction des émissions s’est urgemment inscrit au cœur de la politique de la maison. Afin de réduire l’impact carbone et notamment la très grande consommation de gaz (posant en outre des soucis d’indépendance géopolitique), des travaux de rénovation ont été réalisés pour permettre une gestion technique centralisée de cette ressource, combinée avec une meilleure isolation du bâtiment et des études effectuées sur de possibles récupérations de la chaleur. L’électricité des bâtiments est désormais 100% verte.
Green Opera Production
Pour mieux penser la durabilité des décors, le travail commence dès le début du cycle de production : en questionnant les standards de fabrication, en faisant de la récupération d’éléments issus du stock de La Monnaie (Bordeaux pour sa part vient de présenter une mise en scène entièrement constituée d’éléments ainsi récupérés). Les équipes artistiques bruxelloises, sous la direction d’Etienne Andreys (chef des ateliers décors) axent ainsi le travail de conception des décors autour du recyclage, mais cela exige assurément une réflexion (et des dépenses autres) liées au stockage d’anciens décors et de matériaux, à leur retravail et acheminement.
Du recyclage des boutons de vêtements, aux accessoires et aux décors, chaque production vise désormais à être la petite sœur d’une ancienne mise en scène et à se faire grande sœur de prochaines. Cette réorganisation, plus circulaire, limite l’impact écologique mais ni le travail requis ni la créativité : conserver et transformer prend souvent autant de temps que réaliser et créer (tout en imposant de nouvelles exigences, de stockages accessibles, d’inventaires). Un désir d’intégrer les problématiques écologiques s'impose comme un défi qui ne limite pas le geste artistique et peut aussi, peut-être, susciter la créativité de ses acteurs et producteurs.
Afin de recycler et surtout valoriser les productions, des initiatives subsidiées par la Région de Bruxelles-Capitale existent, comme la plateforme In Limbo (co-fondée par La Monnaie), permettant d’échanger des matériaux à la façon d’une récupérathèque. 100 tonnes de matériaux ont ainsi été échangés chaque année depuis 2018, La Monnaie ayant contribué à hauteur de 48 tonnes durant la saison de 2019-2020 (dont 6,6 offertes à des associations socioculturelles). Les déchets organiques sont triés séparément, tout comme les déchets chimiques, électriques et électroniques.
Bouger
Les économies de transports notamment sont une source d’attention centrale pour La Monnaie, à travers tout le cycle de vie d’une production : depuis la conception du décor jusqu’aux représentations et même jusqu’à la réception du public. Moins de jetable et plus de durable sur scène rime avec mobilité douce des décors mais aussi des artistes et du public. Des mutualisations et partenariats de transports en commun sont ainsi développés (sachant que 87% du personnel de la maison se déplace en transport en commun, ce qui est certes plus aisé dans une ville capitale). En outre, certaines habitudes changées durant le confinement étant entrées dans les mœurs, des déplacements sont évités grâce au télétravail et réunions en visioconférences.
Certes l’avion demeure un problème aussi grand en termes d’émissions de CO² qu’impondérable pour les déplacements des solistes internationaux, mais cela n’empêche pas la maison de chercher à privilégier des trajets en train, ainsi que des engagements d’artistes plus locaux notamment pour des seconds rôles, ou figurants permettant au passage de souligner les talents de proximité. D’autres maisons et Festivals (celui de Pontoise l’expliquait récemment), bannissent pour leur part l’engagement d’artistes s’ils viennent de loin et repartent après uniquement un concert, sans le tourner ailleurs, à proximité.
Vers le vert
La Monnaie vise ainsi à correspondre aux accords de Paris (signés en 2015).
En attendant, la maison-mère donne bientôt rendez-vous avec un nouveau projet : Solar d’Howard Moody, décrit comme opéra écologique. Compte-rendu à suivre sur Ôlyrix…