Zaïde ou l’expérimentation mozartienne d’une recréation posthume à Rennes
Œuvre inachevée de Mozart, craignant qu'elle ne soit jugée trop sérieuse par le public viennois pour un Singspiel (alternance de chanté et de parlé), Zaïde n’est pas seulement une turquerie, une esquisse de L'Enlèvement au Sérail, mais se présente comme une comédie sentimentale dans laquelle le sérieux est bel est bien présent par le biais d’allusions et références (propres au XVIIIème siècle, celui des Lumières : la liberté, l’acceptation de l’autre, la quête d’un ailleurs).
Mozart n’achève pas l’intrigue, laissant en suspens le dénouement. Zaïde et Gomatz, le couple d’amoureux ayant voulu s’enfuir du Sérail va-t-il mourir ou sera-t-il épargné par le sultan Soliman? Nul ne le sait et c’est un pari à la fois ambitieux et osé/incertain que de vouloir répondre à cette question, tout comme celui de vouloir écrire de nouveaux dialogues parlés pour ce Singspiel ainsi que de vouloir composer les parties musicales manquantes formant l’unité dramaturgique et conventionnelle (ouverture et finale).
Pour la metteuse en scène Louise Vignaud, une œuvre inachevée est « un véritable terrain de jeu et d’expérimentation ». Elle prend ses distances avec certaines idées développées par Mozart (mais aussi par ses contemporains ) : l’orientalisme, l’animosité entre chrétiens et musulmans, les rapports entre maîtres et esclaves, pour aborder essentiellement la portée universaliste de l’œuvre (comment faire évoluer autrement notre société). Avec l’autrice Alison Cosson, elles revisitent l’intrigue pour en proposer une version actualisée. Tout en respectant les airs (chantés en allemand), les monologues chantés (en français cependant), elles prennent de grandes libertés avec l’histoire originale. Gomatz n’est plus esclave mais un homme libre rescapé d’un naufrage, échoué sur une île hostile habitée par trois adolescents, sortes d’enfants sauvages ignorant tout du reste du monde, des autres, confinés sur leur île (peu après Les Enfants terribles, ce sont donc des Enfants sauvages que l'Opéra de Rennes met en scène). Elle supprime le rôle d’Osmine pour le remplacer par un rôle parlé : l’énigmatique Inzel, maîtresse du jeu, figure maternelle ou encore esprit de l’île, tout droit sortie d’un film de Science-Fiction (ayant un air de ressemblance avec la Diva du Cinquième Élément de Luc Besson) menant elle-aussi une expérience, une initiation, celle de rendre la liberté aux protagonistes tout en leur ouvrant les yeux sur l’existence d’un ailleurs, l’acceptation de l’autre.
Le texte écrit en français se veut accessible à tous, renouant avec l’esprit populaire et l’intrigue simple du Singspiel. Dans cette optique, les lumières (conçues par Julie-Lola Lanteri) sont tout aussi explicites : de l’obscurité-obscurantisme à la lumière, aussi par des couleurs résonnant avec certains mots, comme le rouge évocateur du sang. Même si la diction des trois chanteurs non-francophones du plateau a été travaillée, leurs intonations restent monotones et leur jeu d’acteur restreint (absorbés qu'ils sont par le soin apporté à restituer le texte). L’unique décor représentant un volumineux rocher noir abrupt entouré de glaçons lumineux fabriqués à partir de bouteilles en plastique recyclées, représentant « l’écume qui vient s’échouer au pied des rochers » ne permet pas non plus des déplacements aisés.
Le choix pour compléter les parties musicales manquantes a été, non pas de puiser dans le répertoire mozartien, ni d’écrire dans un style pseudo-mozartien, mais de composer une nouvelle partition. La mission a été confiée à Robin Melchior, complice de Nicolas Simon avec lequel il collabore régulièrement. Lors des trois passages ajoutés, il entraîne l’auditoire dans son univers sonore avec son goût pour certains grands orchestrateurs, les musiques de film, la comédie musicale. L’ouverture décrit une tempête en mer, avec des réminiscences des Four Sea Interludes de Britten, ou La Mer de Debussy, et via une orchestration puissante, presque beethovénienne (l’écriture orchestrale est toujours soignée avec une diversité de couleurs, de masses sonores, de nuances). L'Ouverture permet ainsi de plonger dans cet univers, mais l'écart est abyssal avec le finale façon comédie musicale américaine sur des paroles telles que « nous partons, en route, nous sommes quatre oiseaux migrateurs … » éloignées du conte philosophique et moral actualisé par la metteuse en scène.
Ce sont quatre jeunes chanteurs qui composent le plateau vocal. La soprano russe Kseniia Proshina, de sa voix fine et délicate, interprète la tendre Zaïde en quête d’amour. La voix au phrasé ciselé, aux aigus faciles, manque cependant de tempérament pour son invective « Tiger, wetze nur die Klauen » (tigre, aiguise tes griffes). À Mark van Arsdale revient le rôle de Soliman, à la fois tyrannique et protecteur. Sa voix de ténor au timbre clair fait entendre un léger tremblement et une certaine instabilité lors de sa première intervention. Il prend cependant peu à peu de l’assurance pour donner de la consistance à ce personnage torturé « je suis à la fois bon et mauvais » répète-t-il en modulant sa voix, tout en gardant le contrôle de sa ligne de chant et de sa projection.
Le serviteur Allazim est tout aussi torturé entre trahir ou condamner. Sa quête de justice et sa clémence pencheront pour sauver Zaïde des griffes de Soliman. Il est interprété par le baryton-basse Niall Anderson. Sa voix charpentée est souple, expressive. Il utilise à bon escient le vibrato en fin de phrase pour le soutien des notes graves. Lorsqu’il projette davantage sa voix, notamment dans les ensembles, celle-ci s’élargit et perd en justesse.
Enfin, l’étranger Gomatz, celui qui vient perturber la vie des trois "sauvages", est campé par Kaëlig Boché. Sa voix de ténor au timbre clair et lumineux se caractérise par une projection aisée d’une grande stabilité, à l’aise dans les changements de registre. Toutefois, la voix pourrait être davantage nuancée pour exprimer certains sentiments (notamment quand il implore la grâce).
La comédienne Marief Guittier s’empare du rôle d’Inzel, la narratrice. Malgré une salle à l’écoute, il faut tendre l’oreille pour saisir des bribes de phrases de son récit quelque peu mystérieux.
Les musiciens de l’ONB (Orchestre National de Bretagne) sous la direction de Nicolas Simon sont à l’aise pour passer d’un style à un autre (de Mozart à Melchior). Le chef d’orchestre toujours connecté à ses musiciens et chanteurs donne des départs précis, adapte le volume sonore au chant, dose les couleurs orchestrales, assure les enchaînements avec une grande cohésion.
Le public venu en grand nombre applaudit, visiblement conquis par ce pari audacieux, cette expérience, qui a comme qualité indéniable d’être accessible à tous.