Mathias Vidal : « J’ai le sentiment d’être reconnu dans le répertoire baroque »
Mathias Vidal, vous avez vécu l’entrée des Indes galantes au répertoire de Bastille (lire notre compte-rendu) : quel souvenir en gardez-vous ?
C’était une grande fierté. J’avais déjà vécu l’entrée de l’œuvre au répertoire de Munich en 2016. Cette fois, c’était un défi de remplir la salle, mais ça a finalement été un vrai succès public. Les critiques ont en revanche été assez violentes. Il faut dire que l’attente était énorme. Je sais analyser les critiques, ainsi que mes propres performances ou celles de mes collègues. En l’occurrence, je m’attendais à certaines critiques, mais je n’imaginais pas que le public nous fasse un tel triomphe : c’est d’autant plus étonnant que le public s’est levé tous les soirs, y compris lors des dernières représentations, quand tout le monde savait déjà à quoi s’attendre. J’ai beaucoup discuté avec les autres chanteurs de la production sur la grande différence entre la réception du spectacle par le public et par la critique. Ce sont des jeunes chanteurs qui ont du succès et n’ont pas souvent eu à faire face à des critiques aussi vives. Mais c’est ce qui est beau dans le spectacle vivant : le public a pris du plaisir malgré les défauts pointés par la critique.
Quel est votre rapport à la critique ?
La critique ne me pose pas de problème : l’expérience me permet de l'analyser et de prendre du recul. Je les lis toutes : à une époque, je les collectionnais. Après, certaines remarques peuvent blesser, mais cela fait partie du travail de chanteur. Parfois, je réécoute lorsqu’il y a un enregistrement : ça me permet de voir si les points soulevés sont justes ou non. De plus, un peu comme pour les phéromones, l’attrait d’une voix ne peut pas toujours s’expliquer : certaines voix nous touchent et d’autres non.
Cette production inaugurait une saison chargée : comment la jugez-vous ?
Toutes les saisons sont chargées. Ceci étant, j’avais la saison dernière beaucoup de rôles longs et de premier plan, tandis que j’ai quelques rôles plus courts cette année, qui apportent de la respiration. J’ai par exemple signé il y a 3 ans et demi pour chanter Basilio dans Les Noces de Figaro au TCE : c’est un rôle d’autant plus léger que mon seul air a été coupé. Après, généralement, mes agents me font faire des remplacements lorsque les périodes sont plus relâchées. Par exemple, j’ai enregistré la semaine dernière Les Indes galantes pour le label Château de Versailles Spectacles, ce qui n’était pas prévu puisque Philippe Talbot avait fait le concert. Je travaillais donc le matin à Versailles et répétais l’après-midi au TCE.
Comment construisez-vous vos saisons ?
C’est principalement le fruit du hasard. Pour qu’une saison se remplisse, il faut beaucoup de propositions car elles tombent souvent en même temps et nous obligent à refuser des projets qu’on aimerait faire. Il faut un peu de chance pour que les projets s’enchaînent. J’ai l’avantage de travailler différents répertoires et donc d’avoir beaucoup d’employeurs potentiels.
Vous répétez actuellement Les Noces de Figaro au TCE : comment décririez-vous votre rôle de Basilio ?
C’est un ténor de caractère. J’ai tellement envie de faire bien ce Basilio que je me suis posé beaucoup de questions sur ma manière d’interpréter ces rôles, pour lesquels, le plus important est le théâtre. Je n’en chante pas beaucoup, même si je sais le faire : en 20 ans de carrière, on m’a finalement très rarement proposé ces rôles. Les critiques qui n’aiment pas ma voix la trouvent généralement trop percutante, un peu comme une trompette : mais ça n’en fait pas une voix de ténor de caractère pour autant. Quand on me propose ces rôles, je les accepte car cela permet des relâches : il y a peu de pression, pas besoin de chauffer la voix. Dans cette production, j’ai les cheveux gominés, ce qui fait jeune premier et ne correspond pas naturellement au personnage. Du coup, je change un peu ma voix dans les récits et je fais quelques grimaces, tout en m’appliquant à ne pas exagérer. J’aime bien mettre un peu de finesse.
La production est mise en scène par James Gray : le fait qu’il vienne du cinéma change-t-il quelque chose ?
