En Bref
Création de l'opéra
Rienzi, der Letzte der Tribunen (Rienzi, le dernier des tribuns) est un « Grand Opéra romantique » en cinq actes sur un livret du compositeur Richard Wagner d’après le roman historique Rienzi: The Last of the Roman Tribunes (1835) écrit par le Baron Edward Bulwer Lytton. La composition de l’opéra s’acheva en 1840. La première eut lieu deux ans plus tard, le 20 octobre 1842, au Königlich Sächsisches Hoftheater de Dresde (aujourd’hui le Semperoper de Dresde) sous la direction de Carl Gottlieb Reissinger.
Rienzi : œuvre charnière ?
La première de Rienzi fut un grand succès. Le fameux ornithologue Ferdinand Heine (1809-1894), parmi les spectateurs à la première, montre ainsi l'importance de cette soirée et de cette oeuvre en remarquant : « Avec cet opéra, Wagner s’est placé immédiatement dans la lignée des plus grands maîtres de tous les temps. » Ainsi, Wagner obtint-il une grande célébrité grâce à Rienzi, à Dresde et au-delà. Plusieurs commandes de reprises puis de nouveaux opus suivront peu après.
Cependant, Wagner lui-même était loin d’être satisfait par son œuvre, qu’il jugea même comme un "péché de jeunesse". Il se sentit mal à l'aise face à son succès, car il avait composé cette oeuvre d'après un modèle en déclin et en suivant l'un de ses rêves bientôt passés : le Grand Opéra qui devait lui assurer le succès à Paris, donc dans le monde lyrique. Rienzi est en effet pensé dans ce modèle et avec ce public en ligne de mire, suivant la trace de Meyerbeer qui triomphe alors dans la capitale française et ainsi à travers l'Europe. Pour cette raison, Wagner respecte dans Rienzi le modèle et les canons du Grand Opéra, choisissant un sujet Historique, le structurant volontairement en « cinq actes avec cinq brillants finales », imaginant un ensemble scénique pour soutenir la grandeur de l’opéra (une représentation exacte de la Rome antique, avec ses cortèges et ses assemblées) et y insérant un long ballet (acte II). Un grand nombre de chanteurs était également exigé : cinq rôles principaux, plusieurs rôles secondaires, de nombreux chœurs et figurants. L’opéra dura cinq heures lors de la première à Dresde, ce qui demanda au directeur de l’Opéra d’imposer des coupures pour que l’œuvre parvienne à une longueur normale par rapport aux soirées de l’époque (même en comparaison des autres Grands Opéras démesurés). Ces révisions devaient aussi améliorer l'équilibre de l'oeuvre, en particulier dans la distribution vocale où le ténor (Rienzi) chantait presque tout le temps de telle sorte que les autres personnages semblaient mis de côté. L'oeuvre conserve toutefois ces caractéristiques et son hétérogénéité, certains personnages souffrant d'un manque de détail dans leurs aspects psychologiques et l'élaboration de leur texte. Des caractéristiques encore plus flagrantes pour qui compare Rienzi aux dernières oeuvres de Wagner, pour lesquelles il saura tirer toutes les conséquences de son travail à la fois de compositeur, de librettiste mais également de théoricien notamment élaboré dans Oper und Drame (Opéra et Drame en 1851). Rienzi ne connaîtra la scène parisienne que 57 ans après sa création en Allemagne ! avec un certain succès d'estime au Théâtre-Lyrique impérial en 1869 sous la direction de Jules Pasdeloup, dans une traduction française (comme il était de coutume à l'époque) de Charles Nuitter. Celui-ci avait déjà contribué à la traduction du précédent (et premier) opéra de Wagner représenté en France : Tannhäuser. Bien que Tannhäuser fut créé 3 années après Rienzi (également à Dresde), il débute 8 années avant à Paris, où il essuie un terrible échec. Wagner avait alors vécu comme un tragédie ce four parisien, d'autant qu'il avait dû multiplié les concessions en recomposant Tannhäuser. Il avait particulièrement souffert de devoir rajouter un ballet, alors qu'à l'inverse, il défendait le ballet de Rienzi pour sa cohérence avec le drame. En effet, ce ballet représente premièrement l’épisode du viol de Lucrèce (l’empereur Tarquin tente de violer la vierge Lucrèce), qui dans le drame sert de parallèle avec la tentative d’Orsini de violer Irène, et deuxièmement, l’allusion de l’opposition entre le peuple et les nobles romains (les patriciens). Ironie de l'histoire, ce sont désormais les salles d'opéras qui coupent le ballet.
