Haendel au Festival Musiques Vivantes, baroque au pays des barriques
Le baroque casse la baraque au pays des barriques
Parmi les nombreuses églises qui font le sel du patrimoine local et accueillent le Festival bourbonnais Musiques Vivantes, celle de Saint-Pourçain-sur-Sioule, vaste édifice d’inspiration romane, en est l’une des plus somptueuses ambassadrices. C’est là, au cœur d’une cité ceinte par les vignes, que vient se conclure le millésime 2023 d’un rendez-vous déjà tourné vers sa prochaine édition (qui sera sa 40ème), et qui propose en guise de bouquet final un concert tout entier dédié à l’œuvre de Haendel. Une forme de continuité au lendemain d’un spectacle qui, déjà, avait ravi le public, en procédant à l’étonnant mariage de ce même répertoire baroque avec la musique traditionnelle africaine (notre compte-rendu).
Du Haendel, donc, version Pasticcio, ce programme intitulé Il Trionfo della Pace (clin d'œil notamment au Trionfo del tempo e del disinganno) voyant ici des extraits d’opéras divers de l’auteur du Messie venir s’insérer entre les différents airs qui composent la cantate Echeggiate, Festeggiate, Numi eterni. L’appel est clair, en somme (« Résonnez, festoyez, dieux éternels ! »), lui qui se trouve ici lancé par un quatuor de dieux, rien que ça, venu demander aux mortels d’oublier les tracas de la guerre et de ne vivre que pour la paix éternelle. Un propos plus que jamais d’actualité, choisi à dessein par Dominique Corbiau, contre-ténor, mais aussi homme de théâtre et créateur de spectacles musicaux, aventures partagées avec cette Camerata Sferica créée par cet artiste à la passion dévorante pour la chose baroque.
À la table des dieux
Et à tout seigneur tout honneur, puisque, après une ouverture donnant le la autant que le vif tempo (celle en l’espèce de Rinaldo ici revisitée pour petit ensemble instrumental), c’est au Jupiter incarné par la tête d’affiche du soir de lancer les royales festivités autour de cette table divine. Il n’y a pas loin ici de la Water Music, même dans une cité du vin (Vin de pays du Bourbonnais / IGP Allier), et déjà le style "haendelien" est servi par une voix au timbre cristallin et à l’émission délicate. Qu’il s’agisse d’appeler à la célébration, à la sagesse ou au couronnement de la vertu, tout n’est qu’homogénéité et pureté dans l’emploi d’une voix de contre-ténor aux teintes évanescentes, qui ne joue pas ici d’effets sonores trop poussés (mais l’acoustique imposante du lieu ne s'y prête certainement pas) pour privilégier la quête du sens et du raffinement dans une prosodie servie par un italien finement ciselé. Avec ce Jupiter, le baryton-basse Grégory Decerf interprète un Mercure à la voix de haute température, notamment dans le registre grave tout en rondeur, avec une émission linéaire et homogène sur toute la tessiture, ainsi qu’une netteté de bon aloi dans la diction.
Le rôle de Junon est confié au mezzo non moins chaud d’Aveline Monnoyer, à la voix expressive et projetée avec aisance, agréable de timbre sans se faire excessivement sonore. Un instrument bien vibré et qui sait se faire vibrant lorsqu’il s’agit de vanter l’or et la gloire. Enfin, Elise Gäbele est une Minerve tout aussi appliquée, avec un soprano épanoui sur tous les registres, aux intonations fleuries dans l’aigu, et à la notable souplesse lorsqu’il s’agit d’orner la ligne de couleurs multiples.
De quoi se mettre pleinement au diapason de ce quatuor d’artistes belges à la complicité bien rodée, qui se fend aussi de quelques jolis chœurs dont l’un, « S’accenda pur di festa il cor », issu de la très festive pièce lyrique Il Parnasso in Festa, est d’ailleurs si rythmé et emballant qu’il est finalement repris en bis. Une belle manière de conclure un agréable concert permettant également d’apprécier tout le savoir-faire de la Camerata Sferica dans l’art de servir avec finesse et musicalité le répertoire baroque, dans un allant partagé par l’ensemble des cinq musiciens de cette experte formation. Un collectif d’ailleurs autant à son aise pour accompagner les parties vocales que pour interpréter à sa sauce quelques extraits d’opéras en guise de transitions haendeliennes bien senties, dont ces Sinfonie issues de Rinaldo, Alcina ou Amadigi.
Des applaudissements nourris viennent ainsi conclure ce rendez-vous avec les dieux au pays de la vigne (n’y manquait que Bacchus en somme), mettant également un point final à cette édition d'un festival où le plaisir de la musique se sera partagé... sans modération.