C’est la troisième fois que je travaille avec un réalisateur de cinéma. Ils ont beaucoup de choses à apporter, mais ils ont besoin d’être aidés : nous travaillons sur un plan-séquence de trois heures, alors qu’ils travaillent sur des détails. La gestion du temps est différente. Au cinéma, le temps est très dilaté car il y a beaucoup d’attente entre chaque prise. À l’opéra, au contraire, les temps de répétition sont courts et donc très intenses. La direction d’acteur est différente, mais sur cet aspect on utilise le même langage. On est là pour le mettre à l’aise. Il aime beaucoup l’opéra et la musique, ce qui aide. Il nous a laissé le temps, nous a posé des questions sur ce qu’on pensait de nos personnages. Il utilise un peu les méthodes de l’Actor Studio, c’est-à-dire avec une grande attention portée aux émotions. Mes collègues qui ont déjà chanté leur rôle de nombreuses fois adorent ce travail. Il faut dire qu’il a un super assistant, Gilles Rico [qui met d’ailleurs en scène la version pour enfant de l’œuvre, Les Petites Noces, à réserver ici, ndlr], qui lui a donné les bons réflexes.
Son dernier film, Ad Astra, se passe dans l’espace : faut-il s’attendre à une mise en scène futuriste ?
Je pensais en effet qu’il ferait quelque chose d’un peu extraordinaire, mais il nous a tout de suite dit, lors de la présentation de la production, qu’il ne se voyait pas au-dessus de Mozart et da Ponte, et qu’il s’en tiendrait donc à ce qu’ils ont écrit. Il n’y a aucune innovation, aucune surprise : les didascalies, les costumes, tout colle au texte, tout est d’époque. Et cela marche super bien : nous sommes tous très contents du résultat. J’aime beaucoup les mises en scène modernes, mais une bonne mise en scène traditionnelle fait se sentir à la maison. C’est un retour aux sources très plaisant.
Que pouvez-vous dire de la distribution ?
Ce ne sont que des pointures dans chaque rôle. Sabine Devieilhe a dû annuler, mais sa remplaçante, Anna Aglatova, est très solide. J’ai déjà travaillé avec elle au Bolshoi, dans La Sonnambula. Globalement, tout le monde a l’âge de son personnage, à part moi. Le TCE a vraiment soigné sa production dans les moindres détails.
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Après cette production, vous ne quitterez pas Mozart, puisque vous interpréterez le rôle de Tamino dans la Flûte enchantée à Avignon et Versailles, en Français : qu’est-ce que cela change pour vous ?
Ça a été une surprise, car je ne le savais pas au moment de la signature : cela s’est décidé en mai. Ils ont eu beaucoup de débats sur ce point. Le texte est la base de notre travail : il faut qu’il soit bon, qu’il colle à la musique, qu’il soit clair. Il faut choisir entre une traduction littérale ou littéraire. Artistiquement, je n’étais pas très pour au départ, mais maintenant que c’est acté, en tant qu’interprète, mon rôle est de m’en saisir à bras-le-corps et de défendre cette version bec et ongle. Après tout, traduire les opéras est une pratique courante aujourd’hui à Londres ou Berlin. Ceci étant, j’ai été au charbon : nous avons eu des premières propositions qui n’allaient pas. Nous avons finalement opté pour une version qui a déjà été représentée à Paris, qui est un bon compromis. L’avantage de chanter en français est que le public comprendra : j’aimerais du coup qu’il n’y ait pas de surtitrage.
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Vous avez fait vos débuts à l’Opéra de Paris dans cette œuvre, mais dans le rôle de Monostatos : qu’en retenez-vous ?
D’abord, que l’Opéra de Paris avait été très élégant : nous devions au départ faire les Indes galantes à ce moment-là. Quand ils ont décalé le projet, ils m’ont proposé de chanter ce rôle pour que je n’aie pas un trou dans mon calendrier. Ce n’est a priori pas un rôle de mon répertoire, mais je l’avais travaillé au conservatoire : c’était l’occasion de le chanter. Et puis j’avais déjà dû refuser une proposition de l’Opéra de Paris en 2012 pour faire mes débuts à Munich : je ne voulais pas refuser une deuxième fois. Tout le monde a aimé et moi je me suis amusé, mais c’est un rôle assez court, que je ne referai pas souvent.
Comment vous êtes-vous senti à Bastille ?
Je ne me suis pas du tout senti perdu. Ce n’est pas l’usine car il y a plusieurs équipes. Sur une production, on retrouve toujours les mêmes accessoiristes, les mêmes habilleuses. C’est finalement très familial. Et puis je connais bien la maison pour avoir été dans les chœurs lorsque j’étais au Conservatoire. J’aime chanter sur cette scène car je ne suis pas obligé de restreindre ma voix comme c’est le cas dans la plupart des salles.
Avez-vous d’autres projets prévus à l’Opéra de Paris ?
Non pas encore, le nouveau directeur Alexander Neef a récemment été nommé et j’espère chanter de nouveau dans les saisons à venir à l’Opéra de Paris.
