Ambroisine Bré : « J’ai envie de mourir sur scène »
Ambroisine Bré, vous êtes nommée dans la catégorie Révélation lyrique aux Victoires de la musique classique. Comment avez-vous appris la nouvelle ?
Je sortais d’une répétition pour la Messe en ut que nous jouions avec Marc Minkowski à la Philharmonie. Je prenais le métro avec un ami : j’ai reçu un appel de Béatrice Le Clerc [la Directrice artistique de l’émission, ndlr], qui avait une bonne voix. Quand elle m’a dit que c’était bon, j’ai été envahie d’une joie immense, puis j’ai eu un vertige fou. J’étais très heureuse, mais je n’avais rien le droit de dire à l’ami qui m’accompagnait.
Vous avez enregistré trois airs de présentation : qu’avez-vous choisi ?
J’ai choisi « Parto », l’air de Sesto dans la Clémence de Titus de Mozart, un Lied de Clara Schumann, « Ich stand in dunklenträumen » et la Habanera, extraite de Carmen : trois répertoires variés. J’ai pris beaucoup de plaisir lors de cette prestation avec mes amis, Qiaochu Li au piano et Gabriel Lellouch à la clarinette.
Comment vous préparez-vous maintenant à la cérémonie ?
Plus sereinement que pour les vidéos. Pour l’instant, on ne m’a pas encore informée de ce que je devrai chanter : je ne stresse donc que pour la robe (rires) !
Vous êtes déjà passée à la télévision, lors du concours Voix Nouvelles, puis dans Musiques en fête : que retenez-vous de cette dernière expérience ?
L’accueil a été formidable. J’étais très stressée : Florian Sempey, avec qui je faisais un duo, m’a dit de le regarder si j’avais peur. Je me suis sentie protégée et soutenue. De toute façon, une fois sur scène, on oublie qu’on est filmé : le plaisir l’emporte.
Vous avez participé à de nombreux concours (Marmande, Opéra Compétition à retrouver ici en compte-rendu, Nadia et Lili Boulanger, l’ADAMI, Voix Nouvelles) : qu’y recherchez-vous ?
J’ai le goût du challenge. Après Marmande où je m’étais mis beaucoup de pression, j’ai réalisé que ce n’était pas la manière dont je voulais vivre mon art. À partir de là, je me suis prise au jeu, j’ai fait beaucoup de rencontres. Cela m’a permis de me découvrir : l’adrénaline m’aide à trouver des choses que je ne soupçonnais pas, aussi bien scéniquement que vocalement.
Qu’attendez-vous de ces Victoires de la musique classique ?
C’est une belle opportunité pour me faire connaître auprès du grand public, que je reçoive ou non cette Victoire, être dans cette aventure est déjà une très belle reconnaissance. Cela veut dire que le monde de la musique professionnelle croit en nous et nous donne notre chance.
Y a-t-il encore des concours que vous aimeriez tenter ?
L’an dernier, j’aurais adoré faire le Concours Reine Elisabeth dont je rêvais depuis toute petite. Mais une belle opportunité professionnelle m’a été proposée par Marc Minkowski, Sesto dans la Clémence de Titus à Prague, ce qui a été une expérience extraordinaire. Il y aura peut-être d’autres grands concours à venir mais je me laisse le temps d’y penser.
Le public est appelé à voter pour choisir la Révélation lyrique des Victoires de la musique classique : qu’est-ce que cela change ?
J’ai remporté le prix du public des Mozart de l’Opéra il y a deux ans, ce qui m’a beaucoup touchée. C’est un prix très important car, avant tout, on fait ce métier pour transmettre des émotions aux personnes qui viennent nous écouter.
Connaissez-vous Eléonore Pancrazi et Guilhem Worms, vos deux concurrents sur ce concours ?
Oui, ce sont deux amis. Eléonore va faire voter toute la Corse et moi toute la Bretagne. Nous avons chacune une forte identité régionale que nous sommes fières de représenter ! Nous avons tous les trois nos qualités : je serais très heureuse tout de même si c'est Eléonore ou Guilhem qui remporte ce prix.
