En Bref
Création de l'opéra
La création a lieu à Birmingham, au Prince of Wales Theatre, le 07 avril 1919. Maggie Teyte (célèbre interprète de Mélisande) interprète le rôle de Lady Mary, et Marion Green celui de Monsieur Beaucaire. L’œuvre remporte un grand succès. On y voit une illustration musicale de l’« Entente cordiale » entre Français et Anglais : une première entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni avait déjà eu lieu dans les années 1840 (la reine Victoria avait à cette occasion séjourné au château d'Eu en Normandie). En 1904, la France et le Royaume-Uni renouvellent officiellement cette « entente », et à la création de Monsieur Beaucaire, en 1919, soit au lendemain de la première guerre mondiale, cette entente apparaît plus que jamais indispensable : elle pose les bases de ce qui deviendra quelques années plus tard la « Triple Entente ».
La première française (sur un livret français) a lieu au Théâtre Marigny le 20 novembre 1925, dans une mise en scène de Max Dearly, avec André Beaugé dans le rôle-titre et Marcelle Denya en Lady Mary. Le succès est énorme (plus de 200 représentations), et, après de nombreuses reprises en province et à l’étranger, l’œuvre entre à l’Opéra Comique (le 18 novembre 1955), avec Jacques Jansen et Denise Duval dans les rôles principaux. Elle y connait deux séries de représentations (neuf représentations en 1955, 18 en 1956), puis se fait plus rare sur les scènes françaises avant de disparaître presque totalement.
Monsieur Beaucaire dans l'œuvre de Messager
Lié très tôt à Vincent d’Indy et Ernest Chausson, Messager fait avec Fauré le « voyage à Bayreuth » en 1882, et décide rapidement de consacrer l’essentiel de ses activités de compositeur au genre lyrique, plus particulièrement à sa veine légère, l’opérette. Son œuvre restée la plus célèbre est sans doute Véronique (1898), mais il compose également avant cette œuvre La Basoche (1890), Madame Chrysanthème (1893), et Les P’tites Michu (1897). Monsieur Beaucaire, « opérette romantique », est créé en 1919, soit 21 ans après Véronique. Après Monsieur Beaucaire, Messager compose encore notamment L’Amour masqué sur un livret de Sacha Guitry (1923), Passionnément (1926) et Coups de roulis (1928). Apprécié par Fauré ou Dukas, Messager est un mélodiste original et compose une musique orchestrale élégante et raffinée, influencée par sa connaissance des œuvres et des compositeurs les plus modernes (il dirige la création de Pelléas et Mélisande à l’Opéra Comique et est d’ailleurs le destinataire de la dédicace de cette œuvre).
Clés d'écoute de l'opéra
L’œuvre de Messager se situe de part et d’autre des XIXe et XXe siècles. Messager ayant été un musicien très à l’écoute des évolutions artistiques et musicales de son temps, ses œuvres se ressentent de l’évolution des goûts et des formes d’écriture musicale qui se font jour au début du XXe siècle. On a parfois articulé l’œuvre du compositeur en deux grands volets, dont Véronique (1898) constituerait en quelque sorte la charnière : avant Véronique, Messager compose des opérettes plutôt traditionnelles, de facture simple et agréable, immédiatement séduisantes aux oreilles des spectateurs – avec cependant un raffinement orchestral plutôt inattendu dans ce répertoire. Au tournant du siècle, son œuvre se fait plus exigeante (les mélodies notamment deviennent moins faciles, sans rien perdre pour autant de leur pouvoir de séduction), tout en se rapprochant aussi de formes d’expression musicale plus contemporaines que l’opérette classique, telles la comédie musicale, ou le théâtre chanté. En témoigne par exemple sa collaboration avec Sacha Guitry pour L’Amour masqué, comédie musicale créée en 1923, ou la sollicitation d’acteurs, tel Raimu, pour Coups de roulis en 1928.
Monsieur Beaucaire se situe au carrefour de ces diverses influences : si l’œuvre fut interprétée par de célèbres chanteurs d’opéras (Denise Duval, Jacques Jansen, François Le Roux, Jean-François Lapointe), elle fut aussi chantée par des interprètes spécialistes de l’opérette et fit même un temps les beaux soirs de Broadway (en 1920).
De fait, elle comporte deux airs restés célèbres : celui de la Rose, chanté par Beaucaire au prologue de l’ouvrage et la valse du Rossignol chantée par Lady Mary (acte II). Ces airs sont de facture plutôt traditionnelle – ce qui n’exclut nullement un certain raffinement orchestral, notamment dans l’air de Lady Mary –, de type ABAB, B jouant le rôle d’un refrain (« Ô rose, merveilleux butin », ou « Rossignol, rossignol, tout comme autrefois »). On entend également plusieurs couplets « faciles », souvent écrits à des fins comiques et destinés à susciter l’adhésion rapide du public (tel le finale de l’œuvre : « Nos deux peuples sont amis »).
Cependant, d’autres pages font appel à une écoute plus subtile et plus cultivée de la part des auditeurs : certaines répliques ou certaines pages chantées semblent des réminiscences d’Offenbach (Lady Lucy demande à Molyneux de s’asseoir près d’elle, dans les termes mêmes utilisés par Pauline tentant de séduire Gondremarck dans La Vie parisienne ; les couplets de Nash : « Quand j’étais roi de Bath », fait écho à ceux de l’ex-roi de Béotie dans Orphée aux Enfers). On entend également dans cette opérette des pastiches de la musique du XVIIIe siècle, au cours duquel l’action est censée se dérouler (l’ouverture, le menuet des Roses au finale de l’acte I, la Pastorale qui ouvre l’acte II). Par ailleurs, certaines mélodies présentent une écriture très originale, moins « figée » que celle des airs de la Rose ou du Rossignol, se déployant plus librement au gré des paroles ou des sentiments du personnage (« Sous les étoiles », chanté par Beaucaire à l’acte III).