L’Opéra de Montpellier fête La Vie Parisienne !
En attendant les repas de familles copieux, l’Opéra de Montpellier laisse la place à la légèreté avec La Vie Parisienne d’Offenbach. Elle est donnée ici dans sa première version d’écriture, la plus complète mais aussi la plus difficile. Offenbach l’avait en effet retravaillée avant même la première pour s’adapter aux difficultés de chanteurs et écourter le livret jugé trop long. Quelques numéros sont donc gagnés (comme les citations de Mozart ou d’Offenbach lui-même au cinquième acte) mais au risque de perdre en efficacité.
La production réussit globalement la recette de tout bon Offenbach, c’est-à-dire émulsionner dans tous les sens les numéros et les personnages les plus improbables avec suffisamment de virtuosité pour obtenir un soufflé aussi léger qu’épicé. Le couturier Christian Lacroix, qui conçoit régulièrement et depuis assez longtemps des costumes pour l’opéra signe ici pour la première fois l’intégralité de la mise en scène, décor et direction de plateau compris. Il est assisté de Laurent Delvert et Romain Gilbert. Et comme l’œuvre d’Offenbach, la mise en scène se démarque par les éléments hétéroclites de sa composition. À commencer par les décors, articulés autour d’un échafaudage métallique comprenant entre autres, un escalier et un ascenseur rouge. En fond de scène s’installe une toile pour chaque lieu. Le plateau est parsemé d’accessoires eux aussi très disparates. Les canapés Empire et les toiles peintes côtoient ainsi des chaises d’école anachroniques, des fauteuils en cuir ou encore dans le restaurant des chevaux à bascule, au risque parfois de faire un peu chargé. Les costumes très attendus contiennent des réalisations raffinées riches en multitudes de détails (les ensembles colorés et herminés du général Malaga de Porto-Rico et du prince Adhémar de Manchabal, le drapage des multiples voiles de dentelle noire de la veuve du colonel, les tartans des volumineux ensembles de voyage de Mesdames de Quimper-Karadec et de Folle-Verdure, et même la coupe des tulles des quatre servantes aussi simple qu’efficace) bien que certains dénotent sans réel motif comme le premier ensemble de Métella, en pantalon beige à mille lieues de son personnage d’horizontale.
Les metteurs en scène ont indiqué dans les notes d’intention et diverses interviews qu’ils souhaitaient donner une ambiance circassienne à la production. Cela se retrouve dans les perruques souvent volumineuses et colorées voire imitant une coupe de caniche, dans le maquillage avec des teints très blancs sur lesquels s’apposent des couleurs vives, dans les changements de décor opérés en demi-noir par des pantomimes et des pas de danses ou encore l’amplification de certains jeux d’acteurs en particulier ceux de Raoul (Flannan Obé) et Bobinet (Marc Mauillon). Si certains de ces effets comme les perruques s’inscrivent tout à fait dans la folie générale de l’œuvre, d’autres tendent paradoxalement à limiter son impact comme l’excès de maquillage qui crée une barrière entre le public et la subtilité des émotions retranscrites sur le visage du personnage, ou encore l’excès de jeu. La dynamique de mouvement et la fluidité scénique sont bien là : tout virevolte, court, danse, monte et descend, enfin bouge donc mais dans la coordination et en centrant l’action sur l’essentiel ce qui permet d’éviter tout mouvement parasite. Les lumières de Bertrand Couderc contribuent aussi à cette efficacité scénique que ce soit par la chaleur des ambiances qui règne le plus souvent ou en resserrant l’action, avec la poursuite centrée sur Madame de Quimper-Karadec emballée dans son histoire au quatrième acte par exemple.
Les choristes qui sont avec les musiciens les seuls à découvrir cette production (l’ensemble des chanteurs l’ayant déjà joué au moins une fois dans les précédents théâtres où elle fut produite) s’intègrent à la mise en scène, y compris dans ses vastes mouvements. Le Chœur de l'Opéra national Montpellier Occitanie, préparé par Noëlle Gény, emplit bien la salle par ses voix, claires et bien articulées. Mis à l’épreuve par les rythmes effrénés, le chœur perd cependant quelque peu de sa vigueur au fil des actes. L’Orchestre national Montpellier Occitanie est dirigé par Romain Dumas (qui était également à la baguette lors des représentations dans les précédents théâtres). Il livre une interprétation cohérente de cette partition retrouvée. Les effets font mouche et le volume général ancre les motifs dans la tête du public. Certains solistes comme le piccolo au cinquième acte délectent en plus le public de leur virtuosité. Quelques passages sont cependant plus lestés et manquent de nuances entre les différents pupitres (par exemple des cordes qui peinent à se détacher des vents) ou encore s'étirent dans des tempi un peu lents (peut-être pour ne pas perdre les chanteurs) y compris dans les galops finaux qui gagneraient à être encore plus effervescents.