Toujours à Versailles, vous chanterez Abaris dans les Boréades, pour un retour à Rameau (réservations ici). Qu’est-ce qui vous attache à ce répertoire ?
Ce qui est marrant, c’est que certaines personnes ignorent que je fais de la musique baroque. De même, ceux qui me suivent sur le baroque ne savent pas que j’ai fait de l’opérette régulièrement. Il n’était pas gagné d’avance que je fasse mon trou dans ce répertoire : beaucoup de chefs trouvaient ma voix trop large. Personnellement, je sentais que je pouvais y faire de belles choses. Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être reconnu dans le répertoire baroque.
Qui ont été les personnes-clés de votre épanouissement dans ce répertoire ?
Benoît Dratwicki m’avait entendu en Vincent dans Mireille et il a eu l’idée de me proposer de chanter Zelindor pour le coffret des 10 ans du CMBV. Il a aimé et m’a beaucoup défendu dans ce répertoire. Au début, je faisais un concert de temps en temps sur ce style, mais Benoît m’a fait faire des disques : cela m’a donné de la matière pour convaincre d’autres employeurs. Autant on n’enregistre plus de Traviata car il y a déjà des versions de référence, autant on enregistre beaucoup de baroque. Les professionnels ont ainsi vu mon nom passer souvent.
C’est ce répertoire qui vous a ouvert les portes de l’Opéra de Munich : comment cela s’est-il passé ?
En effet, Pål Moe [Directeur du casting de l’Opéra de Bavière, ndlr] m’a vu dans le répertoire baroque, mais lui aussi dans le baroque italien.
Est-ce un objectif pour vous de travailler plus à l’étranger ?
Pas particulièrement. Je prends ce qu’on me donne, mais je ne serais pas malheureux de ne travailler qu’en France. Voyager, c’est très agréable au début. Mais, passée la trentaine, ne pas voir sa famille pendant plusieurs semaines est tout de même pénible. Après le travail, on rentre à l’hôtel : on n’est pas chez soi. Ce n’est pas du tout la même chose. L’idéal est de travailler près de chez soi, mais cela reste rare. Ma famille est à Nantes, mais j’ai gardé un pied-à-terre à Paris car la France reste un pays centralisé.
La vie de famille et la fragilité de la voix sont les deux grandes difficultés de la vie des chanteurs. Comment les vivez-vous ?
Déjà, j’ai une voix solide grâce à la technique que m’a transmise ma prof de chant, Christiane Patard : il m’est déjà arrivé de chanter en étant malade. Certains chanteurs dorment à l’hôtel pour ne pas attraper les maladies de leurs enfants, mais c’est inconcevable pour moi : je viens sur scène avec ce que je suis, ma part d’humanité, ma famille. C’est une conversation que l’on a souvent avec les collègues : on a envie de savoir comment eux le vivent. C’est pire encore pour les chanteuses.
Comment définiriez-vous votre répertoire ?
Il est difficile à définir car je chante des choses très différentes les unes des autres. Pour résumer, mon répertoire s’étend du baroque jusqu’à la musique contemporaine, du répertoire léger jusqu’à des rôles plus lyriques. Un opéra allemand m’a même proposé de chanter Raoul dans Les Huguenots. Il se trouve que je n’étais pas libre, mais cela m’a interrogé qu’ils puissent m’imaginer dans un tel rôle. Un jour, j’aimerais bien chanter Macduff dans Macbeth. On y voit probablement une voix plus large encore que la mienne, mais dans une petite salle, ça pourrait être très bien. Je travaille beaucoup le bel canto avec ma prof de chant, c’est un répertoire qui m’est très facile et que j’apprécie, mais on ne me le propose pas du tout, à part une Somnambule au Bolshoi et un Don Pasquale à Lisbonne. Je ne sais pas pourquoi on ne me le propose pas. Je pourrais faire un beau Nemorino dans L’Elixir d’amour, car c’est un rôle très théâtral, sans que le bel canto n'y soit aussi poussé que chez Bellini. Pour faire du Bellini ou du Rossini, il faut se spécialiser et ne chanter que ça pour le faire bien.
Vous chanterez d’ailleurs ensuite Semiramis de Destouches à Versailles (réservation ici) : comment présenteriez-vous cette œuvre ?
C’est un beau projet. L’opéra est assez dramatique, avec des accents romantiques. C’est une partition assez fournie. De manière générale, de toute façon, le répertoire français est large. On le ressent déjà dans la musique baroque, à part chez Lully chez qui le côté italien ressort. D’ailleurs, la même voix peut chanter Dardanus et Werther.
Ce sera de nouveau en version concert : appréciez-vous ce format ?
