En Bref
Création de l'opéra
Après les premières expériences de Peri, Caccini et Cavalieri, Monteverdi compose à Mantoue L'Orphée (Orfeo, 1607) qui reste considéré comme le premier chef-d’oeuvre d’opéra, et l'année suivante Ariane (Arianna) dont il ne reste plus qu'un célèbre Lamento. Appelé par la République de Venise, il est nommé maître de la chapelle Saint-Marc en 1613. De fait, il produit de la musique religieuse et se voit même ordonné prêtre en 1632. Il continue toutefois de composer dans un style dramatique mariant poésie et expressivité musicale avec ses livres de Madrigaux (polyphonies vocales a capella) aux formes plus intimes. En 1637, s'ouvre le premier théâtre public payant de Venise (le Théâtre San Cassiano), ce qui incite Monteverdi à reprendre le genre de l'opéra. Seules deux œuvres de cette époque ont été conservées : Le Retour d’Ulysse dans sa patrie (1641) qui marque un retour à l'esprit antique d'union entre comédie et tragédie, enfin Le Couronnement de Poppée (1642), son testament musical. Ce changement de lieu entraîne un changement dans la forme de l’œuvre : ne disposant plus des largesses aristocratiques de la Cour de Mantoue, l’opéra devient un spectacle qui doit être rentable. Par conséquent, l’orchestre et les chœurs du Retour d’Ulysse dans sa patrie sont moindres que dans les précédents opéras de Monteverdi. Pour revenir à la magnificence du spectacle total, il faudra attendre un demi-siècle et faire un voyage transalpin avec la tragédie lyrique à la française soutenue par le pouvoir royal et proclamant sa somptueuse grandeur.
Clés d'écoute de l'opéra
Une nouvelle étape fondamentale pour le genre opératique
Les deux premiers opéras de Monteverdi (Orfeo et Arianna) sont fondateurs du genre. De fait, ils durent faire accepter le principe même de jouer la comédie en chantant avec le style recitar cantando (unissant parlé et chanté). Lorsque le compositeur travaille au Retour d’Ulysse dans sa patrie, 33 années ont passé et le genre de l’opéra est désormais accepté, il est même en passe de devenir populaire. L'enjeu pour l'opéra est maintenant de faire accepter l'aria, le principe d'un chant qui traduit la substance d'une émotion en plus de raconter une histoire. Cet opéra marie donc les airs, les récitatifs aux tempéraments différents, le tout dans une grande variété qui est celle des personnages : représentant les Dieux, les héros, les hommes dans leur bonté aussi bien que leur veulerie et même des figures comiques. Cet opéra marque donc également un développement vers des caractères et des personnages plus riches et plus modernes. Orphée avait certes des passions humaines, il n’en restait pas moins un demi-Dieu et Ariane servait à rappeler aux femmes aristocrates les dangers que leur inconstance ferait courir au royaume, tandis qu’Ulysse et Pénélope sont avant tout des êtres humains, manipulés par les éléments et les Dieux dans leur recherche du bonheur familial.
Claudio Monteverdi est un compositeur charnière : entre le XVIe et le XVIIe siècle, mais aussi entre la Renaissance qui entremêle les lignes par le contrepoint et le baroque qui développe une monodie accompagnée. Par son thème même, Ulysse appartient pleinement à la Renaissance (dont le nom même désigne le retour à l'Antiquité), mais l'importance des caractères humains passionnés tire déjà vers le baroque, et culminera dans l'opéra suivant qui sera en outre le dernier du compositeur : Le Couronnement de Poppée. Musicalement aussi, Le Retour d'Ulysse dans sa patrie est une œuvre charnière, après le théâtre de récit des opéras précédents (l'Orfeo est pensé comme une favola in musica : fable mise en musique, c'est-à-dire une pièce de théâtre dans laquelle Monteverdi cherche la musicalité de la récitation) et menant à l'opéra comme nouveau langage où la musique est source d'expressivité propre.
L'inspiration de Monteverdi, son champ d'expérimentation est le madrigal. Cette forme polyphonique vocale a capella lui permet de forger de nouveaux modes expressifs, des effets rythmiques entraînants ou lascifs, des frottements entre les voix, le tout sur des textes poétiques riches et construits (Monteverdi participant à la construction du livret pour Le Retour d'Ulysse dans sa patrie). Au point que la forme madrigal a donné son nom aux madrigalismes : la représentation de sentiments et d'éléments reconnaissables par des moyens musicaux. Le travail d'adaptation à l'Opéra est ensuite un moment de concentration dramatique : l'expressivité des voix doit se focaliser sur une seule ligne de chant, accompagnée d'accords arpégés ou plaqués. Cette concentration est éloquente avec Le Retour d'Ulysse dans sa patrie qui profite de tous les caractères expérimentés dans les petites formes du madrigal : lamentation d'Arianne, fougue guerrière d'Ulysse, lascivité des prétendants (Monteverdi a aussi écrit de nombreux madrigaux érotiques). Ces effets contrastés à l'extrême ont été théorisés par Monteverdi lui-même sous le nom de stile rappresentativo (récit dramatique de la voix au-dessus d'un accompagnement éloquent de simplicité), stile concitato (agitation, dont la triste Pénélope et Ulysse vengeur sont des archétypes) far stupire e movere gli affetti (surprendre et bousculer les affects) . L'ensemble fonde ce que Monteverdi revendique comme une Seconda Pratica (Seconde Pratique, défendue dès 1605 dans la Préface du Cinquième Livre de madrigaux), refusant tout ornement abusif et, au-delà, tous les effets qui ne renforcent pas l'expressivité et la compréhension du texte. Avec ses arias composées avec grande précision, Le Retour d'Ulysse est un aboutissement de cette pratique nouvelle.