Franco Fagioli : « Je nomme “miracle” le fait d'avoir pu travailler ainsi »
Franco Fagioli, vous êtes à l'affiche du Roméo et Juliette de Zingarelli à l'Opéra Royal de Versailles du 18 au 22 octobre 2023. Cet opéra est associé au castrat Girolamo Crescentini (1762-1846) qui l'a créé en 1796 à La Scala de Milan, et qui a profondément marqué Napoléon Bonaparte. Vous êtes vous-même connu pour reprendre les répertoires des castrats. Avez-vous d'abord connu ce chanteur ou cet opéra ?
D'habitude en effet lorsque je travaille sur du répertoire, je connais déjà le castrat qui a chanté le rôle (j'ai déjà fait sa connaissance, historiquement parlant), puis je travaille la musique. Mais cette fois c'était différent.
Cette œuvre, Giulietta e Romeo de Zingarelli est venue à moi avec une invitation au Festival de Pentecôte de Salzbourg dirigé par Cecilia Bartoli. Pour cette édition 2016, elle présentait une programmation en lien avec les figures de Roméo et Juliette. J'ai d'abord été invité, sur le principe peut-être pour un récital mais finalement nous avons fait un opéra en version de concert : cet opéra par lequel j'ai découvert le répertoire et la figure de Crescentini. Cette pièce magnifique est l'une des premières partitions dédiées à Roméo et Juliette à atteindre une telle renommée et un tel intérêt (avant les opéras de Bellini et de Gounod), un grand intérêt pour le public ainsi que pour les interprètes : avec Crescentini mais aussi la Malibran, qui a grandement contribué à rendre célèbre ce rôle de Roméo.
Cet opéra a ainsi plusieurs versions, avec différents changements, mais nous avons présenté la première, celle d'origine de Crescentini qui m'intéresse le plus. C'est un peu comme pour l'Orfeo de Gluck dont il existe beaucoup de versions (mais la première fut écrite pour castrato). Je parle toutefois pour mon rôle car chaque chanteur a différentes arias de différentes versions disponibles pour choisir ce qui (lui) convient le mieux.
Nous n'avons hélas plus eu l'occasion de représenter cet opéra... jusqu'à ce que je reçoive l'invitation de Versailles en lien avec l'anniversaire de Napoléon qui admirait Crescentini. À Versailles, nous faisons également la version de Milan (la première) avec des ajouts de versions ultérieures, pour en faire une version pour nous.
Le Bicentenaire de la mort de Napoléon Ier étant tombé en 2021 en période de Covid, vous n'avez pas pu proposer cet opéra au public comme vous le ferez désormais et dans une version mise en scène, mais vous avez pu l'enregistrer. Comment avez-vous vécu ce moment ?
C'était un miracle car nous avons interprété et enregistré l'œuvre en concert au milieu de la pandémie à huis clos à Versailles, et puis il a tout de même été décidé de représenter ensuite l'opéra mis en scène, ce dont je suis ravi : Roméo est un grand rôle et je ne prévois pas de chanter celui de Bellini ou de Gounod [sourires].
Je nomme "miracle" le fait d'avoir pu travailler ainsi durant ces périodes si compliquées, où les théâtres restaient fermés. Je ressens beaucoup de reconnaissance d'avoir pu ainsi continuer, aller de l'avant et dans un lieu tel que celui-ci.
Nous avons enregistré l'opéra au disque ainsi qu'une vidéo de la sublime aria "Ombra adorata aspetta", que j'ai interprétée dans cette immense Salle du Sacre de Napoléon au Château de Versailles, devant le tableau du Couronnement de l'Empereur. C'était déjà une manière d'incarner Romeo, et Crescentini le chanteur préféré de Napoléon.
Cet album et cette vidéo ont ainsi été enregistrés pour pouvoir être partagés au grand public, et maintenant nous allons pouvoir présenter la version mise en scène.
