Grève active à la Maîtrise Notre-Dame de Paris contre les licenciements
Si "Les Voies du Seigneur sont impénétrables", ses Voix sont également au cœur d'un imbroglio interne, juridico-artistique. Mais si les lignes vocales des chanteurs à la Maîtrise Notre-Dame de Paris s’entremêlent dans de vertigineuses complexités, elles se résolvent toujours sur des accords amples et purs (rappelant l'Espoir d'une Grâce Divine). Une issue qui paraît en l'état irréaliste concernant le conflit ouvert entre le collectif de chanteurs et leurs responsables institutionnels.
Comme nous l'expliquions dans notre premier article, le tragique incendie à Notre-Dame de Paris a eu de terribles conséquences également sur les finances de sa Maîtrise (qui assure la formation d'interprètes, les offices liturgiques et les concerts tout en préservant un répertoire musical unique, en le faisant résonner et raisonner par l'interprétation et des recherches scientifiques). La terrible décision a été prise de licencier cinq enseignants. L'institution considère cette mesure comme indispensable et affirme s'y être résolue à contre-cœur et dans la concertation avec les personnes renvoyées. Ce que conteste sur le fond et sur la forme le collectif "Haut les Chœurs" (regroupant des élèves et parents d'élèves et dont la pétition en ligne a déjà recueilli plus de 12.000 signatures), affirmant qu'il n'y a eu aucune concertation et qu'aucun des documents demandés n'a été fourni pour prouver l'impérieuse nécessité de ces renvois (qui "remettent en cause le projet pédagogie, garant de l'identité" de la Maîtrise).
Chose inédite pour une Maîtrise religieuse, ces étudiants se sont même mis en grève, annulant le concert de Noël du 17 décembre dernier et le conflit perdure, frontal. Les spectateurs du concert donné le 27 décembre à Saint-Etienne-du-Mont ont ainsi profité, certes d'un répertoire musical unique (lié à l'École de Notre-Dame, tradition musicale fondamentale qui s'est développée grâce à la Cathédrale) mais également d'épisodes aussi uniques et surréalistes, étant donné qu'il pourrait fort bien s'agir de l'ultime concert dirigé pour la Musique Sacrée de Notre-Dame de Paris par Sylvain Dieudonné. Avant le concert, le Chapelain de Notre-Dame de Paris et Membre du Chapitre prit donc sa voix au chapitre pour défendre de manière ostentatoire la carrière de Sylvain Dieudonné en espérant qu'elle se poursuive dans l'institution Cathédrale. Toujours avant la musique, c'est ensuite une chanteuse-porte-parole du collectif qui lut avec assertion et émotion une longue tribune (retranscrite ci-dessous). À l'issue du concert, Sylvain Dieudonné se voit acclamé debout et très bruyamment par le public, ses six interprètes du soir mais aussi une trentaine de musiciens les ayant rejoints pour entonner des bis en procession à travers le bâtiment religieux.
Sylvain Dieudonné, rencontré à l'issue du concert, se refuse pour le moment à nous répondre. À regret, s'excuse-t-il, expliquant que ses propos pourraient le desservir puisque la procédure de licenciement est en cours.
Cependant, s'il n'a pu être possible d'obtenir d'informations de sa part, nos autres sources (y compris au sein de la Maîtrise) affirment que Sylvain Dieudonné a reçu sa lettre de licenciement au 20 décembre 2019 avec un préavis de trois mois et que la Maîtrise, contrairement à ce qu'elle affirme, n'a pas mené de concertation avec les personnes licenciées. Si ces sources ont pu consulter les documents de la Maîtrise (et non pas auprès de M. Dieudonné), il semble évident que celui-ci se renseigne sur ses droits et ses possibilités d'engager des procédures éventuelles.
Une autre chose sous-entendue que nous avons pu confirmer : des responsables de la Maîtrise ont évoqué à Sylvain Dieudonné la possibilité de le reprendre d'ici 3 à 5 ans, une fois la Cathédrale ou au moins sa comptabilité rebâtie. Ses soutiens balayent cette hypothèse (notamment dans leur tribune ci-dessous), tout comme l'idée avancée par la Maîtrise selon laquelle des chefs de chœur ou d'autres en son sein puissent entretenir la pratique de ce répertoire grégorien et médiéval. "Il n'y a pas de personne compétente à la Maîtrise" concluent les Dieudonnistes.
Une chose est certaine, et exprimée au grand jour, sur scène comme sur les réseaux sociaux et dans les conversations directes avec eux : les élèves de Sylvain Dieudonné clament leur soutien haut et fort en une ferveur émue (ce qui déplaît à de nombreux responsables religieux, partisans d'une discrète retenue en toutes choses). Cette ferveur est démultipliée par un sentiment d'injustice et une forme de détresse morale : ses chanteurs-élèves nous disent être dans le même état que leur chef, "éprouvé, révolté, sacrifié après qu'il ait investi 25 années de sa vie, nuit et jour, alors qu'il est renvoyé à l'âge de 54 ans, sans perspective aucune pour retrouver un tel outil de transmission, une telle "Schola Cantorum" sachant que ce chant et cette tradition vivent, s'apprennent et se perpétuent par la pratique et l'enseignement."
Retranscription du discours prononcé par Marthe Davost en préambule du dernier concert grégorien de l'Ensemble vocal de Notre-Dame de Paris, dirigé une dernière fois par Sylvain Dieudonné, ce vendredi 27 décembre autour du jubé de l'église Saint-Etienne-du-Mont :
« Chers amis, Chers auditeurs qui êtes venus ce soir,
C’est avec une grande émotion que je prends la parole avec tous mes collègues de l’ensemble vocal de Notre Dame de Paris.
Ce soir, le concert que nous allons vous donner clôturera les 25 ans de carrière au sein de la Maîtrise Notre-Dame de notre Chef de chœur et Directeur artistique Sylvain Dieudonné.
En effet, le 9 décembre dernier, nous avons reçu la nouvelle assourdissante du licenciement, et de la suppression du poste de Sylvain au sein de la maîtrise de Notre-Dame de Paris, dès janvier, en plein milieu d’année scolaire.
Cette décision a été prise par le Conseil d’Administration le 22 novembre dernier.
Elle nous semble d’une incohérence et d’une injustice difficiles à exprimer envers le projet de cette institution et envers la personne et le travail de Sylvain.
Les étudiants de la maîtrise, adultes et plus jeunes, se sont immédiatement élevés contre une telle décision. Vous le savez sans doute, les chanteurs du chœur d’adulte ont pris la grave décision, en conscience, de ne pas chanter le concert de Noël du 17 décembre dernier.
Nous voulons ce soir les remercier pour leur grand courage et la maturité de leur engagement qui les honorent.
Le licenciement de Sylvain Dieudonné signifie la fin potentielle de l’enseignement du répertoire médiéval parisien au sein de la Maîtrise. Cette discipline est la singularité de cette formation. Ce poste est unique en France et dans le monde, Sylvain est salarié pour la recherche, la restitution des pièces, la conception des programmes, l’enseignement et l’interprétation.
Il est un pédagogue apprécié de ses étudiants, adultes comme enfants.
Une grande partie du travail serait à recommencer si jamais il avait, par exemple, la possibilité de reprendre ses fonctions d’ici 3 ans.
Trois ans dans un chœur d’enfants c’est la moitié de l’effectif qui n’aura pas été formé par ses camarades à leur contact, pour le chœur d’adultes, c’est une promotion d’étudiants qui aura fait toute sa formation sans ce savoir unique.
Pour la liturgie, les messes grégoriennes assurées par la Maîtrise sont parmi les rares à comprendre un programme grégorien avec le missel de Paul VI. Le Chant grégorien est « le chant propre de la liturgie romaine » (Vatican II)
Depuis 25 ans, Sylvain était présent tous les dimanches à la Cathédrale puis à Saint-Germain l’Auxerrois, pour diriger la messe de 10h.
Il trouvait le sens plénier de son travail de recherche dans ce rendez-vous hebdomadaire.
Vous pourrez d’ailleurs assister à la dernière messe grégorienne dirigée par Sylvain dans 2 jours à la messe de 10h à Saint-Germain l’Auxerrois.
Par son travail de recherche, Sylvain a su mettre en valeur le Patrimoine Musical propre à la Cathédrale par de nombreuses années au service du répertoire dit de l’Ecole Notre-Dame.
Ce répertoire est d’une importance majeure dans l’Histoire de la musique en occident, car c’est à l’époque où le chantier de la Cathédrale commence, au XII siècle, que naît pour la première fois la notion de rythme mesuré. Avant cela la notion de tempo était inexistante.
Cette découverte va permettre ensuite l’émergence des premières polyphonies, c’est-à-dire de la superposition de 2, 3, 4 voix que le monde entier venaient écouter à Notre-Dame de Paris et qui n’ont cessé de se développer jusqu’à nos jours.
Le désir de sauvegarder les improvisations et compositions les plus belles des chantres de la Cathédrales amène les contemporains à les noter afin qu’elles ne tombent pas dans l’oubli et puissent être transmises jusqu’à nos jours.
Ce sont les spécialistes comme Sylvain Dieudonné qui ont les clés pour décrypter et transmettre aujourd’hui ce répertoire, fruit de nombreuses années de travail et de recherches.
Se priver aujourd’hui des compétences de Sylvain et supprimer son poste au sein de la maîtrise, est renoncer à cette transmission ininterrompue depuis le XIIè siècle et entre en totale contradiction avec la démarche actuelle d'inscription de la maîtrise au patrimoine immatériel de l’UNESCO.
Ce qui est touché par cette mesure, c’est la préservation du patrimoine qui est au cœur-même de Notre-Dame de Paris depuis sa construction, dont la Maîtrise est dépositaire et qui devrait être l’un de ses enjeux majeurs au moment même où la Cathédrale est fragilisée par le terrible incendie qu’Elle a subi.
Nous souhaitons de tout cœur que ces décisions soient rediscutées et qu’un dialogue soit possible pour envisager toutes les solutions possibles afin de préserver au mieux les missions de la maîtrise malgré les difficultés qu’elle rencontre actuellement.
Nous vous souhaitons un très beau concert. »