Florian Sempey : « Je veux cultiver la brillance de ma voix »
Florian Sempey, vous répétez actuellement La Flûte enchantée à l’Opéra de Paris dans la mise en scène de Robert Carsen. Vous y interprétez Papageno pour sept dates. Où en êtes-vous dans les répétitions ?
Nous finissons actuellement les répétitions de l’acte I, même si tous les chanteurs ne sont pas encore arrivés. Nous allons pouvoir en faire un filage. Comme lors de mes précédentes expériences dans cette grande maison qu’est l’Opéra de Paris, nous travaillons dans des conditions idéales. Papageno est un rôle très physique que je connais bien et que j’aime énormément.
Comment décririez-vous cette mise en scène ?
Je n’ai pas vu la production, je n’en connais donc pour l’instant que l’acte I. Je vais rapidement en voir le DVD pour la découvrir. Elle est simple et très proche des émotions des personnages. Nous n’avons pas les carcans que peuvent parfois constituer les costumes ou les contraintes d’une mise en scène très stylisée. Le plateau est large et épuré : nous pouvons développer une gestique à même de remplir cette grande salle de Bastille, tout en laissant une place significative au travail sur les émotions des personnages. Robert Carsen n’est pas présent aux répétitions : nous travaillons avec l’excellent metteur en scène de l’Opéra. Le concept est centré sur la symbolique de la mort, qui est très présente dans l’œuvre : il y a donc des cercueils et des tombes. La mise en scène reprend également la symbolique maçonnique, qui est à la base de l’écriture du livret.
Le personnage de Papageno porte, avec ceux de Papagena et de Monostatos, tout le comique de l’opéra, les autres parties étant plus sérieuses. Est-ce quelque chose qui vous plait ?
Tout à fait. Nous avons d’ailleurs travaillé hier la scène de la première rencontre entre Papageno et Monostatos : c’était très drôle ! Cela me plait en effet : c’est le personnage qui est le plus proche des spectateurs. Il est moins sculpté par les obligations, le devoir ou la famille. Il est très simple et le revendique. Je commence mon premier air dans la salle : il y a un contact direct avec le public. La salle s’allume et je vois l’émerveillement, ce qui est passionnant. Dans certaines maisons, le public vient plus pour juger que pour se distraire, ce qui est dommage. Ce type de relation permet au contraire de briser la glace. Je viens de chanter le Barbier de Séville à Covent Garden : le public y est réputé pour ne pas applaudir facilement. Je commençais, là aussi, dans la salle : les gens étaient charmés par cette proximité. Cela les fait entrer dans l’action et je trouve ça important, même s’il ne faudra pas que cela devienne systématique.
Quel est le plus grand défi que vous rencontrez sur ce rôle ?
Les dialogues parlés. Avec Stanislas de Barbeyrac (retrouvez ici la passionnante interview de Stanislas de Barbeyrac pour Ôlyrix) et Sabine Devieilhe [interprètes de Tamino et de la Reine de la nuit, ndlr], nous travaillons régulièrement avec le coach d’allemand. En effet, au-delà de la prononciation qui doit bien sûr être correcte, il faut trouver les reliefs de la langue, la structure d’intonation. C’est un travail passionnant !
Il s’agit du rôle dans lequel vous avez débuté, en 2009 à Bordeaux. Quels sont vos souvenirs de cette première expérience ?
J’ai passé mes examens au Conservatoire de Bordeaux dans la classe de Maryse Castets. Lors de l’examen final du cycle 2, Isabelle Massé [la Directrice adjointe de l’Opéra de Bordeaux, ndlr] était dans le jury. Elle est venue me trouver à la fin et m’a dit que l’on se reverrait. Quelques semaines plus tard, l’Opéra de Bordeaux me demandait de venir passer une audition devant Isabelle et Thierry [Thierry Fouquet, alors Directeur général de l’Opéra de Bordeaux, ndlr]. J’y ai présenté le second air de Papageno, Ein Mädchen oder Weibchen, et l’air de Valentin [dans Faust de Gounod, ndlr]. Plus tard, Isabelle Massé m’a donné rendez-vous avec le Directeur du Conservatoire, et m’a annoncé que l’Opéra de Bordeaux me confiait deux représentations de la Flûte dans le rôle de Papageno. Je me suis mis à pleurer : c’était un moment de grande émotion, qui a été suivi d’une période de grand stress. Jusqu’à la Première, j’ai travaillé et découvert la langue allemande que je ne connaissais pas. Heureusement, mes professeurs de chant et d’allemand étaient là pour m’aider et m’aiguiller.
Réservez ici vos places pour la Flûte enchantée à l’Opéra de Paris.