Le ténor Pierre Derhet incarne Le Brésilien, Gontran et Frick. Il nage comme un poisson dans l’air syllabique du brésilien tenant efficacement la cadence avec un impressionnant débit et contribuant au rythme du chant par ses accentuations. La diction est efficace y compris dans la rapidité. La voix de son bottier Frick est forte et affirmée. Il se meut parfaitement d’un rôle à l’autre et capte le public par sa présence scénique, que ce soit en enroulant la chorégraphie de figurants autour de lui ou par son énergie dans les duos avec Gabrielle la gantière.
Cette dernière est chantée par Florie Valiquette qui partage cette énergie en matière de jeu scénique. Son entrée théâtrale de la veuve du colonel est des plus remarquées. Sa voix de soprano se caractérise par un timbre lisse. Bien que juste, elle manque souvent de volume et de diction surtout comparée à son complice bottier.
Jérôme Boutillier affirme son personnage de baron, tout d’abord par sa voix puissante de baryton bien charpentée. Il conçoit efficacement l’architecture de ses lignes de chant afin qu’elles s’articulent sur le texte. Elles sont tenues sans défaillir grâce à une bonne technique de souffle. Le jeu lui ajoute encore du caractère, en particulier par le travail des expressions faciales qui amplifie délicieusement les effets produits par les situations et les interactions.
Le ténor Flannan Obé incarne Gardefeu. Sa voix légère est précise et mélodique. La diction est impeccable et la puissance suffisante. Il montre une plus grande habileté dans les aigus que dans les graves. Il est accompagné de Bobinet dont le rôle revient à Marc Mauillon. Son chant est homogène au fil de la pièce. Il se démarque notamment dans son premier air. Une tendance au surjeu est tout de même notable pour les deux personnages.
Elena Galitskaya convient au rôle espiègle de la servante Pauline. Le timbre est limpide. Elle agrémente son chant d’effets élégants et sans excès. Sa technique de souffle lui permet de construire sans défaut le phrasé de ses répliques, ce qui en augmente la portée. Elle fait mouche avec son jeu, souligné par le juste ton de la voix.
Métella est incarnée par la mezzo-soprano Eléonore Pancrazi qui se montre à l’aise dans les graves avec un timbre chaud. Le volume est parfois insuffisant et la diction en deçà du reste de la distribution. Elle peine surtout à faire ressortir de son interprétation l’assurance du personnage ainsi que son caractère séducteur.
Marie Gautrot (qui remplace Ingrid Perruche) fait une Madame de Quimper-Karadec électrique. Son jeu est plein de vigueur, rebondissant à chaque situation. Il en est de même pour sa voix : prompte, régulière et affirmée. La soprano Marion Grange en baronne montre un ambitus important avec des graves développés ainsi qu’un timbre à la fois généreux et perçant. Philippe Estèphe incarne Urbain et Alfred. Sa voix est ferme. Son duo en général Malaga de Porto-Rico avec Raphaël Brémard en Prosper est un des points culminants de la pièce. Grisé par la dynamique de jeu, ce dernier dévoile d’ailleurs de beaux aigus en voix pleine. Il incarne par ailleurs les rôles parlés d’Alphonse et de Joseph. Caroline Meng relève l’importance du rôle de Madame de Folle-Verdure à qui elle donne une voix voluptueuse et opulente. Enfin Louise Pingeot en Clara et Marie Kalinine en Bertha prennent toute leur part dans l’efficacité dramatique du troisième et du quatrième acte, en particulier dans le sextuor où elles fonctionnent en synergie parfaite avec leurs acolytes de quiproquos, tant par le jeu que par la voix.
La Vie Parisienne de l’Opéra Orchestre Montpellier Occitanie est donc une grande fête où règne une douce folie, un ensemble éclectique mélangeant pour le meilleur : personnages, voix et même décors, divers et cosmopolites. Le public y trouve son compte et applaudit les artistes chaudement, avec un entrain qui ne s'arrête qu’une fois le rideau complètement baissé.