La Servante Maîtresse & Bastien et Bastienne : premières amours et Versailles au Théâtre Sénart
C’est sous une architecture plus moderne que l’Orchestre de l'Opéra Royal de Versailles se présente ici, mais en emmenant avec eux un univers de cour et de féerie amoureuse. Les œuvres à l’honneur sont le deuxième opéra écrit et composé par Mozart (à l'âge de douze ans), Bastien et Bastienne contant la relation rythmée de querelles et réconciliations de ces deux jeunes amoureux, le tout accompagné d’un soupçon de magie, et La Servante Maîtresse de Jean-Baptiste Pergolèse narrant l’amour inavoué que partage la servante Zerbine et son maître Pandolphe. Les deux œuvres, séparées par l’entracte, sont présentées dans leur ordre chronologique de parution : La serva padrona initialement conçue comme un intermède avant de devenir œuvre plénipotentiaire par sa qualité est ainsi bien plus qu'un prologue, d'autant qu'elle a inspiré directement le jeune Mozart à composer Bastien et Bastienne.
Laurent Delvert (qui a notamment mis en scène Don Giovanni ou encore Les Noces de Figaro de Mozart à Saint-Étienne) met en exergue dans cette mise en scène les sentiments des personnages. Amour et sensualité sont représentés dans La Servante Maîtresse à travers des jeux de toucher et de proximité entre les deux solistes toujours sur le ton de la comédie. Pour l’opéra de Mozart, aux personnages plus jeunes, cette dimension est atténuée au profit d’une innocence amoureuse. Les décors d’Antoine Fontaine sont inspirés de Versailles. Les tons beiges et clairs sont à l'honneur pour les deux pièces, à ceci près que la première a lieu en intérieur, amenant des lumières chaudes, contrairement à la seconde, en extérieur, amenant donc des éclairages légèrement plus froids. Pour les deux œuvres, sont placées à chaque extrémité de la scène des boudoirs créant un espace intimiste avec les personnages. Les décors varient peu, seuls les accessoires changent. Fanny Brouste opte pour des costumes à la mode de l'époque : robes et manches bouffantes, coiffe pour les deux danseuses dans l'œuvre de Mozart. Les chorégraphies de Sandrine Chapuis en compagnie d'Anna Konopska animent l'espace, rythmant de manière ponctuelle l’opéra en laissant une grande place au chant.
Dans La Servante Maîtresse, en première partie du spectacle, c’est le couple Zerbine et Pandolphe (incarnés par Adèle Carlier et Marc Scoffoni) qui est à l’honneur. Partenaire malicieuse et légèrement manipulatrice, la voix de celle-là portera volontairement plus que celle de celui-ci, amoureux et dépendant de sa jeune servante.
Les deux rôles-titres de l’opéra de Mozart, interprétés par David Tricou (Bastien) et Adèle Carlier (Bastienne), jouent un amour enfantin de manière habile sans pour autant rentrer dans le stéréotype. C’est avec légèreté que sont amenées ces premières querelles autant dans la voix que dans le jeu scénique de Bastienne, la soprano Adèle Carlier alliant la fraîcheur de sa voix à la jeunesse du personnage. Habituée de la scène, c’est avec aisance et maîtrise qu’elle tient son rôle, tant scéniquement que vocalement. Dans un registre plus lyrique, accompagnés d’envolées maîtrisées, ses aigus sonnent et vibrent souplement. Le couple ressort de manière juste sur le plateau. David Tricou dans le rôle de Bastien ne faiblissant pas face à la projection vocale de sa partenaire. Sa voix de haute-contre se prête à l'esprit de son personnage, la diction est maîtrisée et aucun mot n’est moins soigné que le précédent (important dans le Singspiel : alternance de dialogue chantés et parlés, traduits), résultante d’un timbre placé avec l'application d'une agile technique. Incarnant Scapin, un rôle sans texte ni chant pour la première partie, la découverte de sa voix après l’entracte pour Mozart ravit d'autant plus le public.
Enfin, dans une répartition des voix savamment réalisée permettant une concordance entre l'âge des personnages dans l'œuvre et la tessiture de leur interprète, le baryton Marc Scoffoni, Magicien pour Mozart et Pandolphe pour Pergolèse, finit même par s'asseoir dans un fauteuil roulant, ce qui ne restreint pourtant point son chant assuré, avec des graves ronds et portants qui courbent les fins de phrase.
L’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles revient au Théâtre-Sénart, Scène nationale (après y avoir accompagné Filippo Mineccia en octobre dernier). Sous la direction fluide et souple de Gaétan Jarry, la phalange n’est jamais au-dessus de la voix et les variations de volumes sont amenées de façon naturelle. L’effectif instrumental change légèrement : un clavecin est présent pour Pergolèse renforçant l'idée d’une action en intérieur (faisant référence aux petits salons), remplacé par deux cors pour Mozart (illustrant une action en extérieur, référence aux cors de chasse dans leur utilisation). L’orchestration est fidèle aux annotations des partitions d’époque, mettant en avant les pupitres de cordes et vents. La synchronisation avec les actions sur le plateau est présente, musique et chant convergent ensemble vers un descriptif émotionnel léger, attendu dans ces opéras aux teintes de buffa.
Le public (re)découvre ainsi deux opéras du XVIIIe siècle abordant l’amour sous le prisme de la comédie, en légèreté, et avec des fins heureuses ravissant petits et grands qui applaudissent le dernier baiser refermant cette soirée opératique (ce spectacle se rendra au Théâtre de la Reine les 8 et 9 juillet prochains).