Le Directeur Général de l'Opéra de Paris Alexander Neef a pris ses fonctions de manière anticipée au début de cette saison 2020/2021 pour gérer la crise et préparer l'avenir. Répondant à ces deux impératifs, le choix porté sur Dudamel, artiste parmi les plus renommés au monde, était décidé depuis plusieurs mois (Alexander Neef indique que les discussions ont débuté en 2019) mais la crise sanitaire et son flot incessant d'annulations laissant peu de moments propices aux nouvelles constructives a retardé l'intronisation officielle. 

Toujours auréolé de son statut de prodige artistique (même s'il a fêté ses 40 ans seulement au mois de janvier dernier), le maestro Dudamel formé au violon par la pépinière de démocratisation des talents Vénézuélienne El Sistema a déjà convaincu les plus grandes salles de concerts et fosses lyriques à travers le monde, multipliant les honneurs : il est ainsi le plus jeune chef de l'histoire récente à diriger le concert du Nouvel An à Vienne en 2017, l'année même où il fait ses débuts à l'Opéra de Paris pour La Bohème (notre compte-rendu). Le contact avec les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Paris semble alors unanimement positif, aussi bien dans le lien entre les artistes et le maestro, que dans le résultat musical. Le choix a ainsi été fait "avec évidence" affirme Alexander Neef dans la conférence de presse confirmant cette nomination.

La relation entre l'Orchestre et son chef est un paramètre capital pour l'Opéra de Paris, l'institution ne pouvant que souhaiter qu'elle se développe et se maintienne avec Gustavo Dudamel comme c'était le cas avec Philippe Jordan qui défendait les musiciens et leurs projets, jusques et notamment durant l'absence du précédent Directeur Général en fin de mandat. Les relations avec l'Orchestre de l'Opéra de Paris semblent prometteuses par la qualité reconnue et éprouvée de Gustavo Dudamel, il en va de même pour les relations avec les publics ainsi qu’avec les mécènes internationaux. Cette image et ces atouts seront très précieux pour redorer le blason de l'institution et venir renflouer les caisses au déficit désormais abyssal, en particulier dans les capitales recettes de mécénat, de plus en plus importantes pour le budget de l'institution. D'ailleurs, Gustavo Dudamel avant même sa prise de fonctions apporte avec lui pour l'Opéra de Paris le soutien de grands mécènes et même la création d'un nouveau "Cercle Lully" soutenant sa direction musicale et réunissant déjà quelques grands donateurs (l'institution n'a pas précisé les montants ainsi récoltés ou espérés et ne souhaite pas rendre public le salaire du nouveau Directeur musical).

Gustavo Dudamel est en effet une vedette dépassant le cadre de la musique classique : une série télévisée américaine est basée sur sa vie (Mozart in the Jungle) et il a son étoile sur le Hollywood Walk of Fame. De surcroît, Dudamel ne tait pas ses opinions et ses engagements, bien au contraire, s'engageant pour la démocratie (notamment en réponse à la situation dans son pays natal), ce qui cadre bien avec le nouveau mandat à l'Opéra de Paris qui veut défendre des valeurs humanistes. 

Toutes ces qualités forment donc autant de forces potentielles pour ce nouveau mandat de direction musicale. Cette nomination marque une page musicale qui se tourne à l'Opéra de Paris, avec un nouveau Directeur Général à son poste, une nouvelle cheffe des chœurs qui prend ses fonctions ce 26 avril et donc un nouveau Directeur musical. Cette stabilité et ce renouveau ne seront pas de trop pour s'attaquer aux défis immenses, encore incommensurables et inédits, qui se présentent devant l'institution : un important déficit financier, la sortie de crise sanitaire et sociale, de nouveaux chantiers artistiques, inclusifs et architecturaux. Les missions de cette nouvelle direction consisteront en effet à "inscrire l'opéra au cœur des questions culturelles et sociétales" et à "poursuivre le niveau d'excellence".

Le travail sur tous ces chantiers va assurément exiger de l'énergie et de l'influence (ce dont le chef Dudamel ne manque pas) mais aussi du temps et de la présence. Or, du fait de sa célébrité, le maestro est régulièrement invité à travers le monde et il est déjà Directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles (depuis 2009, prolongé l'année dernière à ce poste jusqu'en 2026 avec même les fonctions supplémentaires de Directeur artistique) et Directeur artistique de l'Orquesta Sinfónica Simón Bolívar depuis 1999 : deux mandats que le chef d'orchestre ne souhaite visiblement pas délaisser. 

Le contrat de Gustavo Dudamel prévoit qu'il dirigera au minimum trois productions lyriques ou chorégraphies par saison, mais Alexander Neef assure d'ores et déjà que le chef sera davantage présent que l'exigent ses obligations dès sa deuxième saison. Dès la saison prochaine, il dirigera notamment une nouvelle production de Turandot, ainsi que Les Noces de Figaro. Dans le répertoire symphonique, il dirigera des œuvres de Charpentier, Boulez, Mozart, Mahler ou encore Berlioz. Le temps de présence d'un tel artiste à Paris sera donc précieux pour contribuer autant qu'il semble le souhaiter aux actions à l'Opéra de Paris : diriger des œuvres de toutes périodes et esthétiques, lyriques comme chorégraphiques (le Directeur musical annonce d'ailleurs une création chorégraphique commandée sur une musique de Thomas Adès), collaborer donc avec la Directrice de la Danse Aurélie Dupont, participer aux tournées hors les murs (en France et à l'étranger) mais aussi avec l'Académie voir l'Ecole de danse, tout en menant des projets pédagogiques (toujours dans son "désir d'ouverture et de non-conformisme", dixit le maestro).