Oui et non. Il y a trop peu de répétition pour faire du par cœur, on est donc contraint par la partition. Mais cela permet de se concentrer sur la voix. Ce qui me plait, c’est de réfléchir et trouver les artifices qui permettent d’accrocher le public, sans pouvoir s’appuyer sur l’effet visuel : on n’a que la musique. Après, il faut aussi aimer travailler une partition pendant des heures pour ne la chanter qu’une fois. Lorsque c’est enregistré, ça permet en revanche de faire un bel objet, ce qui sera le cas de ce Semiramis.
Aimez-vous écouter les enregistrements de vos spectacles ?
Oui, beaucoup. J’aime réécouter la musique que j’ai travaillée car je l’ai dans la tête, je m’y suis attaché. Je réécoute donc souvent les enregistrements de mes projets : autant mes airs que ceux de mes collègues ou des passages instrumentaux, d’ailleurs. Par exemple, en ce moment, j’écoute en boucle la passacaille de l’Hypermnestre de Gervais.
Platée, que vous chanterez à Toulouse et Versailles, est un personnage très théâtral : est-ce un aspect de votre métier que vous aimez développer ?
Platée est à la fois vocal et théâtral, un peu comme chez Offenbach qui sollicite beaucoup ces deux aspects. C’est un rôle très riche. Tout dépend aussi de la manière dont l’œuvre sera traitée. Par exemple, on peut accentuer la souffrance à la fin, tandis que tout le monde se moque de lui. Il peut y avoir de la finesse.
Vous y retrouverez Shirley, Dino et Hervé Niquet : savez-vous déjà à quoi cela va ressembler ?
Je ne sais rien sur la production pour le moment. Les comiques sont les gens les plus sérieux de la terre : c’est du millimètre. C’est dans ces productions que j’ai vu le plus de larmes car les sketchs doivent être réglés parfaitement. Il faut être là à l’heure et travailler la blague jusqu’à ce qu’on rigole. Et ce n’est qu’une fois ce but atteint que le climat se détend. J’ai beaucoup de plaisir à retrouver Hervé Niquet également : c’est l’un de mes premiers mentors en musique baroque.
Comment décririez-vous ce rôle ?
C’est un rôle travesti : c’est encore plus drôle. Le côté ingénu et prétentieux fait un peu penser à Phaeton. Il y a plusieurs registres : la comédie, le romantisme lorsqu’il essaie de séduire Jupiter, le tragique de la fin.
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Vous aurez ensuite le Couronnement de Poppée au TCE, qui vient après le Retour d’Ulysse il y a 3 ans. Vous y chanterez la Nourrice et un Familier de Sénèque. Qu’en attendez-vous ?
C’est aussi un rôle très théâtral : il faut qu’on en fasse quelque chose de drôle ! J’ai beaucoup hésité à le faire car je connais bien l’œuvre et je sais que ce rôle est souvent chanté par des contre-ténors. Ce sera ma première collaboration avec Christophe Rousset.
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Quels sont les plus grands succès de votre carrière ?
Le Nain est la production sur laquelle j’ai vraiment pu lâcher ma voix (lire notre compte-rendu) : ça a été un grand succès vocal et je me suis fait vraiment plaisir. C’est Pål Moe qui a eu l’idée de me le proposer, parce qu’il savait que j’avais une pétoire. Mais certains n’ont pas compris pourquoi je chantais ça. Le succès des Indes galantes était quant à lui un grand succès populaire, mais plus collectif que personnel. Je peux aussi citer Cinq-Mars de Gounod à Munich et Leipzig, mes nombreuses collaborations avec Le Palazzetto Bru Zane, sans oublier mes tout débuts à Compiègne dans le répertoire romantique français.
Quelles seront vos prochaines prises de rôle ?
Je chanterai Les Pêcheurs de perles la saison prochaine. Ça fait longtemps que je voulais chanter cet opéra, mais je n’étais jusqu’ici jamais libre lorsqu’on me l’a proposé. Je chanterai aussi La Fille de Madame Angot de Lecocq en concert. J’aurais dû chanter Zoroastre en France mais le projet a été annulé suite à un changement de direction.
Avez-vous d’autres projets ?
Rien que cette saison, après Les Noces de Figaro au TCE je chanterai donc Tamino à Avignon et Versailles, puis la reprise des Boréades au Komische Oper de Berlin. J’irai ensuite chanter L’Enfant et les Sortilèges aux États-Unis avec l’Orchestre de Philadelphie avant Platée à Toulouse et Versailles. Il y a aussi le Couronnement de Poppée au TCE et la reprise d’Orlando Paladino à Munich ainsi que de nombreux concerts avec « Le Cercle de l’Harmonie », « Les Ombres », « La Cappella Mediterranea ». J’ai aussi plusieurs projets d’enregistrement mais il est trop tôt pour en parler.