En Bref
Création de l'opéra
En juin 1888, Pietro Mascagni découvre dans le journal Il secolo un concours de composition d'opéra en un acte organisé par la maison d'édition Edoardo Sonzogno. Les trois premiers prix ont le privilège de voir leur œuvre produite à l'opéra de Rome. Le livret de Giovanni Targioni-Tozzetti est achevé en décembre et Mascagni présente Cavalleria rusticana en mai 1889. Le concours s'adresse aux jeunes compositeurs italiens n'ayant pas encore d'expérience dans le répertoire lyrique, mais Mascagni a alors déjà commencé à écrire les opéras Pinotta et Guglielmo Ratcliff avant de commencer Cavalleria rusticana, qui est son premier ouvrage lyrique achevé.
Nommé premier prix du concours, Cavalleria rusticana triomphe lors de sa première représentation au Teatro Costanzi de Rome le 17 mai 1890. Ce premier ouvrage lyrique permet à Mascagni d'accéder à un succès international en Europe et en Amérique, conduit par les chefs d'orchestre les plus prestigieux du vivant du compositeur tels que Leopoldo Mugnone (qui le dirigea lors de la création), Felix Weingartner ou encore Gustav Mahler. Lorsque le compositeur meurt en 1945, Cavalleria rusticana a déjà atteint plus de 14 000 représentations en Italie.
Il existe également un opéra homonyme composé par Domenico Monleone (1907), qui fut interdit de représentation en Italie par l'éditeur de Mascagni.
Clés d'écoute de l'opéra
Un livret issu de la littérature vériste
Giovanni Targioni-Tozzetti écrit le livret de Cavalleria rusticana d'après une nouvelle et une pièce de théâtre éponymes de Giovanni Verga. Publiée pour la première fois en 1880, la nouvelle figure en tête du recueil Vita dei campi (littéralement Vie des champs) et est créée au théâtre en 1884 à Turin. L'œuvre de Verga est emblématique du vérisme, un courant littéraire italien qui s'inscrit dans une démarche parallèle au naturalisme français représenté par Émile Zola (que Verga rencontre en 1882) : ces deux courants prônent une certaine objectivité dans la narration en se basant sur des faits réels et des dialectes parlés. Les auteurs véristes mettent au cœur de leurs œuvres les passions et les drames de la vie quotidienne et s'intéressent plus particulièrement aux populations modestes et rurales du Sud de l'Italie : l'action de Cavalleria rusticana est située en Sicile. Apparu en Italie au cours de la décennie 1870, le courant vériste est issu du mouvement Scapigliatura du jeune milieu artistique milanais qui regroupait autant des dramaturges que des musiciens, représenté par Arrigo Boito : en plus d'être journaliste et poète, Boito était également librettiste pour Verdi et compositeur d'opéra (Mephistofele de 1868) et un fervent défenseur de l'art lyrique de Puccini, ce qui pourrait expliquer le transfert de la littérature vériste à l'opéra.
Le vérisme transposé à l'opéra
Les jeunes compositeurs italiens commençant leur carrière dans la décennie 1890 cherchent à se démarquer des grands modèles opératiques romantiques que sont alors Wagner et Verdi. La jeune génération veut revenir à un opéra qui met en valeur les revendications populaires, comme dans les ouvrages lyriques qui ont fait le succès de Verdi dans les années 1840 (Nabucco), mais dont il s'est détourné dans ses drames bourgeois des années 1850 (les opéras de la « trilogie populaire ») et dans ses derniers ouvrages, jusqu'à un Falstaff fortement influencé par Wagner en 1893. C'est plutôt du côté français que les véristes ont puisé leur inspiration, et notamment dans Carmen de Bizet (en particulier pour la puissance dramatique et expressive du quatrième acte où Don José tue sa bien-aimée). Cavalleria rusticana est souvent associé à l'opéra Paillasse (Pagliacci) de Ruggero Leoncavallo, que ce soit pour leur traitement musical vériste, ou pour des raisons plus pratiques, les deux œuvres formant un diptyque cohérent, pouvant être représenté sur une même soirée.
Pour les compositeurs véristes, le renouvellement de l'art lyrique passe d'abord par la transposition de la concision dramatique des formes littéraires de la nouvelle et de la pièce de Verga dans un opéra en un seul acte. Cette efficacité dramatique se manifeste également dans l'expression de passions violentes : dans Cavalleria rusticana, la jalousie conduit ainsi au duel meurtrier. Cavalleria rusticana est élaboré comme un opéra réaliste, puisque Mascagni instaure le cadre du dimanche de Pâques grâce à la sonorité de l'orgue, et l'atmosphère villageoise grâce aux chœurs. Pour autant, le compositeur ne renie pas l'héritage de la tradition du beau chant et conserve une esthétique du lyrisme à l'italienne par des phrases amples et dramatiques, comme en témoignent les airs « Voi lo sapete, o Mamma » de Santuzza et « Mamma, quel vino è generoso » de Turiddu. Mascagni va même jusqu'à avoir recours à des leitmotiven pour illustrer les personnages (et en particulier Santuzza), alors que le procédé est issu des opéras wagnériens : le courant vériste ne fait donc pas totalement table rase des influences de l'opéra romantique germanique ou italien, mais continue à développer leurs caractéristiques musicales.