Cap Ferret Music Festival 2017 : un cap, une presqu'île, une péninsule sonore
Principe de précaution ou culture du risque ? Entre les deux, le maire du Cap Ferret a choisi et les feux d'artifice du concert d'ouverture ont été annulés en raison du mauvais temps grondant. Le concert prévu sur la plage, ayant été déplacé dans une salle des sports au nord de la presqu'île, une raison supplémentaire était offerte de se concentrer sur la musique et, pour ce Festival mobile qui change de lieu tous les soirs, l'occasion donnée de découvrir un nouveau site, certes peu enthousiasmant au premier abord, mais à l'acoustique de gymnase étonnamment correcte.
Vladislav Lavrik et l'Ensemble Orchestral de Bordeaux
Si la musique ancienne se dirige souvent depuis le clavecin, nous vous avons aussi rendu compte de chefs dirigeant du violon (Julien Chauvin et Thibault Noally) ou de la flûte (Alexis Kossenko). Le chef Vladislav Lavrik est d'une autre engeance encore, dirigeant de la trompette, mais en se plaçant face au public (les instrumentistes suivent ses mouvements d'épaule et de bassin, sans démériter). Lavrik entonne d'emblée une ligne solo claironnante du compositeur russe Arensky, avec ses quartes ascendantes et trilles d'une grande clarté, bondissant admirablement sur les parois en copeaux agglomérés et la toiture ondulée, surtout porté par un Ensemble Orchestral de Bordeaux grandiloquent et sirupeux : Hollywood sur le bassin d'Arcachon. Tenant la note finale de toute la longueur de son souffle, il referme en même temps le morceau et la main gauche, d'un moulinet qu'il répète en sens inverse pour faire se lever et saluer les musiciens. Après une Valse allante de Chostakovitch remarquablement en place avec une trompette qui égrène des notes à la douzaine (Arcachon oblige), le chef se munit toutefois de la baguette pour le reste du concert. Le moment faste de la soirée est opératique : le duo entre le baryton coréen Chi Hoon Lee et la soprano russo-allemande Anna Neufeld sur Le Trouvère de Verdi. Ces deux présences scéniques fusionnent et se déchirent. Monsieur oublie vite quelques tics faciaux pour creuser son regard à l'incarnation intense, à l'image de sa puissance vocale et du métal de son médium. Madame jaillit dans les aigus mais en respectant la continuité de la ligne. Lorsqu'elle détimbre, c'est parce qu'elle le choisit, si elle amenuise la voix en volume, c'est pour l'enrichir en qualité. Seuls leurs aigus un peu tendus et une note finale à oublier (criarde pour elle, inaudible pour lui sur l'orchestre fortissimo) peuvent expliquer pourquoi ces deux artistes ne sont pas (encore) à l'affiche de théâtres d'opéra. Le choix d'amplifier leurs voix (légèrement) par des micros étant une injure à leur qualité de projection.
Chi Hoon Lee et Anna Neufeld
Le ténor ayant dû annuler, Nessun dorma (Turandot de Puccini) est interprété en version orchestrale, les cuivres exécutant la mélodie (la justesse dormant bel et bien pour sa part : que le talentueux chef-trompettiste n'interprétât-il pas lui-même le thème ?)
Les morceaux suivants sont l'occasion d'admirer la qualité et l'engagement dans la programmation de ce Festival, qui propose du grand répertoire mais aussi des voyages et des pièces modernes : le public plonge ainsi dans les stases tectoniques de Nixon in China (composé par John Adams entre 1985 et 1987).
Impeccable, costume noir, tempes argent, chemise rose, d'un raffinement et humour délicieusement latin, jouant avec l'orchestre et le public, José Luis Barreto est un maestro de la Balada para un loco (Piazzolla), avec ce qu'il faut de voix enracinée au léger pincé argentin, avec pour accompagnement un orchestre devenant bandonéon.
Admiratif, le chef en perd son latin, déclarant "After this, I don't know", il saura bien, pourtant, gravir la montagne de Peer Gynt (redécouvrez cette célèbre œuvre méconnue), emporté par un immense crescendo accelerando. Le public sifflote cette mélodie familière, comme Sous le ciel de Paris en improvisation jazz sous forme d'un concerto pour le pianiste Dexter Goldberg, avant de carrément chanter et taper des mains sur Offenbach et son Galop d'Orphée aux enfers (immortalisé comme musique du Moulin Rouge). L'ovation debout lance le Festival en des applaudissements feu d'artifice dont la pluie n'aura jamais raison.
Toute la semaine durant, le public est de nouveau invité aux spectacles et au programme de l'Académie (avec ses ateliers, cours individuels et master-classes), ainsi qu'aux concerts quotidiens des révélations. Deux toitures en taule et trois vitraux forment une Chapelle Piraillan en plein air, investie dès le lendemain midi par trois artistes, dont deux percussionnistes, d'abord Elisa Humanes défendant avec engagement et esprit le duel peau/clavier de Xenakis et les voyages latins, puis sa collègue Shuori Ushida au raffinement infini, le bout des baguettes en gaze avant de mettre la gomme (dure) dans une virtuosité débridée : une artiste époustouflante, promise aux sommets de son art, ainsi que la guitariste Liat Cohen, maîtresse du glissando et des harmoniques transatlantiques, aussi bien que pour un arrangement solo de La Traviata, accompagné par les cigales aquitaines.
Elisa Humanes |
Shuori Ushida |
À 16h, cap au Nord de la presqu'île, la musique venant à la rencontre des résidents à mobilité réduite du foyer Alice Girou. La digitalité arachnéenne sans faille de l'accordéoniste Basha Slawinska embarquant pour les Asturias d'Albéniz ou les parapluies de Cherbourg, après le duo Alma, chaudes flûtes au répertoire classique. L'élitisme pour tous.
Enfin, le mélomane longe le littoral arcachonnais de Lège à la Chapelle de l'Herbe pour un concert remis en contexte par les explications et anecdotes de la pianiste France Desneulin, accompagnant la soprano révélation Alexandra Marcellier. Cette voix et présence explosives, au regard et sourire enjôleurs et assassins est aussi jubilatoire dans Les Mamelles de Tirésias (Poulenc) ou ses mélodies enfantines qu'à contre-sens du personnage flétri de la Musetta Bohème (proposée ici en chanteuse de cabaret).
Alexandra Marcellier et France Desneulin à la Chapelle de l'Herbe
Impossible de conclure sans rendre un hommage sincère à la dévotion absolue des bénévoles qui prennent soin des artistes, des journalistes et du public comme d'une grande famille. Avec une douzaine d'huîtres et des concerts généreux, vous reprendrez bien un peu de confiance en la nature humaine !
La 7ème édition du Cap Ferret Music Festival vous attend jusqu'au 15 juillet, en attendant l'été prochain pour l'édition numéro huître !