L’Enfant inouï à l’Opéra de Massy
Pour terminer la semaine d’école en musique, les jeunes mélomanes massicois (et aussi quelques moins jeunes) sont invités à découvrir l’opéra contemporain avec cette production de l’Ensemble TM+ (en résidence in loco) dirigé par Laurent Cuniot. Celui-ci s’est associé au metteur en scène Sylvain Maurice qui signe le livret de cette œuvre de 55 minutes, d’après L’Extraordinaire garçon qui dévorait les livres d’Oliver Jeffers. Ce garçon bizarre, prénommé Henri, a un pouvoir effectivement peu ordinaire : il “mange” (littéralement) les livres et en retient ainsi toutes les connaissances (un enfant assurément inouï, comme il l’annonce lui-même fièrement dès les premières mesures de la soirée).
La scène est simplement occupée par un grand carré blanc incliné sur lequel sont projetés des vidéos et quelques efficients jeux d’ombres (creusant le même sillon esthétique que le précédent spectacle signé TM+ avec Sylvain Maurice chroniqué sur nos pages). Les projections se veulent des « prolongements visuels étranges et fantastiques », avec souvent des nuages d’encres de couleurs ou des lettres qui s’accumulent, se mêlent et se dispersent. Comme lui-même à son tour phagocyté par tous ces caractères ou chiffres qu’il est censé dévorer, l’enfant se trouve en plein centre de cet écran. Ainsi coincé de tous côtés, perdu parmi cet amas de connaissances, le jeune Henri ne peut évoluer que dans le sens vertical : il s’élève lorsqu’il est au meilleur de sa forme et s’abaisse bien vite lorsque sa digestion des livres s’avère trop lente. Malade du décalage entre son esprit et son corps, et surtout de celui avec ses camarades et même ses parents (qui travaillent), il sombre dans la solitude et l’ennui. C’est alors qu’il prend goût non plus pour les livres mais pour la lecture (troquant l’accumulation de connaissance pour le plaisir) tandis qu’il calme sa faim avec des fruits et légumes.
Malgré son espace scénique très restreint, la soprano Raphaële Kennedy incarne cet enfant avec entrain et présence par un jeu très expressif. Sa voix, aidée par une sonorisation qui lui ajoute quelques fois des effets électroniques d’écho ou de profondeur exagérée, joue néanmoins d’une multitude de timbres, surtout dans le parler. Ses mélodies se rapprochent à ce point de la prosodie du texte qu’elles rappellent le traitement vocal d’une autre œuvre brève racontant l’aventure d’un enfant un peu étonnant avec les livres et les chiffres : L’Enfant et les sortilèges de Ravel. La prononciation de la chanteuse se veut bien distincte, mais la sonorisation des instruments n'aide pas à comprendre toutes les paroles (notamment lorsque l’enfant parle de soi à la troisième personne et emploie des termes bien compliqués pour le public invité “dès 8 ans”, les spectateurs de cet âge chuchotant alors à l’oreille d’un parent pour demander “qu’est-ce qu’il a dit ?” ou “ça veut dire quoi un oligoélément ?”). C’est dans le chant et notamment le registre aigu que l’interprète exprime le plus d’aisance, faisant preuve d’une souplesse de phrasés et de passages aussi doux que maîtrisés.
Placés autour du grand carré (la flûtiste à jardin, le clarinettiste à cour et le percussionniste derrière en hauteur), les instrumentistes restent visibles du public et participent, par leur gestuelle, au mouvement scénique. Les percussions (Gianny Pizzolato) ajoutent en rythmes et surtout en effets aux atmosphères denses et colorées. Le mariage des timbres des flûtes (Anne-Cécile Cuniot) et des clarinettes (Etienne Lamaison) s’exprime, surtout dans les graves moelleux et quelques passages aux couleurs poétiques ou de danses rappelant parfois des couleurs et des rythmes cubains, mais l’écriture se montre souvent dense, symbolisant cette accumulation de savoirs qui finit par embrouiller l’estomac puis l’esprit du triste garçon. Les différentes scènes se suivent avec des longueurs différentes, et parfois sans liens évidents de l’une à l’autre. La dernière scène surtout déborde du cadre narratif, l’enfant partant dans une sorte de délire d’emmêlements de mots, entre noms de légumes et avec son nom projeté en grandes lettres.
Mais le sens redevient clair pour la morale de l’histoire récitée par l’enfant : « C’est en lisant, en écrivant, que vous deviendrez intelligents ». Les enfants-spectateurs applaudissent alors avec sagesse les artistes, avant sans doute d’aller se plonger dans un livre et de s’endormir (et qui sait, de rêver à cet enfant inouï, pour le devenir à leur tour).