Vous avez fait vos débuts à l’Opéra de Paris dans le rôle de Marullo (dans Rigoletto de Verdi) après seulement deux ans de carrière : pouvez-vous nous en partager votre souvenir ?
Je venais d’entrer à l’Atelier de l’Opéra de Paris. J’ai été très agréablement surpris lorsque je l’ai appris : c’est un personnage qui chante finalement beaucoup dans l’acte I, puis participe à de nombreux ensembles. Ça a été une vraie opportunité de perfectionnement. D’autant qu’on a la chance, lorsqu’on intègre l’Atelier, d’avoir des coachs à disposition : ensuite, si on veut un coach, il faut le payer, prendre rendez-vous à l’avance, etc.
Plus tard dans la saison, vous prendrez le rôle de Dandini dans la Cenerentola de Rossini à Limoges. Avez-vous comme objectif dans ces prochaines années de développer le répertoire rossinien ?
Bien sûr ! Je ne chantais jusque-là que Figaro [dans le Barbier de Séville, ndlr]. J’ai très envie de faire aussi Taddeo dans l’Italienne à Alger, mais aussi Raimbaud dans le Comte Ory dont je chante souvent le grand air en concert. Si j’ai des dizaines de Barbier programmés, je n’ai pas encore de projet pour d’autres rôles.
Réservez ici vos places pour La Cenerentola à Limoges.
Le Barbier est votre rôle fétiche. Vous l’avez notamment chanté à Pesaro (le festival italien dédié à l’œuvre de Rossini) : comment avez-vous vécu cette reconnaissance ?
J’ai eu du mal à percevoir cette reconnaissance car ce n’était que ma troisième production de l’œuvre. Après ma prise de rôle à Bordeaux, je l’ai repris à Saint-Etienne sous la direction d’Alberto Zedda, qui m’a ensuite appelé pour le faire à Pesaro : il y a pire comme porte d’entrée ! Avec le recul, je perçois que cela prouve une certaine connaissance du répertoire, du style, du rôle et de la langue italienne. C’est peut-être la plus belle expérience que j’aie eue dans ma carrière. Ça a été un mois et demi de bonheur absolu. C’est une école de scénographie qui faisait la mise en scène. La production était assez simple, mais elle était belle, avec une distribution de qualité. Une partie de mes racines sont en Italie : j’ai donc pu en profiter pour aller à leur découverte. Visiter la ville et la maison de Rossini procure également une certaine émotion.
Figaro vous a ensuite apporté votre premier grand rôle à l’Opéra de Paris, puis vous a ouvert les portes de Covent Garden et de l’Opéra de Rome. Gardera-t-il une place importante dans vos prochaines saisons ?
Oh oui ! J’ai déjà au moins cinq productions prévues, principalement dans des maisons françaises. Ça restera donc mon rôle majeur. Il y aura peut-être même une version française !
Vous aurez ensuite une autre prise de rôle : celle de Zurga dans les Pêcheurs de perles au Théâtre des Champs-Elysées. Est-ce important de prendre les rôles en version concert avant de les porter en scène ?
Oui, c’est très bien car la prise de risque est moindre. Après, cela dépend du rôle : certains rôles ont besoin de la scène. Pour les rôles qui nécessitent plus de maîtrise vocale, musicale et expressive, cela permet de se concentrer sur son chant. Je travaille ce rôle avec mon professeur ainsi qu’avec Jean-Philippe Lafont, qui m’accompagne sur le répertoire français. C’est le baryton qui est le plus généreux pour moi : il aime donner et transmettre, sans nostalgie. Il le fait divinement bien, avec passion.
La distribution inclura Julie Fuchs et Cyrille Dubois : est-ce important pour vous de retrouver des chanteurs de votre génération, que vous connaissez bien ?
En effet, nous nous connaissons depuis très longtemps. Nous faisons partie des jeunes chanteurs français qui avons la chance d’être engagés souvent, et souvent ensemble. Plus nous nous entendons dans la vie, mieux nous nous entendons sur scène. Nous sommes d’ailleurs quelques-uns à être passés par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, ce qui est la preuve de sa qualité. Lorsque j’accepte un rôle, je demande toujours qui dirige, qui met en scène et quels sont mes collègues. Pour autant, cela ne compte pas dans ma décision : ce serait orgueilleux de ma part de refuser un rôle parce que je ne m’entends pas avec un collègue : cela reste mon métier !
Réservez ici vos places pour Les Pêcheurs de perles au TCE.
Vous finirez votre saison avec un récital à Orange : comment cela s’est-il décidé ?