Qu'est-ce qui vous attire dans cette œuvre et le fait d'incarner ce rôle avec une mise en scène ?
J'étais très attiré par le fait d'interpréter Roméo. Beaucoup d'opéras ont été écrits sur cette histoire et avec ce personnage mais incarné par des femmes, mezzo-sopranos en travesti, ou des ténors. Et même si je pourrais chanter des arias de Roméo dans d'autres opéras, celui-ci de Zingarelli me donne la possibilité d'incarner le personnage sur scène.
Roméo est un personnage débordant de passions humaines, et dans ces cas, en tant qu'interprète, il faut canaliser les passions sinon elles vous dévorent. Roméo est un personnage incroyable et qui a beaucoup à nous apprendre.
C'est une histoire très connue bien sûr, il en existe de nombreuses versions mais je crois encore au théâtre comme le lieu de la catharsis (tel que conçu par les Grecs), ce qui implique d'avoir de nombreuses lectures possibles, mais pas toutes reliées à la réalité : de la part de créateurs (et cette histoire continue d'inspirer même Hollywood), des innombrables mises en scènes, et de la part du public (chacun se fait son histoire avec ce mythe (dans le sens où l’histoire parvient à chacun dans une relation pleine et entière avec la situation réelle de l’âme de chacun).
Le livret italien de cet opéra est signé Giuseppe Maria Foppa. Quelle version du mythe de Roméo et Juliette présente-t-il ?
Cette version s'inspire des auteurs italiens (qui ont eux-mêmes inspiré Shakespeare). Même Dante dans La Divine Comédie évoque ces familles, Capulet et Montaigu.
Par rapport à la version de Shakespeare, celle de l'opéra de Zingarelli a beaucoup moins de personnages et concentre bien davantage les passions (c'est ainsi que les opéras adaptent les histoires). Tout est ainsi limpide : entre ces deux très (trop) jeunes amants, la figure paternelle, le fiancé de Juliette, sa confidente, l'ami des deux familles.
Le drame finit comme chacun sait, mais chacun sait pourquoi, comme qui dirait dans "une série d'événements infortunés", une suite de décisions et de passions qui se mêlent (nous rappelant qu'il ne faut pas prendre de décision sous le coup de la passion, qu’il ne faut pas oublier de dominer ses passions avant toute chose). C’est difficile, je sais [rires] mais nous avons ce défi en tant qu’humanité… Courage !
Le livret de cet opéra est limpide, il suffit de le transmettre au public pour qu'il en profite pleinement.
Qu'avez-vous ressenti en découvrant et en travaillant la musique ?
Dès que j'ai étudié la musique, je l'ai beaucoup aimée. Cet opéra a déjà une empreinte esthétique du XIXe siècle : dans l'idée de l'opéra avec scènes, airs, cabalettes. Il n'est pas dans le style baroque ou même classique Mozartien : il tend vers la manière suivante d'écrire de l'opéra (et que mènera plus loin Rossini).
Cela a donc renforcé mon sentiment premier, cette joie d'incarner Roméo, avec cette très belle musique, avec ces très belles scènes, et dans la tradition des castrats.
Qu'est-ce que les connaissances sur le monde artistique de l'époque des castrats apportent à vos choix d'interprète ?
Zingarelli a écrit pour Crescentini, de la même manière que Porpora écrivait pour Farinelli, or, malheureusement, ces compositeurs ne sont plus présents pour écrire et adapter les partitions pour nous. Nous chantons des partitions qui ne sont pas écrites pour nous, et ce n'était pas le cas à l'époque (je ne dis pas que c'était mieux avant, mais il faut connaître les différences). Par le passé, les artistes travaillaient ensemble (et les fonctions n'étaient pas aussi définies séparément : le compositeur était aussi chef d'orchestre, claveciniste).
Le chanteur guidait l'écriture : le compositeur était au service du chanteur, il écrivait pour lui sur mesure.