Une semaine avant la cérémonie, vous serez à Tourcoing pour la Clémence de Titus, dans laquelle vous interpréterez Annio. La mise en scène est signée Christian Schiaretti : que pouvez-vous nous en dire ?
J’aime sa manière de travailler parce qu’il nourrit beaucoup les personnages, ce qui est intéressant pour moi qui ai déjà chanté Sesto l’an dernier. J’avais une idée simpliste d’Annio : je le voyais comme un jeune, amoureux de Servilia, qui cherche à protéger son ami Sesto. Sa vision est complètement différente : Annio ne sera pas un agneau. Il sera plus sournois, servira plus son intérêt. Nous faisons peu de déplacement : tout le sens repose sur le texte et l’interprétation, dans un décor et des costumes antiques.
Emmanuel Olivier dirigera l’œuvre : le connaissiez-vous avant cette production ?
Oui, il a été le professeur de Qiaochu Li, ma pianiste : il nous a beaucoup aidées à préparer le Concours Nadia et Lili Boulanger, pour lequel nous devions interpréter un sonnet de Benoît Mernier, une œuvre contemporaine, complexe à s’approprier. J’ai été ravie d’apprendre qu’il dirigerait ! Il a une idée très précise de ce qu’il veut et nous fait beaucoup travailler les récitatifs : j’aime ce travail de précision. Évidemment, n’avoir pas pu travailler avec Jean-Claude Malgoire [décédé en avril 2018, ndlr], qui m’avait offert ce rôle, restera un regret.
Le fait d’avoir chanté Sesto avant change-t-il votre interprétation du rôle d’Annio ?
C’est perturbant au début mais cela nous permet de voir l’œuvre sous un autre angle. C’est très enrichissant d’avoir l’avis de Christian Schiaretti sur ce que propose Amaya Dominguez en Sesto, car je serai amenée à rechanter ce rôle. Je prends autant de plaisir à chanter les deux. Sesto est un rôle très présent, avec beaucoup de récitatifs, des airs copieux. Annio n’est pas moins exigeant car l’ambitus [écart entre la note la plus basse et la note la plus haute, ndlr] est très large. Le fait que ses interventions soient en pointillés est également difficile à gérer car il faut rester en permanence dans le jeu.
Que faites-vous entre deux interventions durant le spectacle ?
J’aime bien rester en coulisses pour maintenir ma concentration : cela me permet de continuer à penser au personnage. Chaque représentation est différente, je trouve donc utile de savoir ce qui s’est passé lorsque mon personnage n’est pas sur scène.
Quelle est votre technique de travail pour un rôle ?
D’abord, je travaille à la table : je parle le texte en rythme pour travailler la prosodie, puis j’ajoute les notes petit à petit. Ensuite, j’écris les textes pour mieux les mémoriser. Je cherche ensuite des choses qui peuvent faire écho dans ma vie, pour apporter du vécu au personnage. Enfin, j’écoute plein de versions de l’œuvre.
Du coup, parvenez-vous à anticiper le travail sur vos futures prises de rôles ?
Jusqu’ici, j’ai fait beaucoup plus de concerts que de productions d’opéra. Ainsi, depuis septembre, j’ai chanté 15 programmes dans des styles très différents. Tout est une question d’organisation. Les productions de Tourcoing et Lille vont me permettre de passer un mois et demi au même endroit, ce qui ne m’est jamais arrivé. Afin de gérer mes différents projets, je m’octroie tous les six mois, à Noël et au mois d’août, un temps précieux pour préparer ce qui arrive.
Au mois d’avril, vous serez la Deuxième dame dans la Flûte enchantée à Lille, dans la mise en scène de Romeo Castellucci (lire ici notre compte-rendu à La Monnaie) : l’avez-vous déjà vue ?
