Rentrée scolaire : pour les artistes et les lieux culturels aussi ?
Pendant que les individus et les institutions dépendant du Ministère de la Culture attendaient des annonces (notamment la levée des jauges comme la Ministre Roselyne Bachelot s'est engagée à le défendre et qui se fera pour l’instant hors zones rouges), le Ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer confirmait une rentrée universelle qui veut "protéger les élèves et les adultes et assurer l'éducation pour tous" (avec masque obligatoire à partir de 11 ans, gel hydroalcoolique, gestes barrières, désinfections des locaux et brassage de l'air dans les classes).
Les artistes et les lieux de culture pourront-ils également faire leur rentrée des classes, eux dont les interventions dans les écoles et l'accueil des élèves dans leurs théâtres et musées sont une partie capitale de l'Éducation Artistique et Culturelle, label mis en avant par le Ministère comme un objectif universel, lui qui annonce également un “dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S2C)” et combien “l'année scolaire 2020-2021 sera caractérisée par le développement du sport et de la culture dans la vie de chaque élève” ? La réponse est apparemment oui, mais sur le papier.
Le nouveau Protocole sanitaire des écoles et établissements scolaires réalisé le 19 août 2020 a été concentré en 6 pages afin de le rendre plus concis et lisible (comme l’a confirmé le Ministre de l’Éducation Nationale) que le désormais fameux Guide relatif à la réouverture et au fonctionnement des écoles du 29 avril dernier qui détaillait le protocole sanitaire sur 56 pages. Ce dernier permettait toutefois de mesurer la quantité de contraintes que les établissements doivent respecter et faire appliquer, tout en rappelant l'importance d'un mode d'emploi pratique aussi complet que possible, ne laissant pas de place à l'improvisation. De fait, il est intéressant de relever dans ce guide plus détaillé ce qui concerne la pratique et l'accueil des intervenants artistiques et culturels dans les établissements scolaires, et réciproquement les sorties scolaires dans des lieux artistiques et culturels :
Ce protocole demande tout d'abord de "Lister les intervenants extérieurs devant circuler dans l'école, leur fournir les consignes spécifiques [et] s'assurer de leur transmission." Ce point évident souligne pourtant d'emblée le principal problème actuel sur la question : tous nos interlocuteurs artistes et ensembles intervenant en milieu scolaire nous disent ne pas avoir de réponse émanant des établissements ou académies concernant la reprise effective de leur collaboration éducative-culturelle. Dans le meilleur des cas, les artistes ont pris l’habitude de venir chaque année dans les établissements et d’accueillir les élèves, ils étaient donc prêts à reprendre ces partenariats à partir de la rentrée et ils ont maintenu les échanges avec les établissements scolaires avant les grandes vacances pour confirmer qu’ils seraient de nouveau accueillis. Mais désormais ces accords plus ou moins tacites ne suffisent plus puisque le Ministère impose une formalisation des invitations afin de pouvoir effectivement s’assurer que les intervenants sont (in)formés et que leurs contacts puissent être retracés si besoin. De fait, nos interlocuteurs attendent des invitations formelles de la part des établissements et ils attendent du Ministère de l’Éducation Nationale qu’il encourage les établissements à les faire, notamment en intégrant cette pratique aux consignes de rentrée. En attendant, cette incertitude est très problématique pour de nombreux ensembles et artistes, tous ceux qui ont été encouragés à faire ce travail de médiation, tous ces interprètes, chefs de chœur, responsables d'un spectacle musical dans un établissement, etc. dont une part importante voire capitale de leurs ressources repose sur ces interventions.
Et pourtant, même ceux qui en dépendent tant parmi nos interlocuteurs (artistes, ensembles et responsables de lieux culturels) disent comprendre cette organisation des priorités : "de nombreux chefs d'établissements sont rentrés en ce lundi 24 août et ils ont déjà assez de problèmes à régler en une semaine pour leurs personnels enseignants et leurs élèves. Mais ils doivent savoir que nous sommes là, non pas seulement disponibles, mais proactifs", résume ainsi une porteuse de projet. En effet, de nombreux ensembles et intervenants (tous ceux que nous avons contactés) ont pu nous démontrer qu'ils ont élaboré et proposé des projets adaptés aux recommandations sanitaires et modulables selon les contraintes. Mettre en place différents scénarios : c'est cela qu'attendaient le plus et continuent d'attendre les acteurs du monde culturel (nous en avons rendu compte tout au long de cette crise), c'est ce qui attend également les personnels de l'Éducation Nationale.