C'est aussi pour cela qu'à chaque fois que nous interprétons une partition du passé, il faut savoir qu'elle a été écrite pour Farinelli, Carestini, Crescentini ou Caffarelli, vous pouvez alors vraiment connaître ces chanteurs, différemment, savoir quelles sont leurs caractéristiques.
L'écriture de Caffarelli par exemple était impressionnante en termes virtuosité, en altitude alors que les lignes pour Farinelli sont plus médianes avec des coloratures et arpèges non moins impressionnantes.
Il faut donc bien sûr que j'adapte ma voix à ces voix et à ces partitions. Ce sont des voyages dans lesquels nous nous plongeons à la lumière de ces fonctionnements et de ces connaissances qui nous éclairent pour comprendre : les interprètes et les œuvres.
De surcroît, il ne faut pas oublier que la partition écrite par les compositeurs était seulement un guide pour le chanteur : ce n'était pas une obligation absolue. Parfois même, la chose écrite peut être ennuyeuse, car il ne faut pas chanter seulement ce qui est écrit : le chanteur venait l'embellir (nous le savons aussi grâce à des manuscrits où sont notées des variations de Crescentini, de Malibran : c'est aussi de cette manière que nous pouvons savoir ce que voulait le compositeur et comme il faut le chanter).
Est-ce que cette partition et donc la vocalité de Crescentini vous convient particulièrement par rapport aux autres rôles de castrats que vous avez interprétés ?
Les partitions écrites pour Carestini me vont très bien, comme celles de Farinelli (et j'ai consacré aussi un album à Caffarelli dont les difficultés sont extrêmes).
L'écriture de Zingarelli pour Crescentini convient également tout à fait à mon chant, il me va très bien en voix, en gorge : je dois donc les remercier tous les deux, d'avoir forgé ce magnifique rôle de Roméo.
Comment définiriez-vous le style de ce compositeur et de cette œuvre ?
Les parties de Crescentini dans cette partition font le chemin depuis Gluck et Mozart vers Rossini, Donizetti, Bellini et le bel canto du XIXe siècle.
Or j'ai justement appris à chanter principalement dans ma ville, à San Miguel de Tucumán avec une soprano, et plus tard avec un baryton au Teatro Colon de Buenos Aires qui est une maison d'opéra d'une grande tradition italienne : j'y ai donc appris l'Opéra italien. Je me sens donc très à l'aise avec le style d'inspiration bel cantiste du XIXe siècle. J'ai chanté des arias de Rossini, avec beaucoup de plaisir. J'aime donc cet opéra Giulietta e Romeo qui s'approche du bel canto opératique.
J'ai d'ailleurs de futurs projets de musique bel canto du XIXe siècle.
Qu'est-ce que cela apporte de chanter une œuvre à Versailles, et qu'y ressentez-vous ?
Tout artiste ayant la possibilité de travailler dans ce palais en ressent la magie : c'est précieux pour tout le travail et pour chaque rôle, notamment pour des rôles tels que Roméo. Cette production est à nouveau un grand projet de Versailles et je l'ai donc rejointe avec enthousiasme et évidence.
Ces lieux immenses font tout leur effet, et y incarner Roméo est une expérience exceptionnelle.
Lorsque je suis invité à chanter à Versailles dans cet endroit magnifique, je me connecte avec le lieu et son histoire : cela me rappelle aussi ce passé où les chanteurs étaient au service d'un lieu, d'un roi et accomplissaient leur devoir (aujourd'hui nos statuts et traitements sont différents mais j'aime ainsi me concentrer sur ma mission, sur ce que je sais faire : je chante, et dans ce lieu magnifique que j'adore).