Je n’ai pas eu le temps, mais j’ai eu beaucoup d’échos. Je regarderai la vidéo avant pour m’en imprégner, car c’est une production apparemment très particulière. Le fait que la première partie soit très chorégraphiée ne devrait pas poser de problème. Je trouve ça très intéressant de découvrir une œuvre sous différents aspects. J’étais ravie qu’on me propose de travailler avec Castellucci. J’aime tout autant les mises en scène modernes et classiques : le principal est que le message de l’œuvre soit transmis et qu’il y ait une osmose entre le metteur en scène et les interprètes. Dans tous les cas, quand les artistes prennent du plaisir sur scène, cela se ressent dans le public.
Les Noces, Titus et la Flûte : votre début de carrière tourne beaucoup autour de Mozart. Est-ce que cela vient de vous ou uniquement du hasard des propositions qui vous sont faites ?
Cela vient des propositions que l’on me fait. Je suis sans doute identifiée comme mozartienne, bien que je sois aussi rossinienne. J’ai chanté du Lully l’an dernier et j’ai adoré. J'interpréterai d’ailleurs plusieurs rôles dans Isis de Lully avec Christophe Rousset cet été. On dit souvent aux jeunes artistes qu’il est bon de mettre un air de Mozart dans une audition, car c’est un répertoire qui parle à tout le monde mais aussi car il est exigeant. C’est un répertoire qui correspond bien à mon instrument. Il demande de l’agilité et du contraste : il y a beaucoup de sentiments dans ces œuvres, de l’abandon, de l’excitation. Cette musique me parle beaucoup : comme moi, Mozart était un grand enfant.
Qu’aimeriez-vous chanter dans le répertoire rossinien ?
J’aimerais beaucoup interpréter Rosine dans le Barbier de Séville. On m’a déjà proposé de le chanter mais j’avais dû refuser pour des problèmes d’agenda. Ce n’est peut-être pas un mal car je ne me sens pas encore physiquement prête pour ce rôle.
De quoi votre saison prochaine sera-t-elle faite ?
Je vais chanter Siebel dans Faust, qui est un rôle qui me tenait vraiment à cœur, ainsi que Dorothée, la sœur dans Cendrillon de Massenet. Je prendrai également le rôle de Dorabella dans Cosi fan tutte, qui viendra encore compléter mon répertoire mozartien. Je commence vraiment à mettre un pied dans les maisons d’opéra : j’en suis ravie.
Quels rôles aimeriez-vous aborder ensuite ?
J’aimerais avoir l’opportunité de chanter Stéphano dans Roméo et Juliette et Urbain dans Les Huguenots, et rechanter Cherubino dans Les Noces de Figaro. Bien sûr, à plus long terme, j’aimerais chanter Carmen et Charlotte dans Werther. Ces deux rôles provoquent des émotions fortes, qui nous transcendent. J’ai envie de rôles tragiques : je pense avoir quelque chose à apporter dans ces rôles-là. J’ai envie de mourir sur scène (rires) !
Quel rôle serait selon vous le plus susceptible de vous ouvrir les portes des grandes maisons d’opéra ?
Mélisande dans Pelléas et Mélisande de Debussy ou bien Orphée dans Orphée et Eurydice sont des rôles que j’aime beaucoup ! Ceci étant, je ne réfléchis pas du tout à une stratégie de carrière : ma carrière se construit en fonction des rôles que l’on m’offre. En revanche, je réfléchis vraiment avant d’accepter chaque rôle. Je le travaille avec mon chef de chant, je regarde avec qui le projet se fait. Jusque-là, cela me sourit puisque je suis en train de réaliser mon rêve de participer aux Victoires de la musique classique.
Ce rêve étant réalisé, quel est le suivant ?
Ce serait d’aller chanter sur les grandes scènes internationales. J’ai envie de voir du pays. Après, je ne réfléchis pas à une stratégie pour y arriver. Je ne travaille pas avec les gens par intérêt, mais pour le plaisir. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas d’ambition. Je fais confiance à ma bonne étoile : nous verrons si elle me permet d’y arriver.
En tant que spectatrice, quel est le rôle qui vous fait le plus vibrer ?
