L'art vivant avance ses horloges pour respecter le couvre-feu
Début juillet, le Professeur Jérôme Salomon, Directeur Général de la Santé, demandait aux français de se préparer à une deuxième vague de la pandémie de Covid-19. En trois mois et demi, tout aurait donc pu et dû être prévu par les gouvernants, mais une fois encore le monde du spectacle vivant a été cueilli à froid par une nouvelle décision surprise. Une nouvelle fois, car le Président de la République avait déjà "fait le coup" pour la première vague en prenant des mesures limitant les jauges par paliers surprises. L'interdiction des événements de plus de 5.000 personnes était actée le 5 mars 2020. D'abord prévue pour durer jusqu'au 31 mai, la limite était réduite 4 jours plus tard à 1.000 (par arrêté du 9 mars), seuil rabaissé quatre jours plus tard à 100 (par le premier Ministre le 13 mars à 13h, alors que le Président de la République faisait une allocation télévisée la veille au soir). Les équipes des théâtres se souviennent de ces quelques jours intenses où il a fallu se réorganiser, refaire toutes leurs salles, redistribuer les publics sur différentes dates, rembourser ou décaler (avec le nombre de mails et de coups de téléphone astronomique afférent), communiquer les nouvelles décisions, mettant leur énergie à défaire ce qui avait été fait la veille pour repartir de zéro quatre jours plus tard et finalement devoir tout annuler le 16 mars, avec l'annonce du confinement. Vinrent alors les indécisions sur la possibilité ou non d'avoir recours au chômage partiel (Loïc Lachenal, Directeur de l'Opéra de Rouen rappelait avoir dû refaire la paie de mars à trois reprises), puis les errances sur la date de réouverture des théâtres (annoncés fermés jusqu'à la mi-juillet par le Président, mais finalement rouverts le 1er juin par le Premier Ministre). A chaque étape, les institutions se sont adaptées. Les Directeurs confiaient unanimement avoir passé beaucoup de nuits blanches, les équipes se montraient épuisées.
Une fois encore, pourtant, les théâtres se mobilisent donc et agissent : plusieurs ont d'ores et déjà reprogrammé des spectacles et trouvé des solutions notamment en changeant les jours et les horaires. L'Opéra Comique a déplacé les représentations d’Hippolyte et Aricie de Rameau à 15h les mercredi, samedi et dimanche. L'Opéra de Montpellier a maintenu tous ses concerts et spectacles, en avançant les heures de début à 18h30 et en raccourcissant la durée des programmes pour qu'ils terminent à 20h15. L'Opéra de Massy a également sauvé l'ensemble de sa programmation par des transferts de plusieurs représentations aux samedi ou dimanche à 16h. La Philharmonie de Paris et Radio France avanceront des concerts, L'Heure espagnole à Lyon est avancée d'une heure (à 19h), le concert d'UNiSSON samedi sera à 17h. L'Opéra de Versailles aura tout de même dû annuler deux représentations sur les sept concernées (un programme Bach-Haendel-Rameau le 6 novembre et l'une des trois dates du Ballet Preljocaj : Voyage d’hiver) tout en adaptant toutes les autres aux nouvelles contraintes.
Il n'empêche que de nombreux problèmes insolubles demeurent : de nombreuses salles ne peuvent reprogrammer leurs concerts aussi simplement qu'un décret, de nombreux spectateurs ne peuvent quitter le travail plus tôt pour arriver au théâtre aux nouveaux horaires, d'autres devraient partir bien plus tôt que les horaires de fin prévus pour être assurés d'avoir le temps de rentrer chez eux. D'autant que tout ce travail de réorganisation doit être décidé dans l'urgence (une urgence qui est certes liée à notre état sanitaire mais qui aurait justement pu être davantage prévue et anticipée). L'Opéra de Paris, qui se bat pour trouver des solutions afin de sauver sa Tétralogie, peut heureusement faire désormais entendre sa voix, grâce à la prise de fonctions anticipée de son nouveau Directeur Alexander Neef :
Nous avons pris connaissance le 14 octobre au soir des mesures décidées par les pouvoirs publics au vu de la situation sanitaire, en particulier la mise en place d’un couvre-feu à partir de 21h en Ile-de-France. Ces décisions auront des conséquences importantes sur l’offre de spectacles de l'Opéra national de Paris, au cours des prochains jours et prochaines semaines.
Je tenais à vous dire dès à présent que nous sommes convaincus de l’importance de la place du spectacle vivant dans notre vie individuelle et collective et déterminés à maintenir une offre répondant aux attentes de notre public. Nous poursuivons donc notre travail d’adaptation et étudions en ce moment même l’aménagement de notre programmation, en particulier les horaires auxquels les spectacles sont proposés. Nous vous tiendrons informés au plus vite de l’ensemble du dispositif mis en place.
Toutes les équipes de l’Opéra national de Paris sont mobilisées pour ce nouveau défi que nous souhaitons relever pour vous et avec vous, afin de continuer à faire vivre ce lien unique qui réunit artistes et spectateurs autour de nos productions. Je vous remercie de votre confiance.
Les théâtres continuent donc de s'adapter alors même que les mesures annoncées ce mercredi semblent susceptibles d'être "affinées", avec diverses dérogations. Selon Le Monde, le gouvernement plancherait en effet sur une exception au bénéfice des théâtres, opéras et cinéma : mesure évidente dont nous regrettions l'absence dès notre article annonçant le couvre-feu mercredi soir. Sauf que contrairement à notre proposition simple qui consiste à faire du billet de spectacle le laisser-passer donnant droit de se déplacer sur un trajet direct du théâtre au domicile, l'idée envisagée par l'exécutif consisterait à imposer aux salles de terminer leur activité à 21h, la dérogation ne s'appliquant qu'au trajet et non à la durée du spectacle (alors que l'heure de fin pourrait pourtant être inscrite sur le billet afin d'éviter les abus). Autrement dit, le gouvernement serait prêt à faire une exception pour le spectacle, mais sans aller jusqu'à résoudre le problème posé par le couvre-feu.
[Mise à jour : dès le vendredi 16 octobre, 24 heures après avoir laissé comprendre qu'il réfléchirait à la mesure, le Premier Ministre exclut les lieux de culture de toute dérogation. Chacun devra être rentré chez soi à 21h]
Surtout, cette idée reviendrait à dupliquer le problème fondamental que va poser cette mesure de couvre-feu : censée lutter contre la propagation du virus, elle l'encouragera en poussant tous ensemble à la même heure dans les transports exigus et bondés les gens rentrant chez eux pour 21h, créant de fait une dangereuse troisième heure de pointe.