Je me sens très à l'aise dans cette fonction, c'est pourquoi je reviens dans ce lieu. Chacun a sa vision et sa lecture de ce lieu si spécial, telle est la mienne, connectée à son passé. Car c'est ce qui me connecte aux artistes : à Crescentini, Zingarelli. Les musiciens étaient des ouvriers de l'art. Aujourd'hui nous avons les divos, les divas (et très bien) mais j'aime garder la conscience de l'histoire de cet art. L'opéra était d'abord un art des hommes libres (de l'aristocratie), puis il est devenu un art populaire. Désormais c'est un mix entre art supérieur et divertissement.
Quels sont vos liens avec Versailles ?
J'ai une longue et puissante relation avec Versailles. Je connais depuis longtemps Laurent Brunner [Directeur de Château de Versailles Spectacles, ndlr] et il aime, il adore le Spectacle (avec de grandes voix bel cantistes). Et pour s'assurer de la qualité du spectacle, il est là, présent, toujours engagé, ce qui n'est pas si commun et je l'apprécie beaucoup. Cela permet de créer dans cette belle ambiance de travail. Et cela se ressent pour le public : c'est donc gagnant-gagnant. J'ai donc toujours plaisir à retourner à Versailles, je m'y sens bien et j'espère continuer à y aller aussi régulièrement.
Vous considérez-vous comme un chanteur spectaculaire (ce qui est le cas à en juger par votre déploiement expressif et l'effet sur le public) ?
Non je ne peux pas me considérer ainsi : je fais ce que je sais faire. La musique est une chose très puissante : l'interprète en est donc un instrument. Le musicien la produit mais en étant un intermédiaire. La dimension spectaculaire est créée à l'extérieur, à la sortie : j'en suis un instrument, la musique me traverse, passe à travers moi. Je mets mon corps et mon âme à son service et ce qui est ainsi produit à l'extérieur de moi est la part mystique.
Vous avez déjà tissé des liens forts avec le Bayreuth Baroque Festival, depuis sa création en 2020. Pourquoi n'y chantez-vous pas cet été, pour la première fois ?
Parce que je suis engagé dans Roméo et Juliette à Versailles : nous avons le travail de préparation et de répétition.
Le Bayreuth Baroque Festival est un Hit. C'est une grande chance pour les gens de connaître le répertoire baroque, les merveilles musicales napolitaines. Le théâtre est incroyable, très beau : c'est toujours un moment spécial que d'y chanter notamment pour qui s'intéresse aux lieux et à leur histoire comme moi...
J'espère que cette aventure continuera ainsi car c'est une grande chance. Ce Festival aussi était un miracle, avec sa première édition organisée en 2020. Nous avons dû redonner les opéras l'année suivante car les limites de jauges ne permettaient pas d'accueillir tous les spectateurs qui voulaient venir.
Ce sont de beaux souvenirs.
Vous avez été le premier contre-ténor à signer chez le label discographique Deutsche Grammophon. Désormais vous enregistrez pour Pentatone, chez qui vous avez fait paraître votre nouvel album : Anime Immortali. Pouvez-vous nous le présenter ?
C'est un nouveau projet avec une nouvelle maison de disques, mais cet album est un projet de longue date, sur le répertoire écrit par Mozart pour les castrats. J'en ai fait une sélection avec notamment le fameux Exsultate Jubilate (qui est connu mais pas forcément le fait qu'il fut écrit pour un castrat, Venanzio Rauzzini). Je pensais à ce projet depuis longtemps car c'est la suite logique de mes albums consacrés à Caffarelli, Porpora, Haendel, Vinci...
Vous interpréterez ce programme en concert en fin d'année, au Teatro Real de Madrid et au Théâtre des Champs-Élysées, quelles seront les différentes teintes de ces soirées ?
Ce seront des concerts avec des orchestres différents : à Madrid ce sera avec Capella Cracoviensis dirigé par Jan Tomasz Adamus, à Paris avec Kammerorchester Basel et Baptiste Lopez au violon (nous avons enregistré l’album avec cet ensemble, et Daniel Bard).
Ce sera le programme de l'album et nous pouvons aussi puiser dans la richesse du répertoire mozartien avec des musiques orchestrales (en lien avec l'album et pour profiter de ces instrumentistes).
