En Bref
Création de l'opéra
Les Huguenots est le onzième opéra de Meyerbeer, le deuxième écrit pour l’Opéra de Paris, dans la foulée d'un autre triomphe : c'est moins d'un an après Robert le Diable et alors que l'opus est encore à l'affiche que l’institution lyrique signe le contrat commandant un drame historique autour d'un amour impossible entre une catholique et un protestant durant la Saint-Barthélemy. La création est prévue pour le début de l'année 1834. Mais la maladie de son épouse, et le temps pris par Meyerbeer pour améliorer son travail et délaisser les parties qui ne le convainquent pas entièrement, tout en retravaillant le livret d'Eugène Scribe avec Émile Deschamps, provoquent un important retard : il rend sa partition le 5 mai 1835. Les répétitions qui débutent le 2 juin sont aussi complexes que la partition et elles ne s'achèvent donc qu'en janvier de l'année suivante. Il faudra un mois supplémentaire pour que soient prêts costumes et décors. Un dernier retard est dû à l'indisposition du ténor Adolphe Nourrit (créateur du rôle de Raoul) et la première a lieu le 29 février 1836.
Grand Opéra
Les Huguenots est considéré comme l'opus emblématique du genre lyrique le plus remarqué et imposant de la culture européenne entre 1820 et 1870 : le"Grand Opéra" français. Les Huguenots reçut en effet un succès légendaire dès sa création le 29 février 1836 à l’Opéra de Paris, salle Le Pelletier, au cœur de l'âge d'or du Grand Opéra français (pour lequel tout compositeur cherchant la renommée et le succès devait composer ou adapter ses œuvres, comme en témoignent notamment le catalogue et la vie de Wagner et Verdi). D'autant que Les Huguenots magnifient les dimensions spectaculaires qui définissent le Grand Opéra, avec un terrible sujet historique empli de passions, cinq actes et une soirée approchant les 4 heures (sans compter les entractes), un ballet, les plus grands interprètes de l'époque (Julie Dorus-Gras et Cornélie Falcon en sopranos, Adolphe Nourrit pour ténor et Nicolas Levasseur en basse, dirigés par François-Antoine Habeneck). La présence simultanée de tels artistes est à ce point rare, que Meyerbeer devra attendre 13 ans pour créer son Grand Opéra suivant (Le Prophète, le 16 avril 1849).
Triomphe
Représenté plus de mille fois en cent ans, l'opus a seulement été dépassé par Faust de Gounod. Les Huguenots rencontre même un succès international (malgré le sujet brûlant des guerres de religion qui subit la censure) avec des premières suivies par des centaines de représentations à travers le monde. Avec Les Huguenots, Meyerbeer est prophète en tous pays. L'œuvre est même choisie pour inaugurer le bâtiment actuel du Covent Garden en 1858. Lors des représentations au Met dans les années 1890, les performances sont labellisées "la nuit des sept étoiles" en raison de ses sept interprètes principaux (Lillian Nordica, Nellie Melba, Sofia Scalchi, Jean de Reszke, Édouard de Reszke, Victor Maurel et Pol Plançon). Les Huguenots sont également choisis en 2018 pour célébrer le 350ème anniversaire de l’Opéra de Paris (la scène de La Bénédiction des poignards des Huguenots ayant été représentée lors de l'inauguration du Palais Garnier, le 5 janvier 1875), alors que l'œuvre n'y avait plus été donnée depuis novembre 1936.
Postérité
"Plus haut est l'Empire, plus dure sera sa chute" est une maxime qui s'applique tristement bien au Grand Opéra. Genre prééminent entre 1820 et 1850, trouvant le succès jusqu'en 1870, son hégémonie insolente entraîne ensuite un retour de balancier et le genre est délaissé, de nombreux opus étant complètement oubliés. Plusieurs éléments permettent de comprendre cette désaffection à partir de 1870, qui est la date de la guerre entre la France et la Prusse (désormais Allemagne) : l'Allemagne reprend également une part de son pouvoir musical et Wagner remplace le Grand Opéra, tandis que dans un mouvement de résistance, les compositeurs français (en fondant notamment la Société Nationale de Musique) cherchent à retrouver un esprit national par des formes plus mesurées.
Clés d'écoute de l'opéra
Un sujet brûlant
Le terme "Huguenot" apparaît en France au milieu du XVIe siècle, pour désigner les chrétiens protestants luthériens. Terme discriminant, il est symptomatique des persécutions subies par les protestants dans la France catholique, qui atteindront leur apogée avec le Massacre de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572 (dont traite directement l'opéra de Meyerbeer) puis la révocation de l’Édit de Nantes le 18 octobre 1685. Les propres origines juives allemandes de Meyerbeer, qui en firent la cible de violentes attaques (notamment de la part de Wagner) expliquent sans doute que le compositeur ait choisi de mettre en scène et en musique des tensions autours de la religion dans deux chefs-d'œuvre : Les Huguenots et Le Prophète.
Drame historique ou mélodrame kitsch ?
Le Grand Opéra est le genre des extrêmes et Les Huguenots en sont le prophète : l'opus a donc été porté aux nues autant que vilipendé, notamment pour son livret. Certains voient dans le texte un grand drame sublimant la passion amoureuse par le contexte historique (le Graal recherché par le romantisme), tout en construisant des personnages profonds, identifiables et empathiques. D'autant que l'intrigue accélère pour mener vers le terrible dénouement. D'autres le traitent de mauvais mélodrame anodin, voire de vaudeville prosaïque (en raison des incroyables quiproquos qui émaillent tout l'ouvrage : Raoul qui ne reconnaît pas Marguerite de Valois et rentre sans difficulté chez elle, ou encore les complots assassins fort peu discrets). Les critiques concernent également la prose française, qui emploie des termes francs et directs pour les différentes péripéties et révélations sentimentales, d'autant que Meyerbeer (dont le français n'est pourtant pas la langue maternelle) a lui-même modifié le livret d’Eugène Scribe et Émile Deschamps.
Ouverture
L'ouverture d'un opéra est sa carte de visite, elle annonce les thèmes de l'œuvre à venir (thèmes musicaux, histoire, forme). Les Huguenots ne font pas exception à cette règle, et Meyerbeer parvient même à concentrer en trois temps et deux minutes les enjeux essentiels à venir : la forme Grand Opéra, la thématique, l'écriture harmonique et orchestrale. Les premières notes de la partition sont des coups de timbales (instrument très présent dans l'œuvre), ouvrant d'emblée avec la pompe d'un Grand Opéra et la noblesse martiale de son sujet historique. Immédiatement après ces six coups, une forme chorale (souple polyphonie à plusieurs voix rappelant la musique religieuse chantée par les protestants et magnifiée par le génie de Jean-Sébastien Bach) annonce le thème de l'ouvrage mais permet également à Meyerbeer de montrer son métier. Un choral qui verse immédiatement sur la cavalcade du grand orchestre. L'ouverture se prolonge pour ainsi dire, en menant vers un couple emblématique du Grand Opéra : une musique dansante et un chœur fourni, dont la forme fuguée sied particulièrement pour la "chanson à boire".
Richesse musicale
La partition des Huguenots emplit les exigences du Grand Opéra en recourant à une remarquable diversité d'influences, portée par une riche orchestration. La grande forme romantique, les grands airs lyriques sont ponctués de récitatifs, de chorals protestants, chansons populaires, bel canto. L'orchestre s'impose par l'immensité d'une grande phalange mais alterne également avec des solos et petits ensembles, mettant à l'honneur la viole d'amour, les cloches, la clarinette basse alternant avec le piccolo, les bassons en parties séparées, doubles cordes aux violoncelles, les chœurs en coulisses et superposés (catholiques, protestants et clercs) ou encore la flûte et le violoncelle en imitation avec la voix.