Pour les enseignants, ce Guide sanitaire dédie également l'une de ses Fiches Thématiques aux "activités sportives et culturelles". L'occasion d'un rappel des fondamentaux (maintenir la distanciation physique, appliquer les gestes barrière, limiter le brassage des élèves, assurer le nettoyage et la désinfection des locaux et matériels) mais aussi de recommandations spécifiques :
"Privilégier l'utilisation de matériel individuel jetable (pot de peinture, etc.) ou, à défaut, assurer une désinfection régulière adaptée" : une problématique qui s'est posée aux instrumentistes dès les débuts de l'épidémie, ceux-ci savent donc quels instruments peuvent être désinfectés et comment.
"Utiliser uniquement du matériel individuel et personnel, éviter le prêt de matériel collectif ou prévoir des modalités de désinfection adaptées" : l'occasion de rappeler combien sont précieuses les initiatives consistant à offrir ou prêter un instrument de musique personnel aux élèves (certains établissements scolaires et académies faisant le choix de privilégier la fourniture d'une tablette numérique).
"Privilégier les lectures par l'enseignant pour limiter les manipulations des livres" : l'occasion de rappeler que l'enseignant est et doit être aussi un interprète-passeur de culture.
"Privilégier les découvertes et la culture au travers des moyens audiovisuels (projection de visites virtuelles de musées, films, etc.)" : dans ce domaine, l'opéra a été et demeure à l'avant-garde, en témoigne notre Médiathèque lyrique géante et gratuite, immédiatement utilisable en classe (et par tous et partout) !
"Privilégier les jeux qui ne requièrent pas de toucher des surfaces communes et ne passent pas entre les mains. Par exemple : jeux de mime, devinettes, etc." Là encore une problématique qui a été relevée par le théâtre lyrique : des opéras continuent d'être mis en scène de manière distanciée (même pour des drames reposant entièrement sur le contact, du baiser de Tosca aux mains gelées de La Bohème). Même bien avant le Covid-19, des metteurs en scène avaient prévu et acté la poésie des amours distanciées : c'est la signature de Bob Wilson, c'était éloquent récemment ne serait-ce que dans la Nuit d’extase des Troyens à Bastille.
Il apparaît toujours aussi urgent de rétablir et encourager à nouveau cette collaboration artistique-culturelle-éducative. Pour une raison essentielle : parce que l'art, la culture et l'éducation ne se conçoivent pas séparément (l'éducation ne peut se concevoir sans culture, comme la culture ne peut se concevoir sans éducation). Pour une raison d'efficacité également : il ne devrait plus être besoin de prouver tant cela est attesté que la pratique artistique et culturelle améliore les résultats scolaires. Pour une raison pratique enfin : afin d'éviter que ne se creusent encore davantage des frustrations entre différents domaines, il faut éviter que le monde de la culture soit une fois encore la dernière roue du carrosse, constatant que tout peut reprendre (trains, écoles, entreprises, etc), tout sauf l'art et la culture.
[Mise à jour : le Ministère n'avait pas pu nous répondre sur la date de parution d'éléments complémentaires, notamment de Fiches repères thématiques et d'une Foire aux Questions. Elles sont désormais publiées en ligne en ce samedi 29 août. Les Fiches Techniques concernent l'Organisation de la restauration, de la récréation, des internats, la reprise de l'EPS et de l'Éducation musicale.
Concernant la musique, "les salles spécialisées doivent pouvoir être utilisées sans restriction." "Le protocole indique que la limitation du brassage des élèves n’[y] est pas obligatoire", tout en limitant "dans la mesure du possible, les regroupements et les croisements importants entre groupes."
"La plupart des salles spécialisées ne comportent pas de tables, [cela] permet d’organiser plus aisément l’espace de classe pour assurer la plus grande distanciation physique possible." "L’enseignement de l’éducation musicale, de la musique ou du chant choral repose sur l’usage d’un matériel pédagogique adapté et indispensable, a minima un système de diffusion audio et un piano ou un clavier numérique, instruments que le professeur est seul à utiliser pour conduire le travail des élèves." Les lycéens peuvent toutefois apporter leurs instruments personnels (hors instruments à vents).
Le port du masque reste obligatoire pour chanter, comme partout dans l'établissement : "la qualité du timbre, la justesse, l’expression seront travaillées sans rechercher la puissance vocale."]
Qu'elle semble loin, en tous les cas, la "Rentrée en musique" qui avait inauguré la première reprise des cours du Quinquennat d'Emmanuel Macron et du Ministre Jean-Michel Blanquer, et qui devait aussi lancer le "parcours d'éducation artistique et culturelle". Pourtant certains ensembles ne veulent pas baisser les bras et s'engagent à venir jouer dans un établissement le 2 septembre prochain : ils le feront en format le plus réduit qui soit (un ou deux interprètes) et uniquement lorsque les responsables d'établissements leur auront répondu.
Quoi qu'il en soit, la rentrée sera musicale sur Ôlyrix et nous nous engageons à continuer d'apporter gratuitement toutes les informations et les outils permettant de vivre pleinement la passion pour l'opéra et l'art lyrique !