Les Rêveurs de la lune à l’Opéra Grand Avignon
L’Opéra Grand Avignon et son Directeur Frédéric Roels poursuivent ainsi la tradition de l’opéra participatif et cette saison dédiée à l’astre lunaire, avec cet opus initialement prévu en 2020 mais dont la création a dû être reportée à 2022 à l’Opéra National du Rhin. Le texte écrit par Anna Moody, fille du compositeur, a toute l’apparence d’une histoire simple et pour les enfants, mais recèle un message politique, selon les mots de la metteuse en scène Sandra Pocceschi et comme le confirment les thèmes abordés : exploitation des ressources, migrations forcées, impérialisme. Dans cette fable animalière inspirée par La Conférence des oiseaux du poète médiéval persan Farid al-Din Attar, la cigogne pêche les songes des rêveurs du lac où se reflète la lune, pour les envoyer dans le ciel avec les étoiles, mais cet écosystème est envahi par les autres oiseaux qui construisent une ville et s’y déchirent.
Le spectacle a certes été créé à Strasbourg (dans la patrie de la cigogne) mais en anglais, tandis qu’il est présenté ici, en Avignon, en français (traduction de Benoît de Leersnyde), permettant ainsi au public de participer. Le chef d’orchestre se tourne à ces moments-clés vers le public, le texte du surtitrage devient rouge et tout le monde peut alors chanter les morceaux préparés à la maison ou dans les ateliers participatifs. Rares sont cette fois les voix qui osent se déployer, en raison aussi de la richesse de cette musique. La partition composée par Howard Moody est en effet pleine de contrastes : très animée, un peu dissonante par moments, très émotive et vaillante lors des points culminants de l’histoire, avec quelques sonorités jazzy non moins surprenantes pour l’assistance. La musique est également très suggestive, les instruments notamment imitant différents oiseaux.
La mise en scène, les décors et les costumes de Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, assistés d’Aurélie Barré, sont simples. Les enfants rêveurs sont habillés en pyjamas. Les solistes portent des masques d’oiseaux et la couleur de leur vêtement renvoie à leur volatile, ce qui permet de les distinguer facilement. La scénographie est composée de blocs noirs qui servent à plusieurs fins. En position horizontale, ils représentent le lac (avec une projection du reflet de la lune sur cette "eau"). Les blocs se reconfigurent après l’arrivée des autres oiseaux, en position verticale pour former les reliefs de la ville construite par ces invasifs. Les éléments aériens sont également très présents sur scène, avec des ballons transparents qui représentent les rêves et les étoiles, mais aussi un grand ballon blanc que la Cigogne vient gonfler avec une pompe installée sur le bord de la scène : la Lune.
La mezzo-soprano Alexia Macbeth donne vie à une Cigogne maternelle et élégante. Elle déploie une voix chaleureuse et veloutée, un timbre clair et des médium-graves soutenus, sonores. Malgré son peu de moments aux devants du plateau (elle reste la plupart du temps silencieuse dans une cage), elle contribue à l’action scénique, se montrant proche des enfants et reproduisant de façon convaincante les mouvements calmes des cigognes.
Le Rossignol est incarné par la soprano Aurélie Jarjaye (qui vient de présenter in loco son spectacle Barbara dans le cadre des Midis de l’Opéra). Elle interprète un oiselet à la voix brillante, au vibrato très présent et aux aigus bien soutenus, pleins d’ardeur et d’intensité, le tout avec expressivité et dynamisme. Elle fait également valoir une expression particulièrement colorée lors de son air, avec un joli phrasé et une sensibilité épanouie dans sa voix. Le baryton Marc Scoffoni interprète la Huppe fasciée d’un timbre sombre avec des graves ronds et chaleureux. Son chant assuré et bien projeté présente un sens affiné des nuances. Il se montre très expressif et imposant sur scène face aux rêveurs. Incarnant le méchant Paon, le ténor Pierre-Antoine Chaumien fait valoir un timbre clair, projeté et aux graves très sonores, mais aux aigus légèrement tendus par moments. Il se montre très impliqué dans son personnage et attire constamment le regard du public grâce au grand dynamisme qu’il déploie sur scène.
Rêveurs et moineaux sont confiés aux jeunes gosiers. Les élèves de la classe CHAM (Classes à Horaires Aménagés Musique) du Collège Joseph d’Arbaud Vaison-la-Romaine offrent des voix douces, blanchies mais de fait claires et innocentes. Ils font preuve, ainsi que leurs collègues de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, d’une grande énergie et d’une très bonne diction, avec des textes exceptionnellement précis et tout à fait compréhensibles. Ceux-ci montrent de surcroît des voix plus assises et une très bonne musicalité.
Federico Santi dirige l’Orchestre National Avignon-Provence avec agilité et précision. La phalange instrumentale parvient ainsi à rendre un son plein de contrastes et en accord avec l’action des chanteurs. L’opéra se termine avec une ovation du public qui dure plusieurs minutes et des cris de satisfaction et d’euphorie exprimés par les 55 jeunes artistes qui se trouvent sur scène (et toujours bien audibles même après la fermeture du rideau).