Jacques Bertrand, Président du Festival de Salon-de-Provence : "Peu de moyens, mais de l'émotion"
Jacques Bertrand, vous êtes le Président du Festival de Salon-de-Provence qui débute le 7 août prochain. Cette édition affiche une programmation hommage à Puccini : pourquoi avoir fait ce choix ?
La raison de ce choix est un peu ésotérique. Nous avions fait un hommage à Verdi en 2013 pour le bicentenaire de sa naissance. Nous avions d’ailleurs monté une très belle exposition, qui est actuellement reprise aux Chorégies d’Orange pendant les représentations de La Traviata. Ce premier hommage nous a donné envie d’en faire un à Puccini, bien que 2016 ne corresponde à aucune date particulière !
Nous allons faire un grand concert symphonique qui lui sera consacré. Deux jours plus tard nous présenterons La Bohème, qui est un ouvrage qui correspond bien aux caractéristiques et à la capacité de notre salle. En effet, celle-ci n'est pas très grande : nous n’aurions pas pu monter Turandot.
Il s’agira en effet de l’événement de cette édition : pouvez-vous nous parler du travail d'Elisabetta Brusa qui met en scène le spectacle ?
Elisabetta Brusa a beaucoup travaillé à Parme : nous sommes ravis qu’elle ait accepté de faire cette mise en scène. La particularité des répétitions qu’elle dirige, c’est que pour des raisons budgétaires, le travail se fait en deux temps : tout le travail amont s’est fait en Italie, puis le détail de la mise en scène se fait ici dans les conditions réelles. Il était en effet moins coûteux de déplacer les solistes en Italie que de faire venir deux semaines toutes les personnes impliquées. Nos moyens financiers ne le permettaient pas. La mise en scène sera très classique et respectera l'ouvrage : elle sera donc située dans le Paris de 1830.
La projection sur grand écran de Turandot constituera également un événement marquant de cette édition. Comment avez-vous choisi la version que vous présenterez à cette occasion ?
Chaque année j'essaye de sélectionner une bande vidéo et de la présenter au public pour que les jeunes et les moins jeunes puissent découvrir ou redécouvrir des voix exceptionnelles qui pour la plupart ne sont plus de ce monde aujourd'hui. Mon âge me permet d’avoir eu la chance d'entendre et d'être reçu par Maria Callas et d’avoir assisté à des représentations de figures extraordinaires du chant lyrique. J’ai souhaité les faire découvrir par l’intermédiaire de films qui nous restent de cette époque. La télévision nous a laissé quelques témoignages passionnants, notamment en Italie grâce au travail de la Rai. Il s’agit de documents très médiocres sur le plan cinématographique, mais qui sont des trésors sur le plan artistique.
Lorsque vous avez une archive vidéo présentant un Calaf dans Turandot qui s'appelle Franco Corelli, qui est probablement le plus grand Calaf de tous les temps, vous vous dites qu’il faut la faire découvrir ! Son interprétation dans les années 1950 à 1960 est sublime.
Il y aura également une soirée Jeunes talents lyriques : comment sélectionnez-vous ces jeunes artistes ?
Au sein de l’association, nous bénéficions de la présence de Fabienne di Landro qui est chef de chant à l’Opéra de Marseille. C’est généralement elle qui nous alerte sur les voix qu’elle rencontre de par son travail. Après, le bouche-à-oreille et les recommandations ont également un rôle. Ensuite, nous décidons en essayant d’être le plus honnête possible dans notre choix, même s’il y a malgré tout une part de subjectivité qui peut nous faire passer à côté d’un interprète exceptionnel.
Jacques Bertrand et Fabienne di Landro
Comment un jeune chanteur qui souhaite rejoindre votre compagnie doit-il s'y prendre ?
C'est très simple, nous sommes disponibles et ouverts, que ce soit pour les spectateurs ou pour les artistes. Nous sommes joignables sur le site de l’association Mezza Voce. Les artistes peuvent également joindre Fabienne di Landro à Marseille, si possible avec un petit mot, une biographie, une vidéo ou un enregistrement audio. Nous découvrons ainsi de vraies pépites. Lorsque la Présidente des Amis du Festival d'Aix-en-Provence nous a complimenté sur la qualité de nos jeunes, j'en ai été étonné et flatté !
Pouvez-vous nous présenter le Festival ?
Notre festival est celui de la ville de Salon-de-Provence qui, pour des raisons propres à l'ancienne municipalité, est porté par une association, Mezza Voce. Nous sommes donc délégués et subventionnés par la ville pour organiser ce rendez-vous, depuis 11 ans maintenant.
