Giampaolo Bisanti, Directeur musical de l'Opéra de Liège : "déployer le répertoire"
Giampaolo Bisanti, comment concevez-vous le poste de "Directeur musical" et en particulier le vôtre, à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège ?
J'ai accepté avec beaucoup de plaisir de devenir Directeur musical de cette institution car j'ai tout de suite aimé les qualités de cette maison, de ce théâtre d'opéra. J'ai accepté ce poste pour m'y engager pleinement. De mon point de vue, le Directeur musical, ce n'est pas simplement celui qui dirige davantage de titres durant la saison qu'un des autres chefs invités, mais quelqu'un qui se dévoue, qui se consacre entièrement à son Théâtre. C'est une figure artistique qui reste en contact étroit avec les personnels, qui aide aux choix musicaux, et qui planifie avec le Directeur général et artistique les meilleures orientations à opérer pour la maison.
Pour moi, il doit surtout être une référence pour l'Orchestre et le Chœur qui sont les fleurons de toute maison d'opéra. Il doit savoir écouter les demandes, les éventuels problèmes, et tout ce qui peut améliorer le travail du personnel et la qualité du résultat artistique. À Liège, il y a pour ce faire une très belle harmonie dans le Théâtre.
Comment avez-vous initié le travail musical que vous souhaitez faire avec l'Orchestre durant votre mandat et quels sont vos objectifs sur ce plan ?
Depuis quelques mois, j'ai organisé des séances de travail avec l'orchestre (des séances de pur travail, sans qu'il s'agisse de répétition pour un concert en particulier), afin de construire ensemble (et dans le détail) le son commun que nous voulons continuer de déployer, pour toujours sculpter notre identité (chaque grand orchestre dans le monde en possède une). L'Orchestre de Liège a un son plein de vitalité et d'élégance, d'énergie et de dynamisme, un son très italien et pour cause : je connais depuis longtemps et personnellement mes deux collègues qui m'ont précédé à ce poste de Directeur musical. Paolo Arrivabeni et Speranza Scappucci, deux chefs italiens, très sérieux et très compétents, ont travaillé sur la richesse et le raffinement du son. L'Orchestre est aussi plein d'énergie, très à l'écoute pour déployer de grandes dynamiques.
Notre orchestre possède ainsi d'excellentes qualités que nous développons au cours de notre collaboration : c'est un orchestre ductile, très rapide pour la lecture, extrêmement apte à sentir les observations du chef d'orchestre. Notre orchestre se caractérise par des sections de plus en plus denses. Nous travaillons sur l'homogénéité du son, sur l'harmonie des différentes sections et, peut-être le plus important, sur la capacité d'écouter et de réagir aux besoins des chanteurs sur scène.
Mon objectif est de continuer à travailler sur cette qualité de notre orchestre qui est déjà très haute, exceptionnelle (c'est cette qualité qui est appréciée par le public) et je souhaite continuer de la déployer sur un répertoire plus vaste, s'ouvrant davantage encore. Nous avons ainsi répété ensemble, durant ces pures séances de travail, un vaste répertoire : du bel canto italien qui est notre marque de fabrique bien entendu, mais aussi du répertoire français, allemand. Nous prenons aussi le chemin du répertoire russe.
Je vise la meilleure qualité de son de l'orchestre, déployée à travers la richesse du répertoire d'opéra. Les musiciens suivent pleinement ce parcours et je suis très déterminé à travailler dans ce but.
Est-ce que les qualités de l'Orchestre vous avaient déjà marqué lorsque vous l'avez dirigé les premières fois comme chef invité, et est-ce cela qui vous a donné envie d'en devenir Directeur musical ?
Tout à fait. Dès la première fois que j'ai dirigé à Liège, en 2017 pour Rigoletto de Verdi, puis lorsque je suis revenu en 2019 pour Anna Bolena de Donizetti et d'autres rendez-vous musicaux ensuite, j'ai été impressionné par le professionnalisme, l'assiduité et la préparation de cet orchestre et de ce chœur.
Je suis très heureux d'en être devenu Directeur musical, dans ce moment où nous allons pouvoir déployer toutes leurs qualités sur un panorama plus large encore. Notre ouverture plus large au répertoire international résonne d'ailleurs aussi avec le fait que nos phalanges musicales liégeoises sont de plus en plus reconnues à l'étranger : je peux en témoigner en tant que chef fréquemment invité dans les plus prestigieuses villes d'opéra.
Liège est pour moi reconnu comme un des théâtres les plus importants d'Europe.
L'Opéra de Liège est spécialiste dans les résurrections, et les retours à l'affiche d'opéras notamment du jeune Verdi. Comment avez-vous vécu le retour d'Alzira en fin d'année dernière ?
Alzira a représenté mes débuts officiels en tant que directeur musical. Ce fut une production heureuse, je dirais même chanceuse parce qu'elle réunissait d'excellents chanteurs, très demandés dans le répertoire de Verdi, mais également -voire plus encore- parce qu'ensemble nous avons ainsi pu dissiper la mauvaise réputation de cet opus (que Verdi lui-même a contribué à déconsidérer). Mais nous avons justement pu en montrer toutes les qualités. Nous avons travaillé dur pour trouver les bonnes couleurs, le bon rythme narratif et pour mettre en valeur la musicalité qu'il contient, à commencer par l'Ouverture Symphonique. Ce passage a d'emblée impressionné les critiques, avec son caractère ambivalent, à la fois guerrier et sentimental. Les fins des actes méritent également d'être mentionnées, en particulier celle du deuxième acte, un crescendo vraiment accompli de sentiments et de drame.
Dans la foulée, au début de cette année 2023, vous avez dirigé La Somnambule de Bellini : comment s'est passé ce retour au cœur bel cantiste de l'opéra ?
La sonnambula a été un véritable feu d'artifice de beauté et un immense succès. Une fête du bel canto grâce à la qualité de chanteurs tels que Jessica Pratt, René Barbera, Marina Monzó et Marko Mimica. Des chanteurs de grande valeur sont un élément essentiel pour des opéras comme celui-ci. Malgré une intrigue et une dramaturgie qui ne sont pas des plus captivantes, cet opéra vise directement le cœur de l'auditeur avec un tourbillon de sentiments, de passion et de prouesses techniques. C'est tout cela, et comme toujours le lien à la vocalité qui nous a guidés. Comme dans tous les opéras bel canto, l'attention du chef d'orchestre doit garantir la sérénité de l'interprète, qui doit faire preuve d'une imagination extraordinaire pour donner vie à des personnages et à des situations qui ne s'inscrivent pas dans des expériences de vie reconnaissables. Cette opération a parfaitement réussi.
Comment se fait le travail avec le Directeur général et artistique de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège, Stefano Pace ?
Le travail avec Monsieur Pace est extraordinaire. Nous avons immédiatement trouvé harmonie et compréhension. Nous sommes en communication permanente, y compris à distance (lorsque je suis invité à diriger dans d'autres maisons par exemple). Nous parlons de tout, nous échangeons sur tous les sujets et il est très agréable et positif d'avoir tout le soutien du Directeur et de toute l'équipe du Théâtre. Stefano Pace est un grand professionnel, doté d'une grande expérience à travers le monde. Il connaît parfaitement le métier, notre collaboration est donc d'autant plus agréable et très efficace. Sous son impulsion, nous avons ainsi décidé d'élargir le répertoire. Il a choisi beaucoup de nouveaux titres pour l'Opéra Royal de Wallonie-Liège en me demandant à chaque fois (mais je suis toujours d'accord avec lui). Sur la composition même de l'Orchestre, qui se reconfigure par les recrutements de nouveaux musiciens en remplacement des départs, nous avons déjà organisé de nombreux concours, nous avons choisi beaucoup de violons, violoncelles, prochainement encore un violoncelle, le troisième cor, et d'autres musiciens l'année prochaine. L'Orchestre est jeune, très énergique, content d'aborder des répertoires, heureux de jouer et tout cela se ressent dans le son. C'est aussi et pleinement cela l'identité de notre orchestre.
Quels sont pour vous les critères essentiels lorsque vous recrutez un musicien ?
La formation et la préparation technique sont très importantes, la connaissance des traits d'orchestre également [les traits d'orchestre sont les passages virtuoses les plus fameux dans le répertoire de chaque instrument, ndlr]. Nous sommes un orchestre d'opéra et nous avons besoin de musiciens qui connaissent le répertoire, c'est le plus important pour moi (spécialement pour les cordes).
Quel travail menez-vous avec le Chœur de votre nouvelle maison ?
Nous avons pour cela un fantastique chef de chœur. Denis Segond est un professionnel très sérieux et très préparé. Il connaît les opéras par cœur et nous dialoguons constamment. C'est un plaisir de travailler avec lui, et avec le chœur de très bon niveau qu'il prépare. Le travail est en somme extraordinaire, comme avec Stefano Pace.
Quels sont vos apports et vos orientations dans le choix des solistes, des chefs invités, voire des metteurs en scène qui sont programmés ?
Nous choisissons tout simplement les meilleures distributions et les meilleurs chefs d'orchestre, pour le public, pour l'orchestre, pour le rayonnement de la maison. Nous voulons donner et présenter à nos musiciens et au public les meilleurs artistes. C'est très important pour la qualité et l'enthousiasme, en fosse et en salle. Pour ce faire, nous les sollicitons très tôt, et ils acceptent car ils connaissent les qualités de la maison et le plaisir d'y travailler (pour l'ambiance et la qualité du travail : nous disposons de 20 à 25 jours de travail pour chaque production). Concernant les mises en scène, les choix sont faits par Stefano Pace, qui est un expert en la matière, de par son parcours et son expérience dans les grandes maisons d'opéra. J'apprécie beaucoup ses choix, comme c'est le cas (pour ne citer que les deux productions qui ouvrent notre saison) avec Idomeneo et Le Barbier de Séville. Elles sont novatrices et traditionnelles : c'est la signature de la maison. De surcroît, les metteurs en scène engagés par la maison sont des personnes très agréables dans le travail, très collaboratives.
Dès la fin de notre entretien vous retournez répéter Le Barbier de Séville dont la première a lieu ce 18 octobre. Comment se passe le travail pour ce spectacle ?
Wow, très bien ! La production s'annonce brillante. Comme toujours nous voulons offrir au public le niveau le plus élevé possible. Nous avons là encore pu le faire, et même en engageant deux distributions de haut niveau international. Ce Barbier sera frais, jeune et brillant comme la musique de Rossini. Avec les chanteurs et les musiciens, je travaille toujours dans la rigueur, l'harmonie et la joie, afin de créer une atmosphère qui leur permette de se sentir détendus et soutenus.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a mené jusqu'à ce poste de Directeur musical ?
Je vois mon parcours comme une succession d'étapes formatrices, de paliers gravis. Ce poste à Liège est ainsi le niveau supérieur de toute ma carrière commencée très tôt.
Je suis l'aîné d'une famille de 11 enfants, qui compte quatre musiciens. Mon père était un grand amateur d'opéra, ce qui m'a donné l'envie de la musique, mais mon parcours a été forgé par une série de décisions, de volontés de ma part. J'ai ainsi décidé de jouer de la clarinette durant mon enfance. J'ai voulu devenir chef d'orchestre à 14 ans lorsque j'ai assisté à un concert du Wiener Philharmoniker dirigé par Claudio Abbado à La Scala de Milan.
J'ai alors dit que je me voyais devenir chef d'orchestre [sourires]. J'ai suivi de nombreux cours de direction d'orchestre, j'ai étudié au Conservatoire de Milan, à l'Académie musicale de Pescara et à l'Académie Chigiana de Sienne, en compagnie de grands maîtres tels que Iouri Aronovitch. J'ai remporté trois concours internationaux de chefs d'orchestre, dont le concours Dimitri Mitropoulos d'Athènes à 25 ans. Surtout, j'ai eu la chance de commencer à diriger très jeune, en province puis progressivement dans les grands théâtres italiens, et puis dans ceux du monde. En 2022, finalement, j'ai fait mes débuts à La Scala de Milan avec Adriana Lecouvreur et durant la même saison Un Ballo in maschera. Cette année j'ai dirigé Macbeth avec Anna Netrebko et Luca Salsi. Je suis très heureux car au cours de la saison 2023-2024 j'y dirigerai également Cavalleria Rusticana & Pagliacci (et de nombreux autres débuts sont prévus pour la suite : je suis invité à travers l'Europe, au delà de l'Atlantique et de l'Océan Indien). J'ai ainsi travaillé, pas à pas, étape par étape, par expériences successives ce qui est essentiel pour un chef.
Vous êtes également invité dans d'autres opéras prestigieux. Pour ce qui concerne la France, quels souvenirs gardez-vous de vos débuts au Théâtre du Capitole de Toulouse (pour Norma en 2019) et à l'Opéra de Paris (pour L'Élixir d'amour en 2021) ?
Je m'en souviens avec émotion. Jusqu'alors, j'avais travaillé dans les plus grands théâtres européens, j'avais conduit des concerts à la Philharmonie de Paris et au Théâtre des Champs-Élysées (dans ces deux théâtres, j'ai pu travailler avec des ensembles de haut niveau et des chanteurs exceptionnels) mais je n'avais pas encore dirigé de production d'opéra en France.
L'Opéra national de Toulouse et celui de Paris sont des maisons qui marquent immédiatement par la grande qualité de leurs ensembles orchestraux et choraux. C'était aussi ma grande rencontre avec le public français passionné de théâtre lyrique et je suis heureux de pouvoir y revenir avec d'autres productions dans un avenir proche.
Pour nous projeter vers les productions que vous dirigez cette saison à Liège et dans cette démarche d'ouverture, vous conduisez, après Le Barbier de Séville de Rossini, Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach. Quelle version avez-vous choisie pour cet opéra en français et inachevé ?
J'ai beaucoup travaillé sur Les Contes d'Hoffmann et sur ses différentes versions. Nous avons choisi une version qui vient de Tel Aviv, celle utilisée pour la mise en scène de Stefano Poda que nous présentons ici. La partition est prête, les interprètes également. C'est une version qui réunit plusieurs versions d'une manière très organisée, et chantante. Jessica Pratt (qui a chanté à Liège avec moi dans La Somnambule) chantera les quatre grands rôles féminins, aux côtés d'Erwin Schrott en quatre diables et du ténor Celso Albelo dans le rôle-titre : de grands noms là encore.
En début d'année prochaine, l'entrée au répertoire maison de la Rusalka de Dvořák marque-t-elle particulièrement cette ouverture esthétique que vous souhaitez ?
Absolument. Le répertoire italien représente 80% des répertoires d'opéra à travers le monde mais nous avons effectivement choisi de déployer davantage notre palette. C'est pour cela que je dirige Rusalka, opéra emblématique et le plus représentatif selon moi du répertoire tchèque. C'est un opéra très musical tout du long. La musique de Dvořák est constamment superbe ! Cet opéra combine le savoir-faire musical et lyrique. Comme la plupart de ses collègues à la fin du XIXe siècle, Dvořák s'inspire aussi du théâtre de Wagner (on entend par exemple dans cet opéra des échos de l'accord de Tristan). Nous allons aussi souligner combien ce conte de fées lyrique a une dimension sentimentale et symbolique.
D'autant que c'est une occasion d'inviter à Liège Corinne Winters dans le rôle-titre, la meilleure au monde aujourd'hui selon moi pour ce répertoire (je l'ai entendue en Katia Kabanova au Grand Théâtre de Genève, l'occasion d'admirer ses superbes qualités). Elle est entourée de solistes spécialisés dans ce répertoire et nous avons également décidé d'engager un coach de langue pour les chanteurs qui ne sont pas tchèques ainsi que pour moi : pour allier la prononciation et la musique de cette langue. Je parle italien, allemand, anglais, un peu espagnol, un peu russe, j'apprends le français en partant de zéro [nous dit-il dans un français déjà remarquable comme durant toute cette interview, ndlr]. Mais à 51 ans et avec tout mon travail je suis hélas trop vieux et trop occupé pour apprendre une nouvelle langue [sourires].
Le 3 février 2024, vous dirigez à l'Opéra de Liège un concert "Puccini, 100 ans d’héritage". Comment avez-vous choisi le programme ?
Il convient de rendre hommage à Giacomo Puccini à l'occasion du 100ème anniversaire de sa mort. L'Opéra Royal de Wallonie-Liège a décidé de proposer une soirée spéciale avec un programme particulièrement choisi en offrant au public l'opéra Le Villi ainsi que la Messa di Gloria, sous forme de concert.
Puccini a écrit Le Villi peu après avoir obtenu son diplôme de composition au Conservatoire de Milan. Nous la réunissons avec une autre œuvre de jeunesse (que Puccini a composée pour son examen de fin d'études à l'Istituto Musicale di Lucca), ce qui permet d'une certaine manière de revenir aux sources de son génie pour cette commémoration, de voir combien sa grandeur se manifeste déjà : sa Messa di Gloria, composée en 1880 (qui est toutefois largement jouée dans le monde). Il s'agit d'une messe complète, l'une des rares œuvres de Puccini pour le genre sacré. C'est l'occasion de ressentir sa spiritualité, à tel point que la partie finale de la messe a fait dire à certains que Puccini y médite et nous y fait méditer. Puccini a par la suite utilisé certains de ses thèmes dans des opéras (l'Agnus Dei pour Manon Lescaut et le Kyrie pour Edgar).
En février/mars 2024 vous dirigez Falstaff, que souhaitez-vous montrer à Liège de cette partition, de ce riant testament Verdien ?
Je veux précisément souligner, par ma lecture musicale, le sentiment d'angoisse qui émane de cette partition. Cet opéra (son dernier) permet de comprendre ce que Verdi a essayé de réaliser à plusieurs reprises, en commençant par Macbeth : exprimer et presque expliquer en langage musical, dans toute sa richesse de personnages et d'expériences, dans toute sa plénitude, l'univers du plus grand dramaturge de la littérature mondiale : Shakespeare.
La place de Falstaff dans l'histoire de l'opéra découle non seulement de sa musique inégalée, mais aussi, dans une large mesure, du livret de Boito, qui a magistralement transformé la pièce de Shakespeare, sans sacrifier les dimensions théâtrales du sujet. L'originalité de Falstaff réside dans le fait que sa sérénité bouleversante n'est jamais optimiste, mais à l'opposé du tragique, auquel elle est inextricablement liée. Dans ce dernier opéra, Verdi, le grand tragédien du théâtre musical a voulu faire sienne une attitude de supériorité rieuse, qui conçoit la vie entière comme une comédie et le rire comme l'ultime recours des sages. La musique de Falstaff se distingue par une riche inventivité, un brio et un accent de fraîcheur juvénile, et en même temps par une maturité technique et une maîtrise compositionnelle extraordinaires : là aussi, ce sont toutes ces dimensions qui vont nous guider dans le travail avec l'Orchestre.
L'Orchestre joue un rôle important et nouveau dans Falstaff : il ne se contente pas de créer une base harmonique ou une toile de fond évocatrice pour les événements scéniques et les voix des chanteurs, mais il participe, pour ainsi dire, en commentant et en caricaturant, en accompagnant l'action avec une capacité de représentation gestuelle très incisive. Cet orchestre (qui est aussi le nôtre à Liège), qui sait si bien murmurer, sourire, crier et même gesticuler de manière amusée, est pour l'essentiel traité par Verdi avec une grande transparence, où les instruments à vent en particulier sont mis en valeur de manière soliste. Verdi fait ses adieux à la dimension terrestre, en nous laissant une dernière leçon. "Tutto nel mondo è burla" (Le monde entier est une farce). Essayons de vivre sans nous prendre trop au sérieux !
En août dernier vous avez inauguré une nouvelle proposition à Liège : une Masterclass de Direction d’Orchestre d’Opéra. Pouvez-vous nous dire quels en sont les objectifs et si cette initiative aura des lendemains ?
Cette Masterclass consacrée à la direction d'orchestre d’opéra a été l'une des meilleures expériences de ma vie et je remercie M. Pace d'avoir accepté ce nouveau projet (nous avons l'intention de répéter régulièrement cette initiative à l'avenir). Ce fut un événement unique, car j'ai sélectionné cinq jeunes chefs d'orchestre parmi plus de 100 candidatures reçues au théâtre. Ces jeunes ont eu l'occasion de travailler du matin au soir pendant cinq jours avec des chanteurs solistes, notre Chœur et Orchestre sur des ouvertures d'opéra et des scènes lyriques (Lucia di Lammermoor, I Capuleti e i Montecchi, Traviata, etc.). Cela leur a permis d'entrer en contact avec le côté pratique de cette profession, qui leur servira dans leur carrière. Ils ont travaillé séparément avec les chanteurs et le chœur pour développer un sens de la concertation, du style et du métier de chef d'orchestre. Je leur ai enseigné l'importance de la synthèse, car nous vivons à une époque où le monde va très vite. Il y a de moins en moins de répétitions disponibles (Liège fait en cela figure d'heureuse exception), il est donc très important d'être clair sur la direction de l'œuvre et sur l'économie du temps.
J'ai été soutenu par plusieurs mentors lorsque j'étais jeune chef d'orchestre et je pense que les jeunes talents devraient être soutenus à un moment où ils luttent pour s'établir et se faire remarquer. Cette expérience m'a beaucoup fasciné et j'aimerais avoir plus d'occasions dans mon avenir de promouvoir les carrières des jeunes talents.
Avez-vous eu le temps d'apprécier la ville et la vie à Liège ?
Si, auparavant, je n'étais venu qu'en tant qu'invité, aujourd'hui, en tant que directeur musical, disposant de plus de temps, j'ai pu apprécier la beauté de la ville de Liège, en particulier l'architecture et les recoins cachés, ainsi que la gentillesse des gens (et, enfin, la bière, qui est vraiment bonne ici !). Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, notre public est extraordinaire : participatif, enthousiaste, et sachant reconnaître la qualité. L'affluence du public à tous les spectacles est un miroir de la qualité que l'ORW sait leur proposer.