L'Académie du Festival d'Aix sonorise le Cours Mirabeau
Ce concert qui célèbre un double anniversaire (les 75 ans du Festival, les 25 ans de l’Académie) fait une habile jonction entre l'identité Mozartienne du Festival aixois, et un tout autre répertoire, ouvrant les portes d’un jardin secret, la musique cubaine. En effet, la soirée offerte par les chanteurs académiciens (guidés par Darrell Babidge et Adam Nielsen) vient parsemer les pages mozartiennes les plus pétillantes, succinctement contextualisés par le dramaturge maison Timothée Picard, tandis que l’Orchestre Balthasar Neumann s’épanouit sur le plan des décibels et du groove, dans ce répertoire cross over – alliage singulier de savant et de populaire – qu’est la musique cubaine. Timothée Picard rappelle les liens privilégiés entre Thomas Hengelbrock et Cuba, qui se traduisent notamment par la présence de musiciens cubains dans l’orchestre comptant pas moins de 28 nationalités différentes.
La soirée aux -jeunes- étoiles se place sous la protection du Roi René, statue surplombant la scène, et qui fait exactement face au chef, à la tête de sa phalange, comme à celle du « mentorat » de direction d’orchestre (contrepoint à l’Académie de chant et de musique de chambre).
L’ouverture de Così fan tutte (opéra qui sera mis en scène au Théâtre de l'Archevêché durant le Festival) donne le coup d’envoi de la soirée, qui ébroue les forces vibratoires de la scène, dans l’épais silence végétal du Cours Mirabeau, le chef étant comme sur les starting blocks. Il imprime un tempo très rapide, qui ne reposera que sur les indications de sa gestique, baguette ancrée vers le sol, bras gauche et droit réunis dans quelques volutes ou spirales, ou distincts selon le va-et-vient des pupitres. Il imprime une énergie volcanique à ses musiciens.
Les instruments donnent, en dépit de la rutilance sonorisée, une douceur seyante à la croisée de ces répertoires et traditions. Les cordes déplient d’heureuses volutes, les cuivres leur scintillance. Car pour atteindre le public venu nombreux se presser autour des barrières du périmètre réservé, le concert en plein air, tradition festive et populaire oblige, est sonorisé (avec les conséquences acoustiques et expressives que cela peut entraîner : perdant en finesse, pétillance, éclat, qui font ces répertoires).
Les différents chanteurs de l’Académie, se retrouvent dans des formations croisées – seul l’air soliste étant évité – qui rebattent entièrement les cartes du casting solitaire des deux soirées précédentes. Chez les messieurs, un quatuor, vient offrir tantôt un socle puissant et solide tantôt une étole tendre et suave, en fonction des moments de vie saisis par la musique. Le ténor Jonah Hoskins, notamment en Ferrando dans Così, tire moins son épingle de ce jeu collectif que lors du concert précédent, même s’il apporte sa belle coulée de miel aux ensembles mozartiens, qu’il étale de manière généreuse et élégante. Son compagnon de tessiture, Anthony León, au timbre ajusté à Mozart, trouve dans le rôle d’Ottavio de graves accents ainsi qu’un puissant legato, qui donnent une dimension psychologique à son personnage. Le baryton Andres Cascante brille de tout le naturel de son legato de velours noir, sans avoir à surjouer, dans ses rôles de jeune homme et d’aristocrate. Il semble faire de la diction une arme dramatique au service de l’avancée de l’intrigue.
La basse Mark Kurmanbayev s'impose en patron de la scène, en Don Alfonso ou en Masetto, deux rôles auxquels il prête une voix généreuse, un timbre de havane et une gestuelle droite, sans parler de son aisance à se faufiler dans le répertoire bouffe.
Chez les dames, domine tout d’abord, comme en miroir aux voix masculines, un quatuor de sopranos. La franco-américaine Sandra Hamaoui se révèle en Fiordiligi ou Susanna, par son timbre au tranchant précieux, à la luminosité nacrée, en pianissimi transparents. La coréenne Seonwoo Lee met sa voix fine et fraiche au service d’un récitatif palpitant ou déchirant, qu’elle organise rythmiquement, grâce à une diction parfaitement ouvragée. La cubaine Amanda Batista est une donna Donna Anna crédible, pétrie de noblesse d’émotion, puisant dans le ressort de son for intérieur. Elle découpe sa ligne vocale en grandes phrases, calibrées de manière harmonieuse. La soprano norvégienne Hedvig Haugerud est une solide Comtesse, personnage de tragédie. Le tempo lent qu’elle impose de tout son corps à la musique et à l’orchestre appelle le frisson. La vocalité est concentrée, dense (elle s’appuie sur les possibilités de la sonorisation, pour se déplier à couvert, comme si le chant parvenait directement de l’intériorité).
La passerelle entre les tessitures est effectuée par la mezzo-soprano de l’équipe, l’irlandaise, Niamh O’Sullivan, dans les rôles de Dorabella ou Donna Elvira, qu’elle anime d’interjections expressives, parsème de glissandi vers le bas, ou colore d’un vibrato charnu ou charnel, tant il vient accueillir les beautés graves des tessitures féminines.
Les applaudissements du public saluent la grande dynamique commune à l’ensemble du programme, l’écriture mozartienne venant à merveilleusement lisser les différentes voix, celle de la danse latine venant mettre l’emphase sur l'exaltation de la musique.