Tous les airs de famille se chantent à l’Opéra de Nice
Les deux personnalités donnent le départ de la soirée par une allocution devant la salle comble (témoignage de cette riche programmation réunissant les arts et le public). La soirée est dédiée à Klaus Weise, ancien directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Nice entre 1990 et 1997, familier du répertoire lyrique straussien et wagnérien.
Cette Réunion de famille fonctionne comme un voyage, un grand teasing de la saison à venir, en forme de jeu de piste pluridisciplinaire, qui met le spectateur en appétit et la programmation en perspective. L'esprit "familial" revendiqué par Bertrand Rossi, désigne la philosophie de la maison, les liens entre ses phalanges artistiques ici à l'honneur et avec son public le tout dans une ambiance festive.
Le programme de la soirée est un menu-dégustation d'amuse-bouches, yeux et oreilles, choisis parmi les œuvres de cette saison : ouvertures, airs avec chœurs et ballets. L’éclectisme de telles propositions dégage aussi des lignes directrices et thématiques récurrentes, ainsi questionnées : la relation entre le féminin et le masculin, le rêve et la fiction, le savant et le populaire, les rires et les larmes (pour les principales).
Les extraits s’interpénètrent habilement à la faveur d’un contrepoint serré de personnages, quand, par exemple, La Somnambule (Cristina Giannelli) traverse les plans-séquence animant la scène pendant l’ouverture de Fidelio. Une cohérence, par-delà le genre inévitablement « pot-pourri » de la formule, est atteinte : l’onirisme émotionnel, « symbiotique ou conflictuel » (d’après la note de programme) qui met à l’épreuve les certitudes les plus figées. D’autant que le spectacle est voulu entièrement « maison ». Les lumières (Bernard Barbero), les costumes, la mise en scène - signée Bertrand Rossi - et les interludes littéraires, déclamés avec fraicheur par la récitante Sophie de Montgolfier, n’appartiennent qu’à cette soirée-là, et ne déflorent en rien les mises en scène à venir.
Trois extraits chorégraphiques, sur musique enregistrée, du répertoire classique (Bloch et Rachmaninov) offrent leurs moments de jubilation et de respiration organiques : le Ballet Nice Méditerranée (sous la direction artistique d’Éric Vu-An) reçoit sa part méritée d’applaudissements.
Cinq des huit extraits de la soirée relèvent de l’opéra et trois exposent plus particulièrement la figure de la cantatrice, selon trois timbres et trois personnages bien distincts. La soprano Cristina Giannelli incarne la Sonnambula de Bellini, dans l’air « Ah! Non credea mirarti », avec une maîtrise des dynamiques, des pianissimi filés dans l’aigu qui parviennent à incarner musicalement l’errance hallucinée du personnage. Le soutien, la longueur de souffle et l’ample vibrato - orienté vers le haut de la note - lui permettent de s’acquitter de cette performance exigée par la partition et de secréter toute cette vie nocturne. L’opéra sera co-produit avec le Metropolitan Opera de New York, sous l’impulsion de Daniele Callegari, habitué de la grande maison américaine.
Un autre personnage féminin oscille entre vie de jeune fille et de femme mariée, dans Falstaff de Verdi. La soprano Rachel Duckett, en Nannetta avec « Sul fil d'un soffio etesio », vient conférer et opposer un timbre à la fois plus léger et plus réaliste que la première chanteuse. Juchée sur une balancelle, elle monte et descend depuis les cintres, incarnant ainsi avec un organe ductile et souple les envolées vers l’aigu et le medium de sa partie. La performance lyrique se double de l’équilibrisme physique, le tout ne tenant qu’à deux fils, en conformité avec l’esprit décalé de la partition.
Mais le moment le plus enjoué, voire festif, est extrait de La Bohème de Puccini ! Pas avec Mimi donc mais Musette incarnée par Perrine Madoeuf devant les yeux (et les oreilles) ébahis de la gent masculine du chœur lui servant aussi d'assistance (et assistant à l'installation du décor de cette scène). Interrogée "en direct par la presse" (la récitante menant l'entretien), elle répond (tandis que les images d'un cameraman sont diffusées en direct sur un écran vidéo en fond de scène) : « Ce que je préfère à Nice, ce sont les niçois ! » Pour chanter, elle garde son micro d'interview, mais éteint, déployant sa vocalité de lionne, son timbre de velours et ses qualités scéniques ne faisant qu’une bouchée des badauds, comme de sa bande d’amis, tous impeccablement sonores et expressifs : Rodolfo (Nestor Galvàn), Marcello (Alan Starovoitov), Schaunard (Gilen Goicoechea), Colline (Mickaël Guedj), Alcindono (Eric Ferri) et Cristina Giannelli qui assure les quelques notes de Mimi.
Pourtant, c’est un personnage masculin, le ténor Raphaël Jardin, qui s’extrait pour quelques belles notes aiguës de miel clair avec « Per te d’immenso giubilo » (Lucia di Lammermoor de Donizetti). Mais cet extrait donne la part la plus belle au Chœur, irrésistiblement festif et jovial, verre de champagne à la main. Préparé par Giulio Magnanini, il est comme auréolé, voire galvanisé, par sa participation prochaine hors-les-murs dans Aïda à l’Opéra national de Montpellier. Il intervient dans tous les extraits retenus, venant envelopper, expanser ou encore scander le propos des personnages principaux. L’engagement scénique, la palette de couleurs sont au diapason, lequel vibre de toute l’énergie du spectacle vivant. D'autant qu'ils assument leurs rôles scéniques (admirés, aimés, meurtris, haïs ou encore mis à l’œuvre).
L’Orchestre Philharmonique de Nice, en majesté, propulse comme une fusée l’ouverture de Fidelio, avec netteté, précision et jusqu’à l’incandescence (annonçant tout autant la couleur de la saison en ponctuant et soutenant les différents plateaux vocaux).
L’appellation d’homme-orchestre ne convient jamais autant à Daniele Callegari, chef principal de la maison niçoise depuis l’année dernière, que lors de ce moment de retrouvailles des forces vives de la maison niçoise. La battue est altière, les tempi décidés, tandis qu’une connivence entre le chef et la phalange est palpable. Cette dernière semble également avoir engrangé l’expérience du plein air et de la grandeur, lors de sa participation aux Chorégies d’Orange cet été avec La Gioconda.
© | Dominique Jaussein |
En outre, Bertrand Rossi, lors de son introduction, questionne le chef : « Il se passe quelque chose entre vous et les musiciens ? » Callegari évoque leur « coup de foudre » l’année dernière, puis leur « connaissance » réciproque à la faveur de cette deuxième année. « J’ai plaisir à être un musicien dans l’orchestre », souligne-t-il.
Le public de la soirée, applaudit longuement l’ensemble scéniquement ordonné des protagonistes, sous la musique du French Cancan, les cotillons et les poursuites colorées des spots. Il sait désormais, grâce à ce concentré de spectacle, que l’opéra de Nice viendra comme il l'annonce « nourrir ses rêves » et amener la vie grâce au chant !