Voici ce qui distingue les quatre Carmen de l’Opéra de Paris
Carmen est un personnage de légende, extrêmement complexe, permettant aux interprètes d’en proposer des visions très différentes. La première des quatre Carmen (dans l’ordre d’apparition dans cette production de l'Opéra de Paris), Clémentine Margaine (lire son interview en intégralité), décrit ainsi le personnage comme « un personnage entier, libre, parfois même sauvage. Elle réagit toujours de manière inattendue ». Elle insiste d’ailleurs sur une caractéristique trop rarement mise en avant : « Carmen a beaucoup d’humour : cela transparaît dans la musique ». Afin d’en livrer une interprétation réussie, il faut selon elle « toujours veiller à ballotter le personnage entre des attitudes et des sentiments différents, de manière à dépeindre toutes les facettes d’une femme. Car elle est la féminité par excellence, et on sait que les femmes sont compliquées ! ». Elle se fixe « de la faire à la fois agressive, charmeuse et sensuelle ». Pour l’interprète, Carmen est un rôle « extraordinaire et très complet, tant d’un point de vue vocal que scénique, avec de nombreuses interactions avec le chœur ». Selon la seconde interprète de la production, Varduhi Abrahamyan (dont l'interview complète est ici), « Carmen est une femme forte qui sait ce qu’elle veut. Elle est rebelle et aime la vie. Il est rare qu’elle aime quelqu’un : elle a cru que cela lui était arrivé, mais elle découvre à la fin que ce n’est pas le cas. Elle est prête à tout pour profiter de la vie à sa façon ».
Clementine Margaine (© DR)
Pour Anita Rachvelishvili (lire son interview en intégralité), Carmen est une « femme forte qui a des principes dont elle ne déroge à aucun prix : elle préfère mourir plutôt que de revenir avec un homme qu’elle aime pourtant ! Elle aime la liberté plus que tout et elle est prête à tout pour la préserver. Elle ne veut dépendre de personne, et d’aucun homme, notamment. Particulièrement si l’homme est jaloux et possessif comme Don José ». Pour Elina Garanca (lire ici son interview complète), la complexité du personnage est à chercher en premier lieu dans ses origines : « les espagnols, et les gitans en particulier, ont un volcan en eux. Contrairement aux italiens qui sont très expressifs et évacuent cette énergie, ils la gardent en eux. Cette vitalité se voit dans leurs yeux mais ne transparaît pas dans leurs gestes. Les danseurs de Flamenco sont d’ailleurs très rigides au niveau du tronc : ce sont les pieds et les mains qui bougent et qui jouent des castagnettes de manière incroyable ».
Anita Rachvelishvili dans Carmen (© Catherine Ashmore)
Si ces quatre interprètes figurent parmi les Carmen les plus demandées au monde, c’est que chacune travaille son originalité, en puisant dans sa personnalité ou dans une compréhension personnelle du personnage. Ainsi, Clémentine Margaine met-elle en avant « la couleur de [sa] voix, sombre et charnue, correspondant bien au rôle de Carmen. En termes de technique vocale, il ne pose aucune difficulté ». Elle cherche à « ballotter le personnage entre plusieurs directions, afin d’éviter de tomber dans le cliché. [Son] tempérament [lui] permet de bien comprendre le personnage ». Varduhi Abrahamyan insiste quant à elle sur la difficulté physique du rôle : « Carmen est une femme volcanique : elle doit maintenir la flamme du début à la fin. J’ancre mon interprétation dans l’énergie : ce qui est magnifique avec ce rôle, c’est qu’il oblige à tout donner ». Elle ajoute : « j’essaie d’en faire une femme non pas vulgaire, mais polissonne ». Anita Rachvelishvili propose la vision d’une Carmen souveraine : « Carmen n’a pas besoin d’être vulgaire : son aura lui suffit à imposer à un homme de rester », souhaitant livrer une vision personnelle du personnage : « La Habanera que tout le monde connaît par cœur, par exemple, peut toujours être interprétée d’une manière différente. Il y a mille façons de chanter cet air. Mon travail consiste à les identifier afin de proposer quelque chose de neuf à chaque production ». Elina Garanca a quant à elle puisé son inspiration à la source : « J’ai créé ma vision de Carmen grâce au temps que j’ai passé en Espagne qui est un pays dans lequel j’ai beaucoup voyagé. Je connais bien Bilbao et San Sebastián. J’ai été à la rencontre de bohémiens, notamment aux grottes de Grenade. Ils y sont entassés dans de toutes petites salles, et ils dansent. Parlant espagnol couramment, j’ai longuement discuté avec une bohémienne de soixante-quinze ans qui avait un regard enflammé. J’ai vécu avec eux et nous avons été dans les montagnes qui sont décrites dans l’opéra. Ces rencontres ont influencé ma Carmen ». Elle nourrit également le personnage de sa personnalité et de son physique : « Je suis probablement l’une des interprètes du rôle ayant la plus grande taille et la seule à être blonde avec des yeux bleus. Je dois le prendre en compte. J’essaie de sortir des clichés en gardant à l’esprit que le public ne connait pas forcément l’issue de l’histoire : j’essaie de montrer une évolution du personnage, qui doit être très différent au début et à la fin ».
Varduhi Abrahamyan dans Carmen mis en scène par Calixto Bieito (© DR)
Quant à la mise en scène de Calixto Bieito, « elle prend le contre-pied des productions généralement attendues de Carmen. Il y a beaucoup de petites surprises » selon Clémentine Margaine. Varduhi Abrahamyan, qui a déjà chanté le rôle dans cette production, raconte que « cette mise en scène demande beaucoup d’énergie. Il y a beaucoup de théâtre. Le décor est assez minimaliste : il revient aux interprètes de créer des personnages forts qui occupent l’espace ». Sur le message de la mise en scène, Anita Rachvelishvili, qui a également chanté le rôle dans la production de Bieito, ajoute que « si l’on s’en réfère au roman de Mérimée, il n’y a rien de romantique. Le personnage de Micaëla n’y existe d’ailleurs pas. Il parle plutôt de sang, de chair, de jalousie et d’une utilisation du sexe comme d’une arme pour contrôler les gens : c’est ce qu’a voulu faire passer Calixto Bieito ».
Elina Garanca (© Paul Schirnhofer / DG)
Concernant le côté subversif de la vision du metteur en scène, Clémentine Margaine la décrit en effet comme « très moderne, très crue et très violente, loin des clichés de la main posée sur la hanche et du flamenco. On est pourtant bien dans l’Espagne, mais on en retrouve surtout la chaleur et la poussière. C’est une mise en scène très sensuelle, qui va loin aussi bien dans la violence que dans son aspect charnel, avec l’objectif d’être dans le réalisme, plus que dans le beau et l’amusant ». Anita Rachvelishvili utilise les mêmes mots : « c’est une mise en scène très intelligente et très intéressante, qui peint la réalité du monde de manière crue. La mise en scène met en avant le côté vulgaire de Carmen. On y voit de la nudité, du sexe. C’est très proche de la vérité : les relations homme-femme ne se nourrissent pas que de sentiments. Il est également question de sexualité. Au premier abord, j’ai été choquée par le naturalisme de la production, tout en l’appréciant énormément à la fois. Le folklore andalou est mis de côté pour se concentrer sur la relation extrêmement forte qui unit Carmen à ses amis ». Elle prévient d’ailleurs : « Tout le monde n’aimera pas cette vision, mais elle est très proche de la réalité ».
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