Beaucoup de festivals de musique classique, et de musique lyrique en particulier, se tiennent dans votre région. Quelle était votre motivation lors de la création de ce festival ?
D'abord, je tiens à dire que nous ne nous prenons pas pour Aix ou Orange qui sont deux immenses festivals, parmi les plus grands du monde. Mais je crois qu’il n’est pas nécessaire de dépenser des millions dans une production pharaonique pour faire passer des émotions et faire découvrir de jolies voix. Lorsque Violetta [dans La Traviata de Verdi, ndlr] ou Mimi [dans La Bohème de Puccini, ndlr] sont à l'article de la mort, ou que Violetta a ce duo sublime avec Germont, il s’agit juste d’une ou deux voix qui transmettent l'émotion. Luchino Visconti disait : "Si je fais une mise en scène mais que je n'ai pas la Callas, j'ai l'air d'un crétin, mais si elle chante devant une poubelle, elle sera sublime et restera la plus belle". C'est ma devise, et avec nos modestes moyens, nous essayons de présenter de jeunes artistes qui sont dignes de chanter.
Notre motivation était donc de mettre en avant de jeunes artistes, parce qu'il est très difficile pour eux de se faire entendre et de débuter sur une scène. Ainsi, les jeunes talents lyriques méritants peuvent intégrer des distributions aux côtés d'artistes confirmés. Par exemple, Frédéric Cornille a débuté ici comme jeune talent et est aujourd'hui au Festival de Nuremberg en Allemagne et a été la doublure de Ludovic Tézier au Théâtre du Capitole de Toulouse. Cette année, il chantera Marcel dans La Bohème. Léa Bechet était également notre élève et elle chantera le rôle de Musetta dans La Bohème. Nous cherchons ainsi à faire cohabiter de jeunes artistes et des artistes confirmés, comme Michaela Dinu de l'Opéra de Bucarest ou le maestro Stefano Giaroli qui dirigera l’Orchestre Symphonique « Cantieri d’Arte ».
Le lieu, la Cour Renaissance du Château de l’Emperi, est magnifique : c'est une boite à musique à l’acoustique exceptionnelle. C’est d’ailleurs dans ce lieu que se déroule le Festival de musique de chambre. Il s’agit d’une petite cour d'un cloître, dans lequel nous pouvons accueillir 500 spectateurs. Nous cherchons à compenser notre manque de moyens par la recherche d’émotions. Il est d’ailleurs toujours plaisant d’entendre les spectateurs témoigner de l’émotion qu’ils ont ressentie, malgré des productions moins spectaculaires qu’à Orange. Nous remarquons d’ailleurs que notre public nous est extrêmement fidèle.
Château de l'Empéri
Justement, comment décririez-vous ce public ?
Le public est différent de celui d’une maison d’opéra traditionnelle. Il est probablement moins connaisseur. Si nous montions I masnadieri de Verdi, nous aurions 50 spectateurs, alors que si Paris, Marseille, ou Aix-En-Provence le monte, ils rempliront parce que les amateurs d'opéras, assez férus, assez pointus, seront tout à fait heureux de découvrir un ouvrage peu connu. Notre public découvre l'opéra, mais il est formidable. L'année dernière, nous fêtions nos 10 ans. Lors du concert lyrique, les spectateurs étaient debout : ça a été une fête tout au long de la soirée. Les gens se sont vraiment régalés à entendre de grands airs d'opéra. Cela nous fait plaisir de les voir heureux, et de pouvoir les amener à l'opéra. Beaucoup de spectateurs viennent par hasard la première fois, puis nous restent fidèles.
Pouvez-vous nous indiquer quelle sera la programmation de la prochaine édition ?
Chaque année la question se pose de l'ouvrage que nous allons monter. La principale contrainte vient des caractéristiques de la salle. Bien sûr, nous pouvons faire tous les Mozart ainsi que du Rossini. Mais certaines œuvres sont plus compliquées à proposer.
L'an prochain, nous programmerons comme pour chaque édition notre grande soirée Jeunes talents lyriques, ainsi qu’une archive lyrique de la Rai des années 1960-1970. En ce qui concerne l'opéra, nous hésitons encore entre Le Trouvère de Verdi et Carmen de Bizet, principalement pour des raisons techniques : nous voudrions faire Carmen, mais cela n’est pas possible dans la petite cour du fait des effectifs nécessaires. Nous essayons donc de voir avec les élus si nous pouvons le faire dans la grande cour d'honneur, qui contient près de 2000 places avec une grande scène. Mais cela nécessiterait de mettre en place une solution technique assurant une bonne acoustique, qui se trouve être coûteuse…