Christoph Müller : « Le Gstaad Menuhin Festival combine nature et musique »
Comment décririez-vous les caractéristiques du Gstaad Menuhin Festival ?
Ce festival est unique car il combine nature et musique. Il offre la possibilité de se balader dans des montagnes paradisiaques durant la journée, puis de se rendre à un concert avec une grande star comme le pianiste András Schiff en soirée. Nous profitons de la beauté de la région, et la région bénéficie des concerts que nous organisons, qui sont de haut niveau. Cette richesse de l’offre musicale est extraordinaire, bien complétée par l’offre gastronomique et hôtelière. Autre caractéristique : le Festival permet de découvrir des talents en devenir, via l’académie. Il est également possible de participer comme musicien amateur car nous avons deux orchestres amateurs.
Comment construisez-vous votre programmation ?
Je commence toujours avec une idée thématique, puis je cherche les partenaires artistiques. Pour préparer ma programmation autour du répertoire français, j’ai commencé par contacter Bertrand Chamayou : c’était lui le premier pas. Il m’a apporté des idées, les miennes se sont développées et d’autres encore se sont ajoutées. C’est un puzzle qui se construit. Je travaille actuellement à la programmation des éditions 2020 et 2021 : j’ai des post-it partout. Je dois créer un tout à partir de toutes ces idées. C’est un long processus qui permet d’aboutir à une programmation cohérente.
Pourquoi avoir choisi Paris comme thème central cette année ?
J’ai voulu ouvrir la frontière entre nous et la France. Nous voulons montrer la beauté de la musique française, qui n’est pas naturellement jouée en Suisse allemande, mais aussi donner au public français le sentiment d’être chez lui à notre festival.
Du coup, choisirez-vous Berlin comme thème l’an prochain ?
Peut-être, ou bien l’Autriche !
Le premier concert lyrique du festival aura lieu le 20 juillet. Il est dédié à Charpentier et sera interprété par le Concert Spirituel d’Hervé Niquet. Que souhaitez-vous montrer avec ce spectacle ?
Je veux présenter de la musique baroque française. Le prélude du Te Deum de Charpentier est connu comme générique de l’Eurovision, mais on entend rarement l’œuvre complète. Hervé Niquet est un excellent ambassadeur de cette musique, qui représente l’époque de Versailles.
Le 27 juillet, vous présentez un concert Mozart et Figaro à Paris, avec Patricia Petibon : pourquoi ce programme ?
Figaro est un fier représentant de la révolution française, lui qui se révolte contre le Comte. Gluck sera aussi à l’honneur dans ce concert : il fait le lien entre l’Allemagne et la France.
Ces deux concerts auront lieu à l’église de Saanen, qui est emblématique du festival : comment la décririez-vous ?
Menuhin a toujours parlé d’une acoustique en or, qui sonne comme le corps d’un violon. C’est une acoustique de salle de concert : l’église fait 13 mètres de haut. L’atmosphère est très intime, malgré ses 750 places : le public est très proche de la scène, des artistes.
Le 15 août, Giuseppina Bridelli sera accompagnée de L’Arpeggiata de Christina Pluhar dans un programme construit autour de l’œuvre de Luigi Rossi et notamment de son Orphée : qu’est-ce qui vous intéresse plus particulièrement dans cette œuvre ?
J’ai demandé à Christina Pluhar de composer un programme autour du répertoire français. Elle a proposé Rossi car il était le compositeur italien de la Cour de Versailles. C’est donc une musique composée pour Versailles. L’Arpeggiata attire un jeune public car ils touchent d’autres genres comme le jazz ou l’improvisation, mais toujours avec de la musique baroque. J’aime beaucoup ce qu’ils font.
Ce concert aura lieu à l’église de Zweisimmen : qu’apporte ce second lieu ?
C’est une église plus petite, avec 450 places. C’est idéal pour certains concerts, notamment les concerts vocaux. L’église est toute en bois, avec des piliers, ce qui permet d’avoir une vue sur la scène de partout.
Deux concerts lyriques seront présentés dans la grande tente : quelles sont ses caractéristiques ?
Nous avons fait construire ce lieu pour qu’il soit joli, lumineux, et qu’il s’intègre dans son environnement spectaculaire : la tente se dresse au milieu des Alpes. C’est un grand espace de 1800 places. La scène est construite en bois, ce qui permet d’avoir une relativement bonne acoustique pour une tente.
Klaus Florian Vogt y présentera le 1er septembre un concert comprenant du Wagner, son répertoire de prédilection. Il y aura également du Ravel et du Gershwin, ainsi qu’une création : comment avez-vous conçu ce programme ?
