Le Teatro Colón entre ambition et turbulences en 2022
Ce n’est plus la crise sanitaire mais des troubles d’ordre institutionnel que subit le Teatro Colón. Les ambitieux projets annoncés à la fin de l’année 2021 pourraient être contrariés par les démissions successives ces dernières semaines, suite à leurs profonds désaccords de fonctionnement, de Paloma Herrera, ex-Directrice du Ballet permanent, et de Miguel Galperín qui était à la tête du Centre d’Expérimentation du Teatro Colón (CETC).
Suite à ces départs, la Directrice générale du prestigieux théâtre, María Victoria Alcaraz, vient tout juste d'être remerciée (le 8 mars, Journée internationale des femmes) pour se voir confier "un nouveau défi au Ministère de la Culture de la Ville". Dans l’immédiat et suite à cette annonce inopinée, son successeur, Jorge Telerman, nommé par le gouvernement de la Ville de Buenos Aires sans processus d’appel à candidatures préalable (il était jusque-là Directeur d’un complexe théâtral public dépendant de la capitale après avoir été lui-même, en 2006-2007, Chef du gouvernement de la ville de Buenos Aires), devra donc assurer la mise en œuvre de la saison 2022 qui s’ouvre.
De son côté, l’Argentin Mario Galizzi aura à sa charge la mise en œuvre d’une programmation de ballets entièrement conçue par celle qui l’a précédé (Giselle, Sinfonietta de Janáček, Carmen avec chorégraphie tout comme La Veuve joyeuse, La Fille mal gardée d'Hérold, Roméo & Juliette par Kenneth MacMillan) tandis que les activités du CETC restent suspendues à la nomination d’un nouveau Directeur.
Reprises et (re)programmations lyriques : des classiques et du contemporain
La crise du Covid a provoqué, au Teatro Colón comme dans toutes les grandes maisons lyriques, son lot d’annulations et de frustrations, tant auprès des professionnels que du public, entraînant de légitimes reprises et reprogrammations dues à la situation financière de ces institutions et aux engagements pris dans le passé pour honorer leurs contrats. La saison lyrique débutera à Buenos Aires avec la reprise de la mise en scène de La Bohème de Puccini de 2018 signée de Stefano Trespidi avec la scénographie d’Enrique Bordolini, dont Ôlyrix avait rendu compte à l’époque. La direction de l’orchestre incombera cette fois-ci au chef Alain Guingal tandis que le plateau vocal sera formé de la mozartienne Verónica Cangemi dans le rôle de Mimi (récemment applaudie en récital et dans La Finta Giardiniera), de Saimir Pirgu (Rodolfo), Giuliana Gianfaldoni (Musetta), Alfonso Mujica (Marcello), Fernando Radó (Colline), Juan Font (Schaunard) et Sergio Spina (Parpignol).
The Consul de Menotti, prévu initialement en 2020, puis en 2021, sera finalement monté en mai de cette année par le metteur en scène Rubén Szuchmacher, avec Justin Brown en fosse. Mis à part le Brésilien Leonardo Neiva (John Sorel), la distribution fera largement appel à des ressources vocales argentines : Carla Filipcic Holm (Magda Sorel), Adriana Mastrángelo (la Secrétaire du Consul), Héctor Guedes (l’Agent secret), Alejandro Spies (M. Kofner) et Marisú Pavón (la Femme étrangère).
Fin mai / début juin, ce ne sont pas moins de 10 représentations du Nabucco de Verdi (projeté en 2020) qui formeront cette production nouvelle à la charge du metteur en scène Stefano Poda et du chef Carlos Vieu. Entre autres interprètes, le baryton roumain Sebastian Catana, la soprano slovène Rebeka Lokar et la mezzo-soprano argentine Guadalupe Barrientos (entendue au Teatro Colón dans Rigoletto, le Requiem de Mozart, Le Chant de la terre de Mahler, mais aussi au concours Operalia 2019) chanteront respectivement Nabucco, Abigaïlle et Fenena.
Un Elixir d’amour très cosmopolite sera donné en août. Dirigée en fosse par l’Italien Evelino Pidò (entendu au Colón dans le Requiem de Mozart), cette œuvre de Donizetti sera mise en scène par l’Espagnol Emilio Sagi. Le Mexicain Javier Camarena, l’Américaine Nadine Sierra et l’Italien Ambrogio Maestri incarneront Nemorino, Adina et le Docteur Dulcamara. À noter qu’une version pour enfants sera donnée à la même période (César Bustamante dirigera l’orchestre des élèves du Teatro Colón et Emilio Sagi en signera la mise en scène).
