Trouvère funambule, entre cirque et ville au Festival Verdi
Cette division représente l’opposition dans le livret de Salvadore Cammarano et Leone Emanuele Bardare entre l’univers gitan d’Azucena et l’univers martial du comte de Luna dont elle a enlevé le fils, Manrico. L’univers intemporel du cirque et l’univers martial transposé dans un univers futuriste désolé avec ses bâtiments délabrés, alternent ainsi selon les lieux de l'intrigue, et en viennent à se réunir et se confondre : le chapiteau est en effet visible au loin, en vidéo dans les scènes urbaines, comme la ville se voit au loin depuis le cirque. Finalement, tout se rejoint : artistes du cirque et soldats, devant les vidéos (signées D-WOK) qui deviennent formes fondues et abstraites, matérialisant la réunion finale et destructrice des deux univers (ici ce sont les gitans-clowns qui massacrent les soldats).
Franco Vassallo apprécié l’avant-veille in loco en Falstaff vient également offrir son incarnation du Comte de Luna, au pied levé. Il donne une lecture tout aussi cruelle du rôle que celle du capitaine de la garde (Ferrando) et de l’univers scénographique (signé Giò Forma) dans lequel ils sont plongés. La force de son parlar ampio (ample parole chantée) égale celle de ses arias, avec un agile legato. Les montées vers l’aigu, et les conclusions de ses interventions rassemblent ces qualités en des moments palpitants.
Le Ferrando de Roberto Tagliavini impressionne par la cruauté sans compassion dont il fait preuve. La voix est grave, puissante, sans faiblesse de registre, nourrie d’articulation et de dynamique avec une diction féroce, affermie et affirmée dans la dénonciation déclamatoire.
Riccardo Massi (Manrico) semble d’abord légèrement souffrant, ou pour le moins précautionneux et ménageant ses ressources. Mais l’attente en vaut la chandelle, la voix déployant ses riches couleurs, variées avec beaucoup d'habileté. Le chant monte progressivement en régime ainsi qu’en altitudes vocales : des sommets où il se fait tour à tour puissant ou cajoleur, parfois les deux (la légèreté s’élève avec grand contrôle et intensité, nourrissant tout particulièrement la richesse du personnage et s’imposant au plateau : la richesse de sa musicalité l’emporte ainsi sur la dichotomie entre l’amoureux et le militaire).
Didier Pieri donne un aperçu équilibré du personnage de Ruiz, soldat de Manrico. Son ténor aux dimensions restreintes dessine un caractère et une voix fonctionnelle, seyant à son statut de serviteur, mais en sachant déployer délicatement son registre supérieur.
Francesca Dotto déploie en Leonora une large gamme de vulnérabilité émotionnelle mais d’épanouissement vocal, aussi bien dans le piano cantabile (faible nuance chantante) qu'au sommet de la texture en fortissimo. La tessiture garde néanmoins sa cohérence, doucement modulée, entre puissance et pyrotechnie vocales.
Clémentine Margaine, Azucena en haillons, hypnotise visiblement les personnages au plateau et le public en salle, dans le récit funèbre, comme dans les sauts d’intervalles brûlants d’un terrible “feu sacré” (celui-là même qui rôde dans cette histoire de bûchers). La voix s'imprime sur toute la tessiture, avec une brillance particulière dans les aigus, et un son sulfureux dans les graves. L'articulation est nette, la gamme est dynamique.
Parmi les plus petits rôles, le messager est chanté avec détermination par le ténor Enrico Picinni Leopardi tandis que Sandro Pucci prête sa basse discrète au vieux gitan. Carmela Lopez, membre de l'Accademia Verdiana, incarne Ines, la confidente de Leonora dont elle complémente les interventions dans leurs échanges avec un engagement de jeu ainsi que son soprano bien équilibré sur toute la tessiture.
Francesco Ivan Ciampa dirige l’Orchestre et le Chœur du Théâtre Communal de Bologne avec retenue, dans une grande attention envers les équilibres, au sein des pupitres (dans les couleurs, dynamiques et articulations), comme entre instruments et voix, pour soutenir au mieux les chanteurs. Les chœurs chantent juste et en mesure, tout en participant avec entrain à l’action scénique, en clowns ou en tueurs.
Si les chanteurs reçoivent de vives marques d’appréciations, le metteur en scène Livermore est hué par une partie du public, pour cette production qui aurait certainement paru habituelle voire coutumière de l’autre côté des Alpes.
