Diane Polya-Zeitline dresse son bilan à la direction de l’Opéra de Vichy
Madame Diane Polya-Zeitline, pouvez-vous nous présenter l'Opéra de Vichy ?
L'Opéra de Vichy est le seul théâtre de style Art Nouveau en France. Il compte 1.400 places avec une salle extraordinaire, couleur or. Nous sommes aujourd'hui 25.000 habitants, mais lorsqu'il fut inauguré en 1901, Vichy était une petite ville saisonnière de province – certes connue dans le monde entier pour son thermalisme – dans laquelle le Grand casino finançait la culture (une manière pour moraliser les jeux d'argents). Le bâtiment appartenait à la Compagnie Fermière (le Fermier de l'État qui gérait le thermalisme). Il a été cédé à la ville en 1989, pour 1 franc symbolique, charge à elle et à son maire Claude Malhuret qui venait d’être élu, d'entretenir et d'animer ce lieu situé aux abords des parcs, de la rivière et des hôtels-restaurants. Jusqu'en 1995, l’Opéra récupérait 3% des produits bruts des jeux. Puis, le casino a été déplacé hors du bâtiment et les moyens ont diminué, ne permettant plus de financer l’Opéra.
Comment avez-vous pris en main l'Opéra de Vichy ?
Lorsque je suis arrivée en 1990, ce n'était qu'un théâtre d'été car il n'avait pas de chauffage. Il était en cours d’installation et dès 1995 avec l’implantation du Palais des Congrès dans le bâtiment, nous avons pu créer une saison d'hiver (plus axée sur le théâtre et qui permet aux habitants de notre ville et de la grande région de profiter des grands succès parisiens dans d'excellentes conditions, l’Opéra étant doté de fauteuils très confortables). Lorsque je suis arrivée, il a fallu tout monter. Aucune équipe à l’exception de saisonniers tels un électricien, un accessoiriste et un machiniste et une secrétaire à mi-temps. Aucun système informatique, aucune billetterie, tout était à créer pour en faire une structure en état marche et démarrer la première saison estivale. J'ai pu constituer petit à petit une équipe extraordinaire de quinze personnes dont six à la technique et quatre à l'administration et deux à la billetterie. Sur le plan financier, la ville de Vichy donne le maximum de ce ce qu'elle peut offrir. Parmi mes missions figurait la recherche des financements auprès des institutions telles celles du département et de la région, ainsi que des partenaires mécènes. Depuis 2016, l’AOVi (Association des amis de l'Opéra de Vichy) s’est constituée et vient soutenir notre action dans ce domaine. Cela devrait permettre d’augmenter les moyens financiers pour l'avenir de l'Opéra de Vichy.
Quel est le public de l'Opéra de Vichy ?
Traditionnellement, il s'agissait de curistes qui venaient prendre les eaux – comme on dit – et qui venaient du monde entier. Les propriétés thérapeutiques de l’eau de Vichy avaient et ont des vertus qui se sont avérées efficaces, notamment pour les maladies de foie à l’époque, dont souffraient grand nombre de français des Colonies puis pour soigner également les rhumatismes. Il faut lire les mémoires de Mme de Sévigné qui d’une certaine manière a lancé Vichy, et qui évoque, dans sa correspondance avec sa fille, que ses rhumatismes la font moins souffrir grâce aux cures qu’elle vient faire à Vichy. Plus tard, vers les années 50 les médecins thermalistes prenaient leur bâton de pèlerin et durant l’hiver voyageaient pour faire connaître la ville et les soins que l’on prodiguait ici et invitaient aussi certains de leurs patients à venir à l’Opéra. Mais la perte des colonies a entraîné le déclin de Vichy durant les années 60 à 80.
De ville saisonnière, Vichy est peu à peu devenue ville à temps complet. Les grands festivals tels Aix, Orange, Beaune ont pris de plus en plus de lumière, les chœurs ou orchestres n’étaient plus disponibles en juillet et août et notre public local/régional partait en vacances, d’où l’idée de créer les Rencontres Lyriques Européennes mi-septembre, période qui bénéficie d’une belle arrière-saison dans notre région – afin de pouvoir bénéficier de leurs services juste avant que ne commencent les saisons des maisons d’Opéra avec lesquelles je travaillais. Il faut rappeler ici que l’Opéra de Vichy est peut-être l’une des plus belles maisons de France mais ne possède ni orchestre, ni chœur, ni ateliers de décors… d’où la nécessité d’importer des productions via location de décors, engagement d'orchestre, chœur et solistes et remonter les productions à l’Opéra de Vichy.
C'est ainsi que sont nées les Rencontres Lyriques Européennes ?
Effectivement et pour élargir la proposition, certaines années, les Rencontres Lyriques et Chorégraphiques se sont ouvertes au ballet. Il faut savoir que des grands noms de la danse se sont produits par le passé sur notre scène et même le fantastique Maurice Béjart a commencé sur la scène de l’Opéra de Vichy en 1946. Ces Rencontres Lyriques viennent immédiatement après un autre temps fort de notre région, le Festival de la Chaise-Dieu ce qui permet une offre culturelle plus vaste. Européennes, car certaines des productions que nous remontions ici venaient d’Italie ou de Belgique.
Comment organisez-vous et financez-vous les productions ?
Lorsque nous remontons des productions en louant les décors. l’Orchestre d’Auvergne que dirige Roberto Forés Veses est un partenaire privilégié et participe à nos productions en renforçant les effectifs selon les ouvrages proposés. Depuis 6 ans, nous disposons de notre propre distribution. J'ai beaucoup appris en faisant ce métier, en participant à des auditions et j’essaie au maximum d’avoir une distribution « made in Vichy », comme pour Don Giovanni, une production de Lausanne que nous donnons les 23 et 24 septembre prochains [mise en scène et costumes d'Éric Vigié, avec Nicolas Cavallier (Don Giovanni), Riccardo Novaro (Leporello), Maria Rey-Joly (Donna Anna), Lucia Cirillo (Donna Elvira), Samantha Louis-Jean (Zerlina), Daniele Zanfardino (Don Ottavio), Luigi de Donato (Commendatore), Benoit Arnould (Masetto), direction musicale de Roberto Forés-Veses].
Pour clore les Rencontres Lyriques Européennes 2017 et rendre un hommage à l’une des artistes les plus emblématiques du 20e siècle, dont on marque le 40e anniversaire de la disparition, Maria Callas – j’ai souhaité avec la complicité d’Alain Duault et la belle et talentueuse Béatrice Uria-Monzon, offrir sur la scène de l’Opéra de Vichy (pour un projet initialement élaboré au piano),une soirée lyrique avec orchestre – ce qui sera fait pour la première fois sous cette forme. Le Sinfonietta de Lausanne sera sous la direction de Cyril Diederich.
Concernant les financements de ces Rencontres Lyriques, il faut trouver un équilibre entre les concerts et spectacles proposés durant toute la saison estivale afin d'en permettre la réalisation et nous avons la chance à l’Opéra de Vichy d’avoir un public fidèle et précieux qui attend ces moments avec impatience.
Réservez ici vos places pour cet hommage à Callas, lors de son passage à l'Éléphant Paname
Quels sont vos plus beaux souvenirs ?
La première fois où le public est venu sur une programmation que j'avais faite. Mais mon cœur bat à chaque lever de rideau ! Je me sens toujours très fière à chaque fois qu'un artiste et/ou les visiteurs/touristes/mélomanes découvrent cette merveilleuse salle, ses couleur ocres, douces, son décor si particulier et son acoustique exceptionnelle. Occasion offerte durant environ 10 à 11 mois avec les deux saisons à l’Opéra de Vichy : « Une saison en été » de juin à octobre et « Une saison en hiver » de novembre à avril. Exceptionnel pour une ville de 25.000 habitants !
Vous savez, le nom de "Vichy" est trop souvent associé à des périodes terribles, alors que les Vichyssois n'y sont pour rien. Le gouvernement de la France de Pétain avait décidé – durant cette période noire de la guerre – de s'installer dans cette ville où des infrastructures exceptionnelles appartenaient à l'État et pouvaient donc être réquisitionnées : hôtels de luxe et système de communication moderne grâce au thermalisme. Alors, c'est un immense bonheur lorsque les artistes découvrent la beauté du théâtre, de son acoustique exceptionnelle et constatent avec bonheur que la ville est si charmante, si bien restaurée et si vivante.
En quoi consiste votre mandat de vice-présidente du Centre Français de Promotion Lyrique, aux côtés du président Raymond Duffaut, [qui nous a accordé une interview, pour ses adieux] ?
Un grand privilège de travailler aux côtés d’un homme tel que Raymond Duffaut. Au CFPL nous organisons des auditions pour des projets précis, comme ce fut le cas pour Le Voyage à Reims, Les Caprices de Marianne et L'Ombre de Venceslao de Martin Matalon [retrouvez ici notre compte-rendu], ainsi que les productions de ces ouvrages avec toujours le souci de fédérer les maisons d’Opéra en France et en Europe dans le cadre de coproduction. Cette année, sont organisées un grand nombre d’auditions dans toute la France pour le retour du Concours Voix Nouvelles de 2018 [notre article de présentation], un travail passionnant pour faire émerger une nouvelle génération de chanteurs.
Diriger un opéra demande des compétences extrêmement vastes, est-ce que votre parcours professionnel et personnel très riche vous a donné tous les outils nécessaires (le fait d'être née au Liban, d'avoir des origines hongroises, un père pianiste, d'avoir fait des études classiques, de théâtre, d'anglais, de psychologie, de la traduction, des voyages, mais aussi d'avoir travaillé dans la publicité et de grandes sociétés informatiques) ?
En tous les cas, tout cela m'a donné une ouverture d'esprit. Dans mon parcours, je voudrais surtout rendre hommage à quelqu'un d'extraordinaire et qui vient de s’éteindre : Bernard Bonaldi qui fut durant de longues années le Directeur du Festival Estival de Paris ainsi qu’à Jany Macaby, qui en a été administratrice et qui m’a engagée. C'est en travaillant avec eux, en tant qu'attachée de presse que j'ai trouvé ma voie. Le FEP était l’un des plus longs Festival d’été jusqu’en 1990 et les plus grands artistes français et étrangers ont connu les lieux inédits où ce festival se déroulait. C’est là que je me suis formée et ai pu rencontrer tant et tant d’artistes. J’ai le souvenir de ces années 1980 à 1990, si riches sur le plan musical tant dans la création contemporaine que l’émergence de la musique baroque. Je rends grâce également à Claude Malhuret, le sénateur maire de Vichy : ils m'ont offert mes plus belles années de travail, que j’ai effectué avec immense joie. J'ai trouvé là l’une des raisons de vivre et un bonheur fou.