Je suis très reconnaissant de l'accueil que je reçois du public. Je vais sur scène, je fais de mon mieux, et la réception est pour moi très forte.
Qu'attendez-vous du Polifemo de Porpora que vous incarnerez à l'Opéra National du Rhin en février/mars 2024 ?
J'en suis très excité, c'est un rôle de Farinelli que j'incarne (celui d'Aci). Je connais très bien ce beau rôle car je l'ai chanté en concert, mais la chance de le faire mis en scène est très enthousiasmante et avec Emmanuelle Haïm avec qui j'ai travaillé : nous nous connaissons bien. J'en suis impatient, et de le faire dans la belle ville de Strasbourg mais aussi dans les villes de l'Opéra du Rhin que sont Mulhouse et Colmar, c'est très plaisant de pouvoir ainsi représenter l'œuvre dans plusieurs lieux, pour différents publics.
Le rôle est très beau et très intéressant, sur cet être humain (Aci) qui se transforme en Dieu (de la rivière).
Cette métamorphose pour atteindre l'immortalité divine est-elle aussi une métaphore du travail de l'artiste et de votre travail d'interprète ?
Je ne sais pas, c'est à vous de voir.
Enfin, la saison 2023/2024 vous verra venir une seconde fois au Théâtre des Champs-Élysées : pour Tolomeo de Haendel, qu'en attendez-vous ?
Je suis également très heureux d'y aller. C'est une version concert avec le Kammerorchester Basel, un ensemble avec lequel je souhaite entretenir une longue collaboration. C'est un rôle que je découvre mais c'est de la musique Haéndelienne, donc une musique profonde et passionnante. La version de concert est la bonne manière pour aborder un rôle, le rendre d'une manière à la fois académique et déjà intéressante.
Vous êtes également chef d'orchestre : vous avez dirigé Le Messie de Haendel à Barcelone et à la Chapelle Royale de Versailles en décembre dernier. Comment avez-vous appris cet autre métier ?
En Argentine j'étais organiste à l'église et je dirigeais les chœurs dans les oratorios (j'étais Kapellmeister). Lorsque j'ai reçu cette invitation à diriger en Europe pour la première fois l'année dernière, j'ai accepté avec plaisir mais c'est pour moi toujours un processus d'apprentissage (c'était bien plus simple de diriger de petites pièces qu'un grand oratorio de Haendel). La direction donne une toute autre vision des couleurs musicales. C'est un immense travail, je respecte grandement les chefs car je comprends leur labeur et je m'identifie aussi à eux lorsqu'ils travaillent avec des solistes comme moi.
Là aussi, la vision historique permet de voir comment la figure et la fonction du chef a évolué au fil du temps, cela m'aide à me positionner, à suivre les exemples du temps de Haendel et Mozart, et j'espère continuer à apprendre. Mais bien entendu, j'aime toujours énormément chanter donc nous verrons.
Voulez-vous diriger régulièrement désormais ?
Diriger est un objectif mais que je ne pousse pas : je chante, je veux chanter. Si des projets de directions se présentent et se réalisent tant mieux, mais je ne me presse pas. D'autant que pour beaucoup de mes enregistrements il n'y a pas de chef : je travaille directement avec le premier violon et l'orchestre et tout se passe très bien ainsi.
Vous avez chanté avec Philippe Jaroussky qui s'occupait de la direction d'orchestre (pour Jules César de Haendel mis en scène par Damiano Michieletto au TCE et à Montpellier). Comment était cette expérience, avez-vous ressenti un lien particulier du fait que vous soyez tous les deux contre-ténors et chefs d'orchestre ?
C'était splendide car il est chanteur. Nous avons très bien travaillé car il comprend précisément ce qu'il se passe pour les artistes. Je me suis senti très à l'aise car il comprend parfaitement le travail de construction du chef, entre solistes et orchestre. C'était une belle expérience.