Une production du Welsh National Opera réunissant Les Sept Péchés capitaux de Kurt Weill et Le Château de Barbe-Bleue de Bartók verra Jan Latham-Koenig diriger l’Orchestre permanent du Teatro Colón et David Pountney assurer la mise en scène de ce spectacle programmé en septembre / octobre. Le baryton-basse hongrois Károly Szemerédy et la mezzo israélienne Rinat Shaham en seront les principaux interprètes.
Ramón Tebar (direction musicale) et Michal Znaniecki (mise en scène) auront à leur charge la réalisation en octobre / novembre des Pêcheurs de perles de Bizet, annoncé en 2020 et représenté au Teatro Colón durant la seule saison de l’année 1913. Cette coproduction avec le Théâtre Wielki de Łódź (Pologne), qui aura à réparer cette injustice à l’égard de l’un des chefs-d’œuvre du répertoire français, présentera Hasmik Torosyan (Leïla), Dmitry Korchak (Nadir), Fabián Veloz (Zurga) acclamé sur la même scène dans Rigoletto, et Fernando Radó (Nourabad), interprète remarqué du père de Norma.
En novembre / décembre, l’année lyrique se terminera en beauté avec Tosca de Puccini où Anna Netrebko occupera le rôle-titre et son époux, Yusif Eyvazov, celui de Mario Cavaradossi, en espérant que les récentes actualités internationales seront d’ici-là apaisées et ne viendront pas contrevenir à ce projet (comme c’est le cas pour la soprano russe au Met, à Zurich, à Munich ou encore à La Scala). Željko Lučić (Baron Scarpia) et Mario de Salvo (Cesare Angelotti) complèteront cette luxueuse première distribution, la seconde étant composée de María Pía Piscitelli / Virginia Tola, Marcelo Puente, Fabián Veloz et Emiliano Bulacios. Keri-Lynn Wilson tiendra la baguette face à l’orchestre permanent maison. Aníbal Lápiz aura la responsabilité de la mise en scène et de la reprise de la production originale créée en son temps par le défunt Roberto Oswald sous l’angle de la tradition et de la grandiloquence.
Notons enfin que l’opéra de chambre ne sera pas en reste : si la programmation de Little Women de Mark Adamo est incertaine du fait de la démission du Directeur du CETC, restent programmés Gianni Schicchi de Puccini en avril (chef d’orchestre : Carlos Calleja, metteur en scène : Carlos Trunsky) ainsi que Le Convenienze ed inconvenienze teatrali de Donizetti en juin (Silvio Viegas à la baguette, Pablo Maritano à la mise en scène).
Des récitals de stars
En avril, c’est ni plus ni moins que Plácido Domingo, aux côtés de la soprano María José Siri et de l’Orchestre permanent du Colón sous la direction de Jordi Bernàcer, qui viendra ouvrir avec éclat le cycle 2022 de « Grands Interprètes » du Teatro Colón (dont le contenu des programmes n’est pas encore arrêté à ce jour). Les chanteuses espagnoles Ainhoa Arteta (soprano) et Nancy Fabiola Herrera (mezzo) prendront le relais en mai, accompagnées par le chef et pianiste argentin Marcelo Ayub (récent accompagnateur sur la même scène de Kristine Opolais). Roberto Alagna sera de retour, 10 ans après ses débuts au Colón, pour un récital en juin en compagnie de la pianiste Irina Dichkovskaia. La soprano américano-canadienne Sondra Radvanovsky aura rendez-vous avec le public porteño en juillet, avec le pianiste Anthony Manoli à ses côtés. Toujours en juillet, et en préambule à L’Elixir d’amour, le public écoutera la soprano Nadine Sierra, secondée au piano par Kamal Khan. Le contre-ténor polonais Jakub Józef Orliński et l’orchestre Il Pomo d'Oro (entendu fin 2019 pour le récital de Joyce DiDonato au Colón) se produiront en août. Ce même mois verra les débuts sur la scène du Colón du ténor canadien Michael Schade, aux côtés de la soprano argentine Verónica Cangemi et du pianiste Justus Zeyen, tandis que la mezzo tchèque Magdalena Kožená chantera à la même époque accompagnée par le Venice Baroque Orchestra. Last but not least, le couple Anna Netrebko / Yusif Eyvazov devrait se présenter ensemble pour un récital très attendu, au lendemain de la première de Tosca (avec, comme pour l’opéra de Puccini, les mêmes incertitudes concernant leur participation liées à l’actualité).