Marianne Crebassa triomphale en récital au Festival Radio France de Montpellier
La mezzo-soprano, qui attend un heureux événement, sera sans doute moins présente sur scène dans les mois à venir. Pour l’heure, elle est en vue et très en voix. Mise à l’honneur cette année par le Festival, elle a eu l’occasion de chanter les Sea Pictures d’Edward Elgar (événement durant lequel Jodie Devos, après avoir brillé en ce Festival pour Hamlet, a été victime d’un malaise avant de revenir sur scène pour finir le concert).
Marianne Crebassa offre désormais ce récital, dont le contenu a été tenu secret jusqu’au dernier instant. La surprise est finalement dévoilée sur les programmes distribués en salle : il s’agit d’un voyage en Espagne et en Grèce, à travers les mélodies de Debussy, Massenet, Ravel mais aussi Manuel de Falla, Jesús Guridi et Federico Mompou. Un choix de cœur pour la chanteuse qui rappelle ses origines françaises et espagnoles, et célèbre la diversité des langues de la péninsule ibérique, puisqu’elle chante en castillan, catalan et galicien. Parmi les pièces qu’elle a choisies, se trouvent aussi quelques mélodies grecques, ce qui ne manque pas de cohérence, la Grèce partageant ce point commun avec l’Espagne d’être à la frontière entre l’Occident et l’Orient, ce qui a marqué durablement sa culture. Mais ce programme illustre aussi une époque, puisque tous les compositeurs représentés ici ont vécu entre le fin du XIXe et le début du XXe siècle : ils s’inscrivent dans le courant post-romantique ou en ont subi les influences.
Le récital débute par les Chansons de Bilitis, composition de Claude Debussy sur des poèmes de Pierre Louÿs. Marianne Crebassa peut aisément y déployer son timbre intense et pénétrant. S’aidant de ses résonances naturelles, elle ne donne aucune impression d’effort. Parfois, elle entrouvre à peine la bouche. La voix fuse sur un legato sans heurt. L’attaque des notes est nette et précise. Ses graves viennent se lover en voix de poitrine résonnante et veloutée. Les yeux levés vers le public, l’interprète est habitée par son chant, qu’elle exécute sans partition sur la plupart des morceaux. Elle sait aussi faire preuve de fantaisie, comme sur la Séguedille de Manuel de Falla, composée en français sur un poème de Théophile Gautier, dépeignant la pimpante Manola. La chanteuse campe avec de grands gestes et des « olé » tonitruants ce personnage au caractère bien trempé.
Entre chaque pièce, elle intervient pour présenter les œuvres à suivre. Avec modestie, elle n’oublie pas de dire « nous » et implique son accompagnateur, Alphonse Cemin. Il est si rare d’entendre aussi un pianiste prendre la parole dans un récital lyrique. Cela dévoile la complicité entre eux et la réflexion menée conjointement en amont du concert, tout en traduisant bien leur volonté de faire découvrir un répertoire, avec des pièces méconnues telles que les « Combat del somni », cycle de chants de Federico Mompou sur des poèmes en catalan de Josep Janès, aux accords diaphanes du piano qui donnent un sensation de temps suspendu. Sur le ton de la plaisanterie, les deux interprètes parlent ensuite de la « Chanson des cueilleuses de lentisques », tirée du cycle des Cinq mélodies populaires grecques de Ravel, et prétendent ne pas savoir ce que désigne ce terme "lentisques" (il s'agit d'un arbuste aux baies rouges puis noires). Alphonse Cemin ajoute qu’il n’a jamais rencontré ce mot ailleurs. Cette connivence se manifeste aussi musicalement, dans l’écoute et dans l’attention sans faille et souvent sans même échanger un regard.
Alphonse Cemin a également deux fois l’occasion de briller en solo, sur des morceaux virtuoses : "La soirée dans Grenade", tirée des Estampes de Debussy et Lavapiès, extrait d’Iberia d’Isaac Albeniz. Il présente cette dernière pièce comme la retranscription musicale de l’ambiance d’un quartier populaire de Madrid, et l’œuvre prend alors tout son sens : les voix se mêlent et se recouvrent dans un ensemble cacophonique, qui déborde largement des règles de l’harmonie tonale.
Le récital se termine sous les ovations. Les deux artistes offrent alors en bis la Séguedille de Carmen de Bizet "Sous les remparts de Séