Marie Perbost : « J’ai envie de rôles qui pétillent »
Marie Perbost, l’an dernier, vous avez découvert l’un des plus grands risques du métier de chanteuse lyrique : le pépin de santé qui vous a obligée à annuler les Victoires de la Musique Classique, Voix nouvelles et plusieurs projets. Comment avez-vous vécu cette période ?
Sur le moment, j’ai ressenti énormément de frustration car j’avais rêvé de participer à ces concours. Je voyais mes amis sur la scène de Voix Nouvelles et, même si j’étais contente pour eux, je me disais que j’aurais pu y avoir ma place. D’un autre côté, cela m’a offert trois semaines de repos, alors que tout s’enchaînait depuis bien longtemps à un rythme fou. Cette distance m’a permis d’apprendre à relativiser et de comprendre ce qui était vraiment important pour moi en tant qu’artiste, c’est-à-dire replacer l’humain au centre. J’ai donc fait un stage de formation à la langue des signes : j’avais six heures de cours dans le silence le plus complet. Pour un musicien, c’est une expérience incroyable ! J’ai également ressenti le besoin de m’exprimer en tant qu’artiste, quitte à me tromper. Du coup, j’ai décidé de ne pas renouveler mon contrat d’apprentissage avec l’Académie de l’Opéra de Paris, et j’ai fait de la recherche sur les répertoires qui me faisaient envie, ce qui m’a permis d’écrire un spectacle et de préparer un disque avec Harmonia Nova [le label jeunes talents d’Harmonia Mundi, ndlr].
Vous avez donc écrit un spectacle : de quoi s’agit-il ?
J’ai la chance d’avoir été suivie par un mécène durant mes études. Une fois que j’ai commencé à gagner ma vie et que je n’ai plus eu besoin de son aide financière, il m’a commandé des spectacles pour ses clients. Pour ce dernier spectacle qui s’appelle Une jeunesse à Paris, il m’a donné carte blanche. Il s’agit d’un regard amusé sur le répertoire 1875-1940, que je partage avec Benjamin Athanase, un ami ténor du conservatoire avec qui j’ai des affinités artistiques puissantes. Il vient du théâtre et a un passionnant rapport au texte, ce qui est très important pour ce répertoire. J’espère que la sortie du disque apportera de la visibilité à ce spectacle, notamment sur Paris !
Que pouvez-vous nous dire sur ce disque ?
Il est prévu pour fin février. Il y aura de la mélodie française, de la chanson et des raretés trouvées par Alexandre Dratwicki [directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, ndlr] et moi-même, que j’ai enregistrées avec ma pianiste Joséphine Ambroselli ainsi que mes amis des Frivolités Parisiennes. Il y a notamment un duo de Serpette parodiant les Bijoux de Marguerite [dans Faust de Gounod, ndlr] qui me fait hurler de rire ! J’ai mis tout mon cœur et toute mon âme dans ce disque : j’aimerais signer avec Harmonia Mundi pour poursuivre cette aventure. En tout cas, j’ai d’autres idées !
Pourquoi avoir choisi de quitter l’Académie de l’Opéra de Paris après seulement une année (le cursus étant prévu pour durer deux ans) ?
Quand j’y suis entrée, je travaillais déjà : il était frustrant de devoir dire non à des projets qui m’intéressaient. Bien sûr, je continue à me former (je viens par exemple de faire une masterclass avec Félicity Lott), mais la scène reste le meilleur apprentissage possible. Ayant fait beaucoup de récitals et de musique de chambre avant d’entrer à l’Académie, j’étais venue m’y former au grand répertoire et apprendre à travailler avec un orchestre. Plus globalement, je voulais apprendre le métier de chanteuse d’opéra. À ce titre, la production de La Ronde de Boesmans a été très formatrice : je devais chanter fort peu vêtue, les jambes par-dessus la tête, dans l’Amphithéâtre qui est en arc de cercle, avec l’orchestre sur le côté et un chef uniquement visible via les retours vidéo. C’était un concentré des difficultés du métier, et en même temps une expérience extrêmement enrichissante. Mais le reste de la saison n’offrait pas d’ouvrages complets d’opéra, alors que je recevais d’alléchantes propositions d’opéra de l’extérieur.
Quelles relations gardez-vous avec l’institution ?
Nous nous sommes quittés en excellents termes. En partant, j’ai toutefois dû renoncer à participer au Iolanta de Garnier [à réserver ici, ndlr]. Ils m’ont proposé le rôle d’Adèle dans La Chauve-Souris [la production de l’Académie cette saison, ndlr], mais leur vision du rôle était trop légère pour moi. Ils m’ont aussi proposé Rosalinde, mais pour le coup, cela m’a semblé trop tôt. Je veux encore pouvoir chanter les rôles qui sont entre ces deux registres. Déjà, on me dit en audition que je dois chanter la Comtesse [dans Les Noces de Figaro, ndlr] alors que je veux chanter Susanna, rôle que je n’ai encore jamais interprété. De même, je chanterai Thaïs un jour, mais aujourd’hui, j’ai envie de rôles qui pétillent.