L’univers de Pelléas et Mélisande me touche : la musique est intense, sensible. Elle me donne des frissons. Carmen est aussi un rôle qui me parle par son côté sauvage, animal : j’aime voir les artistes se déchirer, comme dans le duo final où Don José est bouleversé. J’aime voir des choses qui sont vraies et puissantes. J’ai vu Ekaterina Semenchuk en Azucena dans Le Trouvère : voilà une chanteuse magnifique, qui réunit une voix moelleuse et chaude, avec une interprétation sensible et immense à la fois. J’aime ces artistes qui n’ont pas peur de se mettre en danger, comme Roberto Alagna dont je suis absolument fan : en plus d’être un chanteur, c’est un acteur formidable, qui vit son art au maximum.
Quel a été le premier rôle que vous avez refusé ?
C’était Elena dans La Dame du lac de Rossini : le rôle était trop lourd à ce stade de ma carrière.
Quel est le rôle que vous redoutez qu’on vous propose ?
Carmen ! J’ai très envie de chanter ce rôle, mais je préfèrerais qu’on me le propose dans quelques années, quand je serai physiquement prête.
Le fait de devenir chanteuse lyrique s’est-il imposé à vous ?
C’est venu progressivement par le travail et les rencontres lors de mon parcours. J’ai commencé par la maîtrise, en Bretagne. Faire de la musique m’a aidée dans mon parcours scolaire car j’avais huit heures de chant par semaine. Je n’aimais pas l’école : il y avait tellement d’autres choses à faire. J’étais une rêveuse : je passais beaucoup de temps à contempler la mer, la nature.
Que retenez-vous de votre première expérience professionnelle ?
C’était Zerlina dans Don Giovanni au Festival de Chartres. C’est Pierre-Michel Durand qui dirigeait avec son orchestre Prométhée. J’en garde un très bon souvenir. Ève Ruggiéri [la Directrice artistique du festival, ndlr] était formidablement bienveillante et chaleureuse. C’est elle qui m’avait auditionnée, et avait des commentaires très justes sur ce que je devais faire ou ne pas faire. J’étais entourée par des gens bons. Je faisais un remplacement dans une production qui avait déjà été jouée, ce qui m’angoissait un peu. J’ai fait des erreurs mais on ne m’a pas tapé sur les doigts. J’étais émue car l’œuvre m’avait bouleversée et mes collègues étaient formidablement justes : sur scène, je vivais des émotions comme dans la vie.
Quelle est la plus grande difficulté que vous ayez dû affronter depuis ?
Les plus grandes difficultés restent les ennuis de santé. J’ai dû faire un concert alors que j’avais une extinction de voix depuis dix jours. J’avais des quintes de toux pendant les répétitions. J’ai finalement fait ce concert sans problème. Encore pour ces Victoires de la musique : j’étais très malade dix jours avant d’enregistrer les vidéos de présentation. J’ai repensé à Marie Perbost qui a dû renoncer l’an dernier (lire son interview ici). Heureusement, elle a un talent fou donc cela n’a finalement rien changé pour sa carrière, mais cela reste un grand stress.
Vous avez participé à l’enregistrement studio du CD Eugène Anthiome sorti le 2 novembre dernier chez le label Contraste : que pouvez-vous nous en dire ?
Il a été enregistré l’année dernière. J’y interprète cinq mélodies d’Anthiome, qui est un compositeur breton peu connu, bien qu’il ait écrit de belles choses et ait été professeur de Maurice Ravel. Ces mélodies, très appréciées du grand public, sont plus complexes qu’il n’y paraît à s’approprier. L’équipe avec laquelle j’ai fait cet enregistrement, Johan Farjot, Arnaud Thorette et Antoine Pierlot, me tient à cœur car elle m’a donné ma chance quand je suis arrivée à Paris. J’ai fait énormément de concerts dans des lieux prestigieux grâce à eux, ce qui m’a aidée à prendre confiance en moi. Il s’agissait de mon second enregistrement, après Alceste de Lully que nous avons capté à Gaveau avec les Talens Lyriques.