En Bref
Création de l'opéra
Simon Boccanegra (comme Le Trouvère) de Verdi est basé sur une pièce de théâtre écrite par l'espagnol Antonio García Gutiérrez (1813-1884), qui traduisit également des pièces d'Eugène Scribe (célèbre et prolifique librettiste d'opéra) et d'Alexandre Dumas (qui inspira l'Opéra-Comique de Messager Le chevalier d'Harmental, Ascanio de Saint-Saëns, Le Sarrasin de César Cui et qui était le père de l'auteur à l'origine de La Traviata). Simon Boccanegra comme Le Trouvère sont d'abord des pièces de théâtre denses, riches et foisonnantes, extrêmement difficiles à synthétiser et adapter pour l'opéra (dans Simon Boccanegra, la mère et la fille s’appellent toutes deux Maria, la jeune revenant comme fille adoptive de son grand-père sans qu'ils ne le sachent, les deux ayant changé de nom entre temps).
Deux versions
Deux versions existent de l'opéra Simon Boccanegra composé par Verdi : la première est créée le 12 mars 1857 à La Fenice de Venise sur un livret de Francesco Maria Piave (avec lequel Verdi produit 11 opéras), la seconde le 24 mars 1881 à La Scala de Milan sur un livret d'Arrigo Boito (avec lequel Verdi réalise ses deux derniers opus : Otello et Falstaff). Piave souhaitait devenir prêtre à Rome, mais après des études de journaliste, il devint poète, en résidence à La Fenice en 1844 (l'année de son premier succès grâce à sa première collaboration avec Verdi : Ernani). Verdi profitait de sa célébrité (incommensurable par rapport à ses collaborateurs, notamment avec cet auteur encore peu expérimenté) pour retravailler les textes à sa guise (il va même jusqu'à consulter d'autres auteurs, Giuseppe Montanelli pour cet opus, afin d'obtenir des révisions qu'il impose à son librettiste Piave) : ce qui n'empêchera pas Verdi et Piave de construire une amitié et un riche catalogue commun (I due Foscari, Attila, Macbeth, Le Corsaire, Stiffelio, l'immense succès de Rigoletto, le fiasco initial de La Traviata, puis Simon Boccanegra avant Aroldo et La Force du destin).
Les deux versions prouvent chacune l'ascendant du compositeur sur ses collaborateurs : Verdi est puissant, influent et peut imposer ses conditions. La Fenice doit ainsi s'y reprendre à trois fois pour que le compositeur accepte de lui offrir un opéra et il prend son temps (Verdi privilégie d'abord la révision de Stifelio et d'Aroldo avec Piave ainsi que la réflexion sur un éventuel Roi Lear). Toutefois, cette première version de Simon Boccanegra est un échec répété : la création est très mal reçue, quelques modifications lui permettent un meilleur accueil pour la reprise au Théâte Municipal de Reggio d'Émilie, puis à Naples et Rome, mais la reprise à La Scala en 1859 met fin à la série de représentations de l'œuvre.
Deux décennies après la première version, Verdi retravaille l'opus afin d'en accentuer le caractère politique (et son lien avec l'actualité : la période autour de 1870 est profondément marquée par les combats pour l'indépendance et l'unité de l'Italie). Cette révision est également l'occasion d'une première collaboration avec Arrigo Boito (qui s'apparente presque à un test permettant au compositeur de savoir s'il peut confier à ce librettiste le projet suivant sur lequel il travaille déjà : Otello). La nouvelle version accentue encore les caractères et leurs contrastes (la tendresse de certains, la cruauté des autres). De nombreuses coupes sont effectuées alors que sont ajoutés un monologue du rôle-titre ainsi que le tableau de la salle du Conseil du premier Acte, inspiré par Pétrarque. C'est également l'occasion de revoir la partition (notamment l'orchestration) et de réécrire le finale. Cette seconde version est couronnée par un triomphe, comme les deux opus suivants de Verdi (ses derniers) : Otello et Falstaff.
Clés d'écoute de l'opéra
Vérité et adaptation
Verdi s'appuie sur la véritable ascension d'un personnage réel, mais il modifie la vérité historique dans son opéra pour renforcer sa dimension mythique. Alors que les aristocrates patriciens (guelfes) dominent Gênes, le plébéien (gibelin) Simon Boccanegra a bien été le premier Doge élu pour cette ville en 1339 par une révolte populaire qui institua ce rang en contre-pouvoir. Il est en effet mort empoisonné comme dans l'opéra, mais c'est son frère Egidio Boccanegra qui était corsaire. En outre, et bien entendu, si l'opéra s'appuie sur des épisodes et un contexte historique réels, le livret invente des péripéties pour soutenir le drame. L'intensité de l'opéra sort renforcée par cet univers où chacun peut devenir un héros ou un bourreau. Le drame s'appuie également sur l'opposition puissante et limpide entre les deux clans (les patriciens et plébéiens) qui fonctionne si bien dans de nombreux autres drames et opus lyriques, notamment entre catholiques et protestants dans Les Huguenots de Meyerbeer ou entre Capulet (gibelins) et Montaigu (guelfes) dans les différentes adaptations de Roméo et Juliette.
Message politique
L'enjeu politique est central dans l'intrigue de cette œuvre et il épaissit d'autant la caractérisation des personnages : dans le contexte d'une lutte entre patriciens et plébéiens, entre clans, entre castes, une opposition franche se dessine entre les hommes droits et ceux qui cherchent le pouvoir par tous les moyens. Cette lutte est éternelle depuis l'aube de l'humanité, elle résonne toujours avec l'actualité, et Verdi met notamment en garde ses contemporains dans une Italie qui cherche à conquérir son indépendance et son unité. Il s'agit de trouver un digne chef, à l'image de cet opus : un corsaire peut devenir un bien meilleur doge de Gênes que ne l'aurait été un noble ou un courtisan. Choisir un épisode ancien d'une guerre fratricide italienne n'est bien évidemment pas un hasard et sert à faire passer un message d'unité, au service d'une société dans laquelle les individus peuvent changer de statut, passer de corsaire à doge de Gênes, côtoyer nobles, gentilshommes et courtisans (eux-même auparavant orfèvre ou simple homme du peuple).
En raison du propos et des enjeux politiques de cette intrigue, Verdi pouvait craindre la censure (qui frappera violemment Un Bal masqué, composé les deux années suivant la première version de Simon Boccanegra). Le compositeur sera effectivement agacé par les censeurs : il leur remet un scénario en prose (également remis à Piave pour qu'il en fasse un livret), mais la censure exige une version complète en vers. "Quelle importance, à ce stade, s'il s'agit de prose ou de vers ? Je compte composer sur un livret en prose" écrit Verdi à Piave. La version est toutefois produite et validée par la censure ainsi que la maison d'opéra .
Les caractères verdiens
Simon Boccanegra suit les canons de l'opéra, notamment bel canto et notamment verdien. En plusieurs points, il ressemble à s'y méprendre à Rigoletto, autre opus dans lequel le rôle-titre et principal est un baryton. Sont ainsi présents : le ténor amoureux (mais pur chez Simon contrairement au Duc de Mantoue dans Rigoletto), la soprano pure (mais plus lyrique que colorée), le père qui tient sa fille enfermée pour la protéger du monde (ce qui cause sa perte), ainsi qu'une tentative d'enlèvement dans un contexte politique.