Ce concert regroupe en effet plusieurs envies que j’avais. Je voulais intégrer la création de Tristan Murail dans un programme populaire : nous aurons donc le Bolero de Ravel et des extraits d’Un Américain à Paris de Gershwin. Je voulais aussi inviter Klaus Florian Vogt qui n’était disponible que ce jour-là. Nous avons donc composé ce programme éclectique, si typique des festivals.
Quel était le cahier des charges de votre commande à Tristan Murail ?
Je lui ai demandé de créer une œuvre en relation avec les Alpes. Il avait débuté un cycle dont il manquait la dernière partie. Il est parti des émotions qu’il avait ressenties à la vue des Alpes depuis un avion : ce paysage l’avait beaucoup impressionné. L’œuvre s’appellera « Reflections-reflets ».
Vous donnerez également Carmen le 24 août dans cette grande tente, avec Gaëlle Arquez, Marcelo Alvarez, Luca Pisaroni et Julie Fuchs, sous la direction de Marco Armiliato : est-ce important de proposer un opéra ?
Nous avons constaté que le public aime beaucoup ces versions concert ou mises en espace d’opéra. Il est unique de produire une œuvre aussi importante au milieu des Alpes. Ce spectacle se rattache au thème, Paris, par son compositeur, Georges Bizet. Gaëlle Arquez, qui interprètera le rôle-titre, l’a déjà souvent chanté, notamment à Brégence où elle a porté la production deux années de suite. J’avais le désir de la présenter à Gstaad.
L’autre grand événement lyrique sera la veille, le 23 août à l’Eglise de Saanen, avec la venue de Cecilia Bartoli en récital. Sa mère est impliquée auprès de l’académie vocale : comment la relation avec ces deux artistes s’est-elle construite ?
Cecilia Bartoli a chanté chez nous pour la première fois en 2009 : c’est à ce moment-là que nous avons eu l’idée de créer l’académie vocale avec sa mère. Elle était contente d’avoir auprès d’elle sa mère, qui est aussi sa professeure. Je suis très heureux d’avoir trouvé une manière d’offrir à Silvana Bazzoni Bartoli une sorte de résidence. Cecilia, quant à elle, revient tous les deux ans : nous sommes privilégiés car elle pourrait chanter partout. Nous avons construit une vraie fidélité réciproque.
Comment les lauréats de l’académie sont-ils sélectionnés ?
Nous recevons près de 300 candidatures pour seulement 12 places : nous avons donc un jury qui s’occupe de la sélection. Chaque candidat nous envoie trois vidéos : deux avec leur répertoire, romantique, classique ou baroque, et une vidéo dans laquelle l’artiste expose ses motivations. Cette vidéo est souvent la plus importante car ils sont tous de très bons musiciens. Les académies sont bien pour démarrer une relation avec des artistes, qui peut ensuite se construire sur la durée.
Leur travail en masterclass aboutira à un concert le 30 août. À quoi ressemblera-t-il ?
Le programme dépendra du répertoire des artistes qui intégreront l’académie. Il aura lieu en fin de journée et durera une heure sans pause : nous appelons ces concerts « L’heure bleue » car ils ont lieu entre le jour et la nuit.
Au-delà de la programmation lyrique, quels seront les principaux événements du festival ?
D’abord, la résidence du pianiste Bertrand Chamayou donnera lieu à quatre concerts dont une soirée sonates avec Sol Gabetta, un récital 100% français, un programme de musique de chambre, et une soirée concertante avec l'Orchestre de chambre de Bâle. Nous recevrons de nombreux pianistes prestigieux, parmi lesquels Yuja Wang en duo avec le clarinettiste Andreas Ottensamer dans le Troisième de Rachmaninov avec la Staatskapelle de Dresde, Khatia Buniatishvili en récital "supersonique" sous la Tente, ou encore András Schiff et Fazil Say. Gautier Capuçon proposera quant à lui un concert Haydn sous la baguette de Mikko Franck. Parmi les soirées symphoniques sous la Tente, je peux citer l'Empereur de Beethoven sous les doigts de SeongJin Cho et la Pathétique de Tchaïkovski dirigée par Manfred Honeck, La Valse de Ravel et Petrouchka de Stravinski avec l'Orchestre philharmonique de Rotterdam et Lahav Shani, la Symphonie fantastique de Berlioz sous la baguette de Mikko Franck, mais aussi la Quatrième de Tchaïkovski par la Staatskapelle de Dresde et Myung-Whun Chung. Bref, un programme varié, mais de haut niveau.
À quelles évolutions pouvons-nous nous attendre dans les prochaines éditions ?
Avant d’apporter de nouvelles évolutions, il faut déjà installer les évolutions récentes, comme le Gstaad Digital Festival [un prolongement du festival par des streamings réguliers de concerts de l’édition précédente, tout au long de l’année, ndlr], que nous avons créé il y a deux ans.
Tout le détail de la programmation et l'accès aux réservations sont à retrouver à cette adresse.