Vous chanterez donc Marzelline dans Fidelio avec l’Atelier Lyrique de Tourcoing les 7 et 9 décembre. Qu’en attendez-vous ?
Marzelline est le rôle parfait pour moi aujourd’hui. Ma seule vraie tristesse est que Jean-Claude Malgoire ne puisse pas l’entendre [il est décédé le 14 avril dernier, ndlr]. Il m’a offert la chance d’interpréter le plus beau quatuor de l’histoire de la musique, avec Véronique Gens pour qui j’ai beaucoup d’admiration !
Comment cela s’est-il fait ?
Par l’intermédiaire de mon professeur Alain Buet, qui participe à la production. Un jour, Jean-Claude est arrivé à un cours, qui s’est transformé en audition. On a discuté et il m’a demandé si j’étais disponible pour cette production. Cela m’a fait plaisir qu’il ait pris la peine de se déplacer alors qu’il faisait totalement confiance au jugement d’Alain Buet, et qu’il ait apprécié. Il faut dire que j’adore le répertoire allemand : j’ai une relation très intime à ce répertoire, que j’ai d’ailleurs beaucoup pratiqué cet été, à Salzbourg.
Vous mentionnez votre été salzbourgeois : qu’y avez-vous fait ?
J’interprétais Pamina dans La Flûte enchantée adaptée sur une heure trente, pour 10 représentations. La mise en scène conservait la féerie de l’histoire en l’adaptant aux enfants. À l’Académie de Salzbourg, nous étions 13 chanteurs de 13 pays différents : j’ai été très impressionnée du niveau de mes collègues.
Justement, vous chanterez La Flûte enchantée à Tours cette saison : qu’attendez-vous de ce projet ?
Ce sera en effet un moment important de ma saison. Ça va être extraordinaire : une distribution très française [à découvrir ici, ndlr] pour un ouvrage tout en allemand. Rien que pour ça, elle vaut le déplacement ! Mon gros défi ne sera pas sur les parties chantées, sur lesquelles je me sens très à l’aise, mais sur les textes parlés, car il y en a beaucoup. Je m’y sens bien entourée et bien préparée : je n’appréhende pas ce projet. Je transpire plus sur l’italien ancien de la production d’Il Mondo alla Rovesa de Galuppi, que je vais chanter cette année.
Pouvez-vous nous parler de cette production qui passera par Avignon, Reims et la Philharmonie de Paris ?
Je voulais de la grande gymnastique vocale, je suis servie. Il y a de la vocalise au kilomètre. L’intrigue est intéressante : les femmes sont au pouvoir et contrôlent les hommes. Il y a un terrain pour faire quelque chose de passionnant dans le contexte actuel : j’ai hâte de découvrir la mise en scène.
Je ne suis pas particulièrement engagée politiquement, notamment car j’ai encore besoin d’affiner ma pensée, mais certaines répliques de mon personnage me piquent un peu. Il m’est difficile de les chanter sans critiquer mon personnage.
Au menu des raretés, vous chanterez également Le Testament de la tante Caroline d’Albert Roussel à l’Athénée : de quoi s’agit-il ?
Ce sera avec Les Frivolités Parisiennes. Je serai enceinte dans le spectacle : là aussi, cela fait écho aux mésaventures de Julie Fuchs [qui a été écartée en avril dernier d’une production à Hambourg pour cause de grossesse, ndlr]. Une autre de mes amies a été chassée d’une production car il aurait fallu changer la robe, alors qu’elle n’était enceinte que de trois mois. Je trouve ces exemples extrêmement violents et anxiogènes. Je vais bientôt avoir 30 ans et cette question va se poser pour moi : comment planifier ma carrière en m’autorisant à construire ma vie de famille ?
Vous chanterez la saison prochaine la Folie dans Platée à Toulouse et Versailles, dans une nouvelle mise en scène de Shirley et Dino dirigée par Hervé Niquet : qu’en attendez-vous ?
Ça va être l’extase ! J’ai regardé leur King Arthur de nombreuses fois. Il va falloir être au niveau pour jouer un personnage qui s’appelle La Folie dans un spectacle réunissant Shirley et Dino et Hervé Niquet ! L’autre défi sera de me défaire de l’image de Mireille Delunsch dans la mise en scène de Pelly. Et puis je crois qu’Hervé Niquet est très exigeant, ce qui m’attire aussi. Je travaillerai d’ailleurs également avec Emmanuelle Haïm dans un programme de cantates françaises qui tournera tout le mois de novembre. Ces deux chefs sont tout de même deux références : ça va être passionnant.