Je devais faire une production à Orange qui a été annulée et n’a pas pu être remplacée. Du coup, Raymond Duffaut m’a proposé ce récital avant son départ. J’y reviendrai d’ailleurs dans une production.
Réservez ici vos places pour le récital de Florian Sempey aux Chorégies d’Orange.
Quel bilan faîtes-vous de votre carrière ?
Le 21 janvier, cela fera sept ans que j’ai débuté. Je suis très heureux de ces années. J’ai aussi découvert des difficultés du métier que je ne voyais pas au départ. Il y a dix ans, j’ai vu une émission sur Natalie Dessay, lorsqu’elle s’est faite opérer des cordes vocales. Elle y parlait, les larmes aux yeux, de la difficulté du métier. Je ne comprenais pas car je ne rêvais que d’être à sa place ! Aujourd’hui que je fais ce métier, je comprends mieux : on y prend énormément de plaisir, mais la vie personnelle pâtit de ses exigences.
Vous arrive-t-il de regretter d’avoir choisi cette voie ?
Non, mais je regrette de ne pas avoir réduit le nombre de productions : vous n’imaginez pas combien mes quatre prochaines saisons sont chargées. Je suis un homme de parole, je ne veux donc pas annuler des productions que j’ai acceptées. Je vais tout faire du mieux que je le pourrais. Mais je vais maintenant être beaucoup plus sélectif dans mes choix. Lorsqu’on démarre, il y a un enthousiasme qui fait qu’on a envie de tout accepter. On a peur aussi de ne pas travailler assez. Une fois que la machine tourne bien, on regrette presque d’avoir accepté certaines choses car cela oblige parfois ensuite à refuser des propositions encore meilleures. À l’avenir, j’ai envie de pouvoir développer d’autres activités. L’année de mes trente ans se présente comme une année chargée et explosive. Je veux que ce soit aussi une année où j’apprendrai à structurer ma vie comme je l’entends. Mon bien-être est finalement le plus important et je voudrais garder du temps pour d’autres activités.
Quelles sont les autres activités que vous souhaiteriez développer ?
Je suis très intéressé par les traditions d'Asie redécouvertes au début du XXème siècle. J’aimerais donc développer cette activité, même si cela m’oblige à refuser des productions.
Dès lors que vous réduirez le nombre de productions, vos choix auront un caractère stratégique : quels sont les axes que vous souhaitez privilégier ?
Je ne compte pas faire évoluer mon répertoire avant une dizaine d’années. Je me restreins à tout ce qui est brillant. Je n’aborderai par exemple pas Don Giovanni avant dix ans. Dans le bel canto, je vais par exemple avoir un Lucia, qui correspond parfaitement à mes qualités, et des prises de rôles de Malatesta [dans Don Pasquale de Donizetti, ndlr] et d’Arturo dans Les Puritains de Bellini. Déjà, j’ai longuement réfléchi avant d’accepter le Bellini car ça n’est pas la même écriture. J’ai finalement étudié la partition en détail. Comme il n’arrivera que dans deux à trois ans, j’aurai encore mûri et j’aurai plus de trente ans, ce sera donc le bon moment. Le but ultime, qui n’arrivera probablement pas avant quinze ans, sera Nabucco : c’est le rôle verdien dont je rêve. En effet, en termes d’évolution de carrière, j’aimerai aller vers Verdi et les grands Puccini, mais ce virage ne se fera pas avant dix ans. J’y entrerai certainement avec Ford [dans Falstaff de Verdi, ndlr].
D’ici-là, il y aura forcément une progression dans le choix des rôles. Avant Verdi, j’irai peut-être vers des rôles un peu plus lourds chez Rossini, comme Guillaume Tell, qui fait partie de mes objectifs, ou bien dans le répertoire français, comme Dinorah dans le Pardon de Ploërmel [de Meyerbeer, ndlr] qui n’est jamais programmé mais qui est magnifique. Quand ces rôles arriveront, je saurai qu’un tournant approchera.
J’ai trois exemples parfaits : Ludovic Tézier, Sherrill Milnes et Leo Nucci. Ils ont tous les trois gardé leur brillance grâce à une grande intelligence dans le choix du répertoire. J’admire aussi leur simplicité dans leur manière de chanter, ce qui est très important, surtout chez Mozart : ils gardent une grande fluidité et à aucun moment on ne perçoit la difficulté. Plus ma voix restera brillante, plus elle pourra élargir sereinement son assise, et éviter de perdre sa cohérence sur la tessiture.
Lorsque vous interprétez un rôle, comment faites-vous pour vous défaire des interprétations de référence que vous avez en tête ?
