En Bref
Création de l'opéra
Après l'échec de Béatrice de Tende en 1833, Vincenzo Bellini rompt avec le librettiste Felice Romani, avec qui il avait créé ses plus grands succès tels que Les Capulet et les Montaigu (1830) ou La Somnambule (1831) et quitte l'Italie pour s'installer à Paris en août 1833. En janvier 1834, il reçoit une commande du nouveau directeur du Théâtre des Italiens, Carlo Severini, incité par Gioachino Rossini qui réside dans la capitale depuis déjà plusieurs années et collabore avec le Théâtre. Le contrat est signé en février 1834. Dans l'effervescence des sphères mondaines parisiennes, Bellini rencontre Carlo Pepoli, un jeune poète italien exilé à qui il confie le livret de son prochain ouvrage : Les Puritains (I Puritani).
À partir de mars 1834, Pepoli lui soumet plusieurs intrigues. Bellini porte son choix sur un sujet basé sur le drame historique Têtes rondes et Cavaliers d'Ancelot et Saintine et commence la composition de l'opéra dès le mois d'avril. Les Puritains est son dernier opéra, et se distingue dans l'ensemble de sa production : c'est le premier et dernier opéra écrit après sa longue collaboration avec le librettiste Felice Romani, avec lequel Bellini veut renouer pour un prochain ouvrage. L'inexpérience de Pepoli ralentit la genèse des Puritains et encourage le compositeur à retourner vers son ancien librettiste, mais Bellini n'aura pas le temps d'entreprendre un nouvel ouvrage lyrique et meurt en septembre 1835.
L'opéra est ovationné lors de sa création à Paris le 24 janvier 1835 au Théâtre des Italiens et s'exporte très vite à Londres avec la même distribution, dont les quatre premiers rôles étaient tenus par Giulia Grisi (Elvira), Giovanni Battista Rubini (Arturo), Antonio Tamburini (Riccardo) et Luigi Lablache (Giorgio). Outre le succès assuré par ces quatre grands chanteurs qui entrèrent dans la légende sous le nom du « quatuor des Puritains », c'est grâce à cette dernière œuvre lyrique que Bellini reçoit le titre de Chevalier de la Légion d'Honneur, qui lui est décerné par Rossini lui-même.
Clés d'écoute de l'opéra
Le dernier opéra de Bellini
Ultime ouvrage lyrique de Vincenzo Bellini, Les Puritains s'inscrit dans l'évolution musicale du jeune compositeur italien engagée depuis Les Capulets et les Montaigus (1830), La Somnambule (1831) ou encore Norma (1831). Ainsi, Bellini poursuit toujours plus loin sa recherche d'un lyrisme ample et expressif qui prolonge le bel canto typiquement italien dans le quatuor chanté à l'acte I par Arturo, rejoint par Elvira, Giorgio, Walton et le chœur (« A te, o cara », acte I). Ce quatuor met en valeur l'ardeur des deux amants Elvira et Arturo à l'approche de leur mariage, soutenus par le père et l'oncle de la jeune fille. Il préfigure les grandes scènes d'ensemble d'un futur Giuseppe Verdi par sa portée dramatique et son développement mélodique en crescendo. Un autre exemple illustre ce soin apporté à la mélodie : il s'agit de la scène de la folie d'Elvira (« O rendetemi la speme », acte II), qui constitue un topos de l'opéra italien du XIXème siècle comparable aux scènes des héroïnes de Lucia di Lammermoor de Donizetti ou encore de La Somnambule. Si la structure de l'air semble s'inscrire dans la forme traditionnelle de l'air italien par une cavatine lyrique (« Qui la voce sua soave ») qui évolue vers une cabalette aux vocalises virtuoses (« Vien diletto, è in ciel la luna ! »), l'évolution mélodique et motivique est particulièrement élaborée. Les inflexions chromatiques subtiles dans la ligne vocale ainsi que dans l'accompagnement illustrent le désespoir mais également l'isolement d'Elvira. Giorgio et Riccardo assistent impuissants aux visions délirantes de la jeune fille.
Porté à son apogée dans Les Puritains, ce sens exceptionnel de la mélodie et du lyrisme est devenu une véritable signature de Bellini et le distingue tout particulièrement des compositeurs italiens de la première moitié du XIXème siècle tels que Donizetti ou Rossini. L'influence des Puritains dépassera la seule sphère de l'opéra en investissant également le domaine instrumental : l'œuvre pianistique de Frédéric Chopin (Les Nocturnes, en particulier) s'inspire par exemple largement du lyrisme de Bellini.
Les Puritains, un opéra romantique
L'une des influences les plus significatives de la veine romantique des Puritains est tout d'abord celle de Walter Scott. Pour le public des années 1830, le titre de l'opéra de Bellini n'est pas sans rappeler le célèbre roman Old Morality (1816) de Scott, traduit en français sous le nom Les Puritains d'Écosse (1817) et I Puritani di Scozia en italien (1825). Toutefois, si le thème traité par l'opéra de Bellini reste très proche de celui du poète écossais, l'intrigue ne repose pas entièrement sur le roman de Scott puisque la pièce d'Ancelot et Saintine sur laquelle se base le livret de l'opéra est située à Plymouth pendant la dictature de Cromwell, et les noms des personnages principaux sont changés. Le choix d'un sujet historique situé dans des pays plus au Nord que l'Italie est une tendance qui émerge dans l'opéra italien chez Rossini dès La Dame du Lac (1819) et chez Bellini à partir de La Somnambule (1831), et s'inscrit dans une trajectoire réaliste comparable au genre du Grand Opéra de Paris.
Plus frappant encore est la couleur orchestrale et harmonique spécifique aux Puritains qui distingue cet ouvrage parmi tous les opéras de Bellini. Celle-ci peut s'expliquer par la destination de l'opéra pour le public français du Théâtre des Italiens, auquel son compatriote Rossini avait déjà dû s'adapter pour son dernier opéra, Guillaume Tell, créé à l'Opéra de Paris en août 1829. L'orchestration des Puritains est à la fois plus soignée dans les formules d'accompagnement des lignes vocales (arpèges des cordes et mise en avant des bois par des contrechants), mais également plus impulsive, et ce dès le premier acte, avec l'utilisation massive des cymbales et des cuivres dans le chœur ouvrant l'opéra (« All'erta ! All'erta … Quando la tromba squilla »). L'un des passages les plus dramatiques au niveau orchestral est l'ouragan introduisant le troisième acte : en effet, ce prélude installe une atmosphère sombre par sa tonalité en ré mineur, son traitement des vents sur les tremollos des cordes graves, et enfin par les trois coups répétés de la cymbale, qui peuvent être perçu comme un avertissement pour Arturo qui retourne dans sa ville. Cette scène de tempête constitue également un exemple frappant du topos de la Nature comme reflet des tourments de l'âme humaine (en particulier Elvira, dont la dégradation psychologique a été exposée à l'acte précédent) et de la menace de mort qui plane sur Arturo et sur Elvira. Ce lien entre la violence des intempéries ou le calme de la Nature avec les états psychologiques des personnages, particulièrement amplifié par la tension dramatique de ce dernier acte, s'inscrit dans l'esthétique romantique de la première moitié du XIXe siècle.