Met Opera de New York : appels aux dons contre appels aux dons
Le fonctionnement de l'économie américaine et en particulier dans le champ culturel est drastiquement différent de celui qui prévaut en Europe et singulièrement en France. Aux Etats-Unis où les subventions naviguent entre le symbolique et l'anecdotique, ce sont les ressources propres qui financent les théâtres : les revenus de billetterie, les ventes de retransmissions et de produits dérivés mais aussi, encore et toujours le mécénat.
Toutes les dimensions et conséquences de la terrible pandémie de Coronavirus a poussé le Metropolitan Opera House de New York -durant cette période et pour une durée indéterminée- vers un financement exclusif par mécénat du fait de l'annulation des spectacles et donc des rentrées en billetterie au Lincoln Center comme dans les cinémas à travers le monde. L'institution lyrique américaine a donc mis en place des appels aux dons incessants ou plutôt un appel aux dons permanent. Chacune de ses communications vise à demander de l'argent, chacune des pages de son site web, chacune des actions menées durant cette période sert (aussi) à demander un soutien financier. C'était notamment le cas du Gala inédit et historique organisé avec les super-stars de l'opéra chacune chez soi (chaque star ayant accepté de chanter mais aussi de faire un appel aux dons dans ce Marathon-Opérathon), c'est aussi le cas pour ses retransmissions gratuites d'un opéra puisé dans les archives (un nouvel opéra par jour qui sert aussi à inciter les internautes à s'abonner). De surcroît, les spectateurs ayant acheté des billets pour les spectacles annulés peuvent être remboursés mais sont également invités à en faire don.
Du point de vue financier, ces appels aux dons s'expliquent (le déficit lié à l'annulation de spectacles pour la fin de saison 2019/2020 est estimé à 60 millions de dollars, et si la réouverture est souhaitée pour la rentrée de septembre, rien n'est moins sûr, les responsables avouant même qu'une reprise à l'automne serait "miraculeuse").
Mais du point de vue du personnel, des ressources artistiques et humaines, le message est plus que brouillé, voire passe très mal. Le Met a en effet arrêté de payer ses personnels artistiques à partir du mois d'avril. Leur couverture santé (rattachée au contrat de travail et à la paye aux Etats-Unis) a toutefois été maintenue et le Directeur Peter Gelb (qui a lui-même renoncé à son salaire et imposé des coupes aux responsables administratifs avant d'en congédier 41 dans une seconde vague de départs sans solde pour durée indéterminée) explique -notamment au New York Times- que tout l'établissement aurait sinon fait faillite, raison pour laquelle les contrats ont des clauses de force majeure. L'argent récolté, poursuit Peter Gelb, servira à relancer le Met et donc aider les artistes à retrouver leur lieu et outil travail.
Quoiqu'il en soit les centaines de membres du personnel artistique, permanents ou intérimaires du Met (choristes, instrumentistes, danseurs, artisans, techniciens) ont à leur tour appelé aux dons. Ils espèrent récolter 100.000$. En deux jours, le compteur affiche 6.000$ avec déjà des dons généreux confirmant que cette pratique est répandue outre-Atlantique (plus de 100$ en moyenne et certains dons de plusieurs milliers de dollars).
Cette vidéo avec les témoignages d'artistes travaillant depuis de nombreuses saisons pour le Met et cette cagnotte rappellent la précarité des employés aux USA qu'ils soient indépendants ou même salariés syndiqués. "Beaucoup d'entre nous avons des familles, des enfants, de lourdes charges et dépenses" plaide une artiste sur cette vidéo -le tout avec le choeur des esclaves "Va pensiero" du Nabucco de Verdi en fond sonore.
Des artistes qui s'engagent aussi avec une pétition, à l'initiative des stage & director manager Theresa Ganley et Paula Suozzi, adressée au Parlement (Présidents et Chefs d'opposition de l'Assemblée et du Sénat). La pétition commence par remercier la branche législative "d'avoir inclus les travailleurs de l'industrie du divertissement dans la loi CARES" (Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act : le plus grand programme d'aide financière, avec 2.000 milliards de dollars en aides directes et prêts, voté à l'unanimité).
"Nous, les artistes, les artisans et les techniciens de l'industrie des arts de la scène vous demandons de soutenir le projet de loi «Worker Relief and Security Act» pour prolonger le chèque de paie hebdomadaire de 600 $ au-delà du 31 juillet. Nous vous implorons de continuer à étendre ces avantages à la fois aux salariés et aux travailleurs indépendants du secteur du divertissement.
L'industrie des arts du spectacle a été dévastée par le coronavirus. Il est probable que nous ne pourrons pas reprendre le travail et réunir le public avec un sens de sécurité avant plusieurs mois. La plupart d'entre nous, œuvrant dans cette industrie, ont été dans la première vague de travailleurs américains à être licenciés et seront probablement les derniers à être réintégrés. Nous vous demandons de vous rappeler que les artistes, artisans et techniciens qui souffrent de difficultés irrévocables font vivre une industrie qui représente 800 milliards de dollars pour l'économie nationale.
L'art vivant est irremplaçable. Pour que les arts émergent de ce moment sans précédent, les gens qui ont mis tous leurs efforts dans la création ont besoin de soutien pendant cette période où nous avons été mis en pause. Parce que nous aurons tous besoin, plus que jamais de l'inspiration que l'art vivant et la culture offrent durant et pour sortir de ce moment de crise nationale, veuillez soutenir les artistes."
Comme aux Etats-Unis, en France et à travers la planète, tous les acteurs du monde culturel (artistes, responsables d'institutions et intermédiaires) ont autant d'inquiétudes qu'ils reçoivent peu de réponses.