Le prochain Directeur de l'Opéra de Paris reprend la main
Stéphane Lissner annonçait avant-hier dans Le Monde qu'il quittera de manière anticipée (dès la fin de cette année) la Direction de l'Opéra de Paris, une maison "à genoux" et "abîmée", dixit. Une déclaration tonitruante qui ne pouvait qu'inquiéter voire abasourdir le monde de la culture (comme en interne), et suite à laquelle le prochain Directeur des lieux a répondu, coup sur coup. Alexander Neef a été nommé en juillet dernier Directeur préfigurateur de l'Opéra de Paris et ne devait prendre ses fonctions plénipotentiaires de Directeur général qu'à l'été 2021, à la fin du mandat de Stéphane Lissner (qui s'était d'ailleurs engagé à le conclure avant de partir pour Naples, ce qu'il a fait de manière tout aussi anticipée). Ce départ bouleverse donc tout le calendrier, une situation entérinée dans le communiqué publié le jour même par lequel le Ministre de la Culture confiait "au Directeur préfigurateur, Alexander Neef, assisté de Martin Ajdari, Directeur général adjoint de l'Opéra, une mission consistant à : proposer dès l'automne 2020 des orientations pour maintenir l'excellence et le rayonnement de l'Opéra national de Paris tout en revisitant son modèle économique, social et organisationnel afin d'assurer les conditions d'une exploitation équilibrée ;"
Fallait-il comprendre que Stéphane Lissner et le Ministère avaient prévenu Alexander Neef en avance de ce changement de pied et qu'Alexander Neef anticiperait sa prise de fonctions ? Absolument pas expliquait dès le lendemain le premier intéressé par voie de communiqué "Je n'ai certainement pas anticipé le départ avant terme de M. Lissner", a annoncé M. Neef (il n'a en fait été prévenu que quelques jours avant ces annonces). "Je n'ai pas encore engagé de discussions formelles, que ce soit avec l'Opéra de Paris ou les membres de notre Conseil d'administration (à Toronto qu'il dirige, ndlr), à propos de l'accélération de ma prise de fonctions à Paris (...) aucune décision n'a été prise pour l'accélération de la date de départ." Alexander Neef rappelle également qu'il s'est, pour ce qui le concerne, engagé à finir son mandat actuel à la Direction de la Canadian Opera Company (Toronto) et laisse comprendre qu'on ne quitte pas une maison durant une "période de défis extraordinaires pour l'industrie du spectacle vivant". Toutefois, dans sa communication suivante, du lendemain, Alexander Neef laisse entendre qu'une prise de fonctions anticipée, dès le début de l'année prochaine pour succéder à Stéphane Lissner pourrait se régler sous peu (le processus de recherche pour sa succession à Toronto est en cours). En effet, les décisions dans le monde de l'Opéra se prennent plusieurs années à l'avance et 6 mois ne seront donc pas de trop.
Monsieur Neef apporte effectivement une autre série de réponses détaillées dès le surlendemain par une interview dans Le Figaro. A la première question lui demandant s'il compte toujours venir diriger l'Opéra de Paris, la réponse est claire (infirmant une nouvelle fois des rumeurs) : "oui, bien sûr !" Aux terribles qualificatifs employés par le Directeur sortant (Stéphane Lissner parlant d'une maison "à genoux" et "abîmée"), le prochain Directeur répond par une "logique de préparation de projet artistique", de "refondation de la relation de l'Opéra avec l'Etat". A Lissner qui expliquait durant le mois dernier qu'il attendait le premier avion pour Naples, Neef écrit qu'il va prendre "le premier avion pour Paris après la quarantaine et faire un état des lieux. Parler aux personnels" pour se faire une opinion. Alexander Neef confirme en outre qu'en tant que Directeur préfigurateur, il passait déjà une semaine ou plus par mois à Paris et continue le travail par webcam. Surtout, le prochain maître des lieux valorise le personnel de la maison, sans lequel rien ne sera possible, qui dispose de compétences uniques au monde (et un droit de grève pouvant entraîner le blocage des spectacles : ce que Stéphane Lissner qualifiait dans son interview de "chantage au lever de rideau").
Quant aux grands chantiers, aux questions de fond, aux décisions artistiques et sociales à prendre (qui sont d'ailleurs intimement liées, concernant la convention collective, les retraites et statuts des personnels, l'idée d'une troupe artistique ou de renforcer l'Académie), Alexander Neef demande le temps de prendre ses fonctions et de mener son travail dans la réflexion et la concertation : "une évolution, pas une révolution". Ce serait en soi une révolution par rapport au climat actuel et passé à l'Opéra de Paris.
Notre prochain article fera le point sur cette question des choix artistiques, d'après ce qu'Alexander Neef fait déjà à l'Opéra de Toronto, d'après ce qu'il explique vouloir et pouvoir faire à Paris