Vous chanterez enfin cette saison à Versailles dans deux œuvres du répertoire sacré, le Magnificat et la Passion selon Saint Jean de Bach. Est-ce un répertoire qui vous tient à cœur ?
Je retrouve dans ce répertoire l’intimité de la musique de chambre : je m’y sens à ma place. Je ne suis pas croyante, mais chaque fois que je chante de l’oratorio, je me prends à y croire pendant un instant : il y a quelque chose de plus grand que nous. Ces deux projets se font avec Valentin Tournet, on se connait bien. C’est le début de son aventure de chef et je crois beaucoup en lui. Sans parler de ses incroyables capacités à la viole, il a une oreille, une vision. Il réfléchit beaucoup à son positionnement en tant que chef.
Vous avez gagné le concours de l’Adami. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
Je ne m’attendais pas à ce que l’Adami change autant de choses ! D’une part, cela m’a permis de réaliser des vidéos de très bonne qualité : un matériel très sérieux pour postuler, ce qui est un réel avantage pour sortir du lot et obtenir une audition. Ensuite, l’Adami, c’est aussi un petit réseau. Il y a beaucoup de festivals qui savent qu’ils peuvent avoir des subventions de l’Adami s’ils emploient des artistes qui ont gagné ce concours.
Vous avez également remporté le Concours International Nadia et Lili Boulanger avec la pianiste Joséphine Ambroselli. Comment ce duo est-il né ?
Nous nous sommes rencontrés en première année au CNSM. La classe d’Anne Le Bozec est la seule dans laquelle c’est le pianiste qui choisit son chanteur : on se présente dans une très belle salle, tous les pianistes de la classe sont réunis. Nous interprétons quelques airs afin de nous vendre un peu, puis les pianistes débattent et choisissent le chanteur avec lequel ils souhaitent travailler. Nous nous sommes trouvées avec Joséphine, et cela s’est immédiatement très bien passé. Nous y sommes allés au bluff et au bout de six mois nous participions à des concours internationaux : nous n’avons pas arrêté pendant cinq ans, et nous avons beaucoup évolué ensemble. Le concours Nadia et Lili Boulanger était la consécration de notre travail. Il s’agissait d’un rêve de petite fille pour toutes les deux. Il est dommage que le Lied ou la mélodie soient un art considéré comme peu accessible.
Avant de vous lancer dans la musique, vous avez fait des études d’histoire de l’art et d’archéologie. À quel moment avez-vous décidé de faire du chant votre profession ?
Cela a été une décision très difficile. Je me suis inscrite en fac d’histoire de l’art, où j’ai pris un plaisir infini. Je me suis rendue compte que c’était dans les exposés oraux que je connaissais de véritables moments de bonheur. J’étais face à tout le monde, je présentais des PowerPoint délirants et je faisais des discours. Tout le monde venait à mes exposés. Lorsque j’ai compris qu’aussi bien moi que mon auditoire prenions du plaisir, je me suis dit que quelque chose n’allait pas. Je n’étais pas en adéquation avec moi-même. Cela a été un peu difficile. J’ai travaillé quelque temps comme secrétaire pour me nourrir, et j’ai arrêté la fac. Je me suis inscrite au CNED en musicologie ainsi qu’au conservatoire du XIIème arrondissement. J’y ai travaillé sérieusement la musique et la voix. Sortant d’une maîtrise, je chantais droit comme un enfant. Il a fallu réapprendre à chanter. J’ai ensuite passé le concours du CNSM et j’ai été prise.
Avoir commencé par la maîtrise vous a-t-il apporté quelque chose pour votre carrière ?
J’ai un amour pour les harmonies a cappella. Il y a quelque chose dans la vibration des voix pures qui est incroyable. C’est la Maîtrise de Radio France qui m’a offert ce plaisir. Elle a formé mon oreille et m’a enseigné une certaine esthétique. Grâce à elle, je fais désormais de la musique contemporaine avec aisance, et je sais me fondre dans un groupe sans difficulté.
Selon vous, quel pourrait être votre rôle référence, celui qui vous ouvrirait les portes des plus grandes maisons d’opéra ?
Ça pourrait être Pamina : maintenant que Salzbourg m’a fait confiance dans ce rôle, il peut m’ouvrir des portes. Le rôle dont je rêve et sur lequel j’aimerais qu’on me fasse confiance, c’est Blanche dans les Dialogues des Carmélites. Je sais que je peux faire quelque chose d’intéressant dans ce rôle. J’aimerais le chanter à l’étranger pour y défendre le répertoire français. Je me sentirais très heureuse de pouvoir donner ses lettres de noblesse au répertoire national, de Massenet à Poulenc, à l’international.