En 2021 vous avez également chanté dans d'autres salles en France : Lucio Silla de Mozart sous la direction de Laurence Equilbey à La Seine Musicale et avec Cecilia Bartoli à la Philharmonie de Paris. Comment avez-vous vécu ces expériences ?
Pour Lucio Silla j'ai eu la chance de chanter le rôle complet de Cecilio (qui fut écrit pour le même chanteur castrat que l'Exsultate Jubilate). Nous avons eu la chance de l'enregistrer sur la scène avec Laurence Equilbey et dans ce très bel endroit qu'est La Seine Musicale, avec cette très belle vue sur la rivière. C'était l'été alors des gens se jetaient à l'eau, et j'aurais bien aimé les rejoindre mais il fallait que je chante : une autre manière de se jeter à l'eau. Ce sont de très bons souvenirs.
Quant à la Philharmonie j'y suis venu pour un concert donc je suis resté peu de temps, c'était une belle expérience mais il faudra que je revienne.
Notre précédent entretien s'est tenu juste avant vos débuts à l'Opéra de Paris en septembre 2016. Quels souvenirs en gardez-vous et aimeriez-vous revenir dans cette maison où vous n'avez plus chanté depuis ?
Ce sont de merveilleux souvenirs. L'Opéra Garnier est un endroit inoubliable et chaque lieu où nous travaillons devient comme une seconde maison : c'est un endroit où nous passons des heures, il faut donc s'y sentir à l'aise. J'aime y passer du temps, y venir en avance pour travailler, pour visiter, pour me familiariser avec les lieux.
La production de Thomas Jolly était impressionnante à voir, le rôle d'Eliogabalo de Cavalli était un défi d'interprétation, le personnage fou. Thomas Jolly était très inspirant dans le travail.
J'espère donc retourner à l'Opéra de Paris, bientôt.
Dans notre précédente interview, vous nous racontiez comment la voix de James Bowman fut à l'origine de votre carrière. Qu'avez-vous ressenti en apprenant son décès en mars dernier ?
Avant toute chose, je ressens envers lui une grande gratitude. C'est en entendant sa voix que j'ai eu la révélation. Je n'ai d'abord pas compris ce qu'il se passait : oh ce n'est pas une femme qui chante, c'est un homme. Je jouais alors avec ma voix aigüe. Je ne savais pas que le contre-ténor existait, que c'était une voix, et une voie (une carrière). Je l'ai découvert avec lui. Je peux donc simplement lui dire merci beaucoup et repose en paix.
Comment évolue votre voix ?
La voix est une chose incroyable. La voix change avec nous, continuellement, chaque jour, avec le corps. La manière de faire pour continuer à chanter est d'être flexible avec sa voix. Il ne faut pas rester bloqué, figé et j'ai toujours réussi à trouver la voie. C'est une évolution qui fait peur mais qui est incroyablement enthousiasmante quand on y arrive (et quand vous recevez ce don) : c'est la vie. La question à se poser en tant que chanteur est donc : comment faire aujourd'hui, comment faire demain.
Et vous demandez-vous comment faire dans 5 ans, dans 10 ans, davantage... Savez-vous combien de temps vous voulez chanter ?
Je ne sais pas, je ne peux savoir. Comment connaître le futur ? La réalité c'est ici et maintenant. Si on pense trop au futur, ou si on pense trop au passé, on ne vit plus dans la réalité. Nous sommes déjà dans un monde qui va très vite, et dans le monde de l'opéra il faut déjà faire des choix pour des rôles à chanter dans trois ans, mais peut-être pas...
Je veux donc me concentrer sur le présent. J'espère bien sûr continuer à chanter, je surveille les évolutions de ma voix, ce que je peux faire aujourd'hui et que je ne pouvais pas auparavant. C'est excitant mais la question que je me pose est : Comment je trouve le chemin ? Comment je fais aujourd'hui ?