Il faut partir de la partition et l’analyser dans tous ses détails. Quand je vais chanter un rôle, je joue d’abord la partition. Je ne l’écoute avant que si c’est vraiment trop difficile. Dans la vie, j’écoute très peu de voix d’hommes. Tous les jours en revanche, j’écoute des voix de femmes, qui m’inspirent beaucoup plus techniquement que ne le font les hommes. J’écoute notamment des interprétations de Mariella Devia ou d’Eva Podles.
Comment réfléchissez-vous vos prises de rôles ou vos débuts dans de nouvelles maisons ?
Une prise de rôle, c’est une prise de risque : il vaut mieux la faire dans une maison peu exposée, avec une jauge limitée. Le problème n’est pas tant la critique en elle-même -quand on se trompe, on le sait !- mais leur exposition. Par exemple, prendre Dandini à Limoges est une opportunité parfaite : prendre ce rôle au Metropolitan ou dans une maison dont la moitié de la salle est remplie de journalistes et de directeurs de théâtre le soir de la première me semblerait dangereux. En revanche, une fois la prise de rôle effectuée, c'est bien de le reprendre dans une maison prestigieuse. Ce sera d’ailleurs le cas pour Dandini !
Vous faites aujourd’hui partie des jeunes artistes lyriques français les plus demandés : quelle est votre ambition à moyen terme ?
Ma première ambition est de faire mon travail du mieux que je peux. Je ne rêve pas de projecteurs et de paillettes. Si ça vient, tant mieux. Mais si ça ne vient pas, je me dis que ça viendra plus tard. Personne n’est irremplaçable, ni les artistes, ni les directeurs d’opéra. Le seul endroit où je rêve vraiment de chanter, c’est au Festival de Santa Fé, car le lieu est extraordinaire et magique. Je n’ai encore jamais été aux Etats-Unis. J’ai eu des propositions de Washington et de Chicago que j’ai dû refuser pour des questions de calendrier : mes débuts aux Etats-Unis ne sont donc pas encore programmés, mais cela viendra. Si le Metropolitan me propose quelque chose, je serais vraiment aux anges, mais si ça ne vient pas, ce n’est pas grave.
Si vous n’aviez pas été chanteur, qu’auriez-vous voulu être ?
Égyptologue, car je suis passionné par l’Egypte. Quand j’étais enfant, je demandais à chaque Noël des livres, des CD-Rom, des statuettes, etc. J’aurais aussi pu être professeur de musique dans un collège ou un lycée. La transmission me tient à cœur. C’est le rôle d’un artiste de transmettre. Il n’est pas là pour lui : on chante pour donner.
Dans l’interview qu’elle nous a accordée (à lire ici), Nadine Sierra disait avoir pour ambition première d’enregistrer un album. Est-ce aussi quelque chose d’important pour vous ?
Oui, mais maintenant que tous mes moyens sont là. Je prévois d’ailleurs de faire un album, même si rien n’est signé pour l’instant. Nous avons a priori un label. Le projet est à peu près défini et nous attendons la confirmation de l’orchestre et du chef d’orchestre. J’aime que ça vienne pour l’année de mes trente ans : j’ai tous les avantages de la jeunesse mais aussi l’expérience dont j’ai besoin. Et puis on ne sait jamais de quoi demain sera fait. C’est le bon moment pour graver tout ce que je sais faire, du mieux que je peux le faire.
Dans votre répertoire, quel est le rôle que vous préférez ?
Mon cœur balance entre Figaro dans le Barbier, pour son aspect comique, et Enrico dans Lucia, pour l’engagement scénique, l’ancrage du personnage et l’aspect très brillant de la partition. J’aime aussi le Comte [dans les Noces de Figaro de Mozart, ndlr], pour les mêmes raisons. J’aime faire des méchants. Faire Scarpia [dans Tosca de Puccini, ndlr] me plaira, mais dans vingt ans. Il s’agit d’un rôle trop sacré pour l’instant, mais je pourrai y prendre beaucoup de plaisir.
Quels sont les autres Puccini qui vous attirent ?
J’aime bien Sharpless dans Madame Butterfly : ce sont de très belles lignes mélodiques. Je vais aussi faire Schaunard dans La Bohème à Covent Garden à la rentrée, dans une nouvelle production avec Antonio Pappano. Ce sera également une échéance. Je préfère pour l’instant faire Schaunard plutôt que Marcello à Covent Garden car la prise de risque est moindre dans un premier temps. Mais Marcello viendra un jour aussi.
Pour ne rien manquer de l’actualité de Florian Sempey, ajoutez-le à vos favoris Ôlyrix (bouton en haut de sa page).