Malgré tout, Rienzi marque l’un des points tournants les plus significatifs dans la trajectoire esthétique et artistique de Wagner. En effet, l’opéra porte déjà les germes de la vision de l’art total (Gesamtkunstwerk) et de l’ « art du futur » que Wagner exposa dans Das Kunstwerk der Zukunft (L'Œuvre d'art du futur) et dans l’intégralité d’Oper und Drame (Opéra et Drame) entre 1849 à 1852. En travaillant Rienzi, Wagner voyait déjà qu’une œuvre dramatique ne doit pas être conçue que « sous l’influence de l’esprit de la Musique » et que la poésie doit être toujours « vue avec les yeux de la musique. ». D’où son refus éternel du théâtre parlé. L’inspiration musicale, quoiqu’elle ne fut pas encore consolidée à l’époque, trouva déjà son ancrage à l’esthétique musicale beethovenienne de la Neuvième Symphonie. La fascination pour le sublime beethovenien s'affirma en 1839, lorsque Wagner assista à une répétition des trois premières mouvements de la symphonie sous la direction de François Antoine Habeneck, et se poursuivit tout au long de la vie du compositeur. En 1870, presque quarante ans après la première de Rienzi et douze ans avant son dernier opéra, Parsifal, Wagner écrivit sa longue éloge du sublime musical beethovenien dans l’essai intitulé Beethoven. Le 19 novembre 1840, ayant achevé la composition de Rienzi la veille, Wagner publie un court récit intitulé « Une visite à Beethoven ». Un éloge, voyage initiatique et hommage testamentaire pour le maître incontesté.
Pendant le travail de Rienzi, Wagner maintint son ambition esthétique et artistique. Un an après, en 1843, il compléta la composition de Der fliegende Holländer (Le Vaisseau fantôme). Ce dernier, beaucoup plus sombre que Rienzi, est un seuil d’entrée vers la maturité esthétique et artistique du compositeur. Souffrant et en quête de rédemption, Wagner s’identifie à la figure du Capitaine errant et regarde « le poème de l’Océan » comme sa rédemption.
Performances historiques et modernes
Le ténor bohémien Josef Tichatschek (1807-1886), dans le rôle Rienzi, et la grande soprano Wilhelmine Schröder-Devrient (1804-1860), dans la rôle d’Adriano, figurent parmi les créateurs de l’opéra en 1842. La jeune cantatrice déjà admirée par Liszt et Berlioz eut une relation passionnée avec Wagner qui dura jusqu’en 1845, peu après la première de Tannhäuser dans lequel elle chanta le rôle d’Élisabeth (rejoignant ainsi les "muses" qui inspirèrent aux compositeurs des rôles entiers).
Tichatschek, lui, fut un grand ténor wagnérien et chanta également les rôles de Tannhäuser et Lohengrin. En 1856, Tichatschek présenta à Wagner de Ludwig Schnorr von Carolsfeld (1836-1865), qui devient le premier Tristan et mourut peu après la première de l’opéra.
De manière générale, Rienzi est rarement représenté. En 1957, Wieland Wagner, à l’époque Intendant du Festival de Wagner à Bayreuth et précurseur du mouvement artistique du Neubayreuth (« nouveau Bayreuth »), propose une mise en scène de l’opéra à titre d’essai. La tentative échoue et par conséquent, l’opéra n'est plus représenté au Festival de Wagner (qui se concentre sur les 10 derniers opus majeurs-maturs de Wagner, en commençant après Rienzi par Le Vaisseau fantôme et allant jusqu'à l'ultime Parsifal). En 1976, le chef d’orchestre anglais Edward Downes dirige pour la British Broadcasting Company (BBC) des ouvrages de jeunesse de Wagner, il choisit Die Feen (Les Fées, 1834), Das Liebesverbot (La Défense d'aimer, 1836), et Rienzi.
Entre 1997 et 1999, la mise en scène de David Pountney qui place l’opéra dans un "futur proche" était donnée au Staatsoper de Vienne. Selon Pountney, sa mise en scène avait pour but d’égaler l’"égomanie musicale" de Wagner : « Wagner a investi la réalisation musicale de Rienzi avec l'extravagance effrontée et l'exagération insipide d'un hôtel à Las Vegas ... seule l'utilisation consciemment délibérée et éhontée du kitsch qui pourrait correspondre à cette égomanie musicale. » Zubin Mehta dirigeait cette production en 1997 avec Siegfried Jerusalem (Rienzi), Nancy Gustafson (Irène), Walter Fink (Steffano Colonna) et Violeta Urmana (Adriano). Deux ans plus tard, en 1999, Ernst Dunshirn assurait la reprise avec les mêmes chanteurs dans les trois rôles principaux et Margareta Hintermeier dans le rôle d’Adriano.
Le théâtre de Brême a représenté la production de Katharina Wagner (Directrice du Festival de Bayreuth) entre avril et mai 2009, et entre avril et mai 2010 la production de Philipp Stölzl était donnée au Deutsche Oper Berlin et à l’Oper Leipzig. Katharina Wagner propose une caricature à la fois de la figure et de la carrière de Rienzi. Ce dernier est représenté comme « un personnage-type de manga [japonais] portant des slips étroits ». Dans le dernier acte, les soldats morts de Rienzi apparaissent sous forme de zombies. Stölzl, lui, se réapproprie « l’esthétique de Leni Rieffenstahl » et fait de Rienzi une incarnation d’Adolf Hitler. La première production réduite à Bayreuth a eu lieu en juillet 2013 à Oberfrankenhalle, une arène sportive intérieure polyvalente. La mise en scène est signée Matthias von Stegmann, avec Christian Thielemann à la direction musicale et Robert Dean Smith dans le rôle titre. Cette production omet certaines parties, dont évidemment le ballet au deuxième acte. En décembre 2013, une version concertante de l’opéra est donnée à Melbourne, en présence du Premier ministre Tony Abbott.
Clés d'écoute de l'opéra
Figure historique inspiratrice : Cola di Rienzo
L’opéra se focalise sur la figure de Cola di Rienzo (ca. 1313-1354), notaire et ami du poète François Pétrarque. Ce dernier fit de Rienzo le héros de Spirito gentil, l’une de ses plus grandes odes. Rienzo s’opposa au régime des nobles à Rome et visa à établir un gouvernement du peuple. Afin de montrer la fermeté de son dessein, Rienzo prit les titres de "tribun" et "soldat du Saint Esprit" (miles Spiritus Sancti). Grâce à ces nouveaux statuts, Rienzo obtint la faveur du peuple et de l’Église, jusqu'au pape Clément VI qui lui octroya un statut officiel dans sa curie.
En 1347, les hérauts de Rienzo invitèrent le peuple au Capitole. Le lendemain, Rienzo y livra une tirade remplie d’éloquence sur « l’esclavage et la rédemption de Rome ». Ce jour-là, un nouvel ensemble de règles fut publié et accepté, consolidant dès lors le pouvoir quasi-illimité de Rienzo. Il devint dictateur et tribun avec le titre « Nicholaus, severus et clemens, libertatis, pacis justiciaeque tribunus, et sacræ Romanæ Reipublicæ liberator » (« Nicola, sévère et clément, tribun de la liberté, de la paix et de la justice, ainsi que libérateur du Saint Empire Romain »).
Néanmoins, malgré ses ardentes campagnes, Rienzo finit par perdre la faveur du peuple et éventuellement l’Église. Il fut exilé en 1347, après une série de bataille contre son rival, Stefano Colonna (ce dernier fut tué dans la bataille hors de la Porta Tiburtina, à laquelle Rienzo ne participa pas). Trois ans plus tard, en 1350, Rienzo se rendit auprès de Charles IV, son ancien allié, à Prague, afin de persuader le roi de reprendre son siège auprès du pape à Rome. Cette tentative échoua, et par conséquent Rienzo fut incarcéré à Raudnitz jusqu’en 1352. Cette année, Charles IV envoya enfin Rienzo au pape Clément VI, qui l'accusa cette fois d'hérésie et le fit condamné à mort en août 1352, mais le jugement ne fut pas exécuté. Rienzo fut exonéré deux ans plus tard par le pape Innocent VI, qui vit Rienzo comme un outil sinon un allié dans sa campagne visant à abolir le régime des nobles.
Motifs Musicaux
Si Wagner fera de la construction en leitmotifs une structure essentielle de ses oeuvres suivantes, il systématisera ainsi un principe qui est à l'origine même de la musique et qui se retrouve donc dans Rienzi (avec même un usage très marqué) : celui du motif musical. Dès l'ouverture, Wagner fait ainsi se confronter le motif de l’appel guerrier (celui de la famille Colonna, par les trompettes) et le motif de la prière de Rienzi qui marquera le dernier acte. La partition est ainsi à la fois traditionnelle (l'ouverture à l'opéra sert à présenter les thèmes) et déjà innovante (en confrontant puissamment des extrémités : familles antagonistes, début et fin du drame).