Un plateau d’exception réenchante La Flûte à Bastille
La scénographie se dévoile sur les accords de l’ouverture, dans laquelle Henrik Nánási (à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris) recherche la plénitude du mystère plus que la virtuosité. Une fosse est creusée devant un rideau transparent sur lequel est projetée une forêt printanière. Le serpent sort du sépulcre, si bien qu’on ne sait si le reptile ou l’image de la mort font davantage d’impression sur le prince. La mise en scène de Robert Carsen fait de la mort un thème récurrent, une « obsession » jamais morbide, pour reprendre ses mots, avec laquelle le jeune couple mis à l’épreuve devra se familiariser. Ainsi est introduite la dimension ésotérique de l’œuvre, que l’on peut rapporter aux rites maçonniques, et de manière plus large à toute élévation de l’âme vers la sagesse, si l’on se souvient que « philosopher, c’est apprendre à mourir ».
Stanislas de Barbeyrac (Tamino) et Michael Volle (Papageno) (© Emilie Brouchon / Opéra national de Paris)
La relation qui se noue entre Tamino, brillant Stanislas de Barbeyrac, et son compagnon de fortune Papageno, chanté avec vigueur par Michael Volle, dépasse les rapports hiérarchiques traditionnels du maître au valet. On y lit bien vite une forme d’oppression psychologique de la part du prince, vertueux sans doute, mais jusqu’à l’excès. L’oiseleur incarne quant à lui un bon sens venu du peuple, et souligne avec légèreté le ridicule des grands mystères initiatiques. Stanislas de Barbeyrac compose avec Nadine Sierra une fascinante paire de jeunes premiers. L’innocence candide de l’un, d’un lyrisme impulsif mais parfaitement dessiné, est contrebalancée par le timbre chaud et séduisant de l’américaine, dont la voix semble en savoir plus qu’elle ne devrait sur l’amour dès le duo de leur première rencontre.
Albina Shagimuratova (Reine de la Nuit), Nadine Sierra (Pamina) et René Pape (Sarastro) (© Emilie Brouchon / Opéra national de Paris)
Cette Pamina a de qui tenir : la Reine de la Nuit, sa digne mère, sait animer la compassion de ceux qui l’écoutent, leur inspirer la crainte ou la vengeance, usant tour-à-tour de son registre dramatique et des colorature. Ses vocalises sont en effet celles d’une femme mûre, comme l’exige le rôle, et Albina Shagimuratova s’est ainsi imposée sur les scènes les plus prestigieuses, de New-York à Moscou. Ses suivantes ne sont pas en reste, et elles font preuve d’une vivacité remarquable, telles des oiseaux nocturnes virevoltant de la tendresse à l’effroi, dans les dialogues comme dans les moments chantés où l’écriture de Mozart se plaît à composer avec cet effectif original. Le trio de jeunes garçons fait pendant aux trois dames, renforçant ainsi la symbolique des chiffres et l’architecture en miroir des mondes du bien et du mal. Leurs voix blanches, assez justes, alliées à une chorégraphie parfaitement réglée, produisent un effet surnaturel qui contraste avec leur première apparition au second plan de la scène, courant derrière un ballon de football.
La Flûte enchantée par Robert Carsen (© Emilie Brouchon / Opéra national de Paris)
La profondeur exceptionnelle de la scène de Bastille permet en effet à Robert Carsen de superposer les niveaux de lecture et de mettre en perspective les identités de certains personnages. Ainsi Sarastro apparaît-il autant comme un manipulateur illusionniste que comme un vénérable sage. Ce jeu des apparences en dit long sur l’essence même de l’opéra, merveilleuse tromperie où l’intelligence du spectateur abdique en faveur du charme des voix. René Pape, magistral d’un bout à l’autre, console puis se montre implacable, et nul ne résiste aux inflexions de sa basse puissante lorsqu’il invoque Isis et Osiris, soutenu par l’impeccable Chœur de l’Opéra. La présence tout aussi magnétique de José van Dam à la porte du temple, accompagné par la direction souple et attentionnée du chef hongrois, révèle le soin apporté à la sélection des seconds rôles. Les légendes de l'art lyrique côtoient les talents émergents : Christina Gansch chante avec un bonheur communicatif les syllabes rebondissantes qui forment son nom, Papagena.
Christina Gansch (Papagena) (© Emilie Brouchon / Opéra national de Paris)
Après l’harmonie solennelle des vents qui ouvre le second acte, l’épreuve la plus difficile que doive surmonter Tamino est sans aucun doute celle de ne pas parler à celle qu’il aime. Chargé de mélismes douloureux, le lamento de Pamina pourrait émouvoir les pierres tombales, qui jonchent d’ailleurs le sol alentour ; son pianissimo suraigu traverse l’orchestre et nous atteint droit au cœur. La séparation des deux amants initie un cycle saisonnier qui ne sera achevé qu’au retour du printemps, une fois les quatre éléments réconciliés dans une grande fugue. Il aura fallu que Pamina et Papageno aient été tous deux tentés d’abandonner ce "falsche Welt" (faux Monde), avant que n’advienne l’heureux dénouement et que résonnent des applaudissements enthousiastes : l’opéra nous dévoile certes les vanités de ce monde, mais elles continuent à nous enchanter !
Stanislas de Barbeyrac (Tamino) (© Emilie Brouchon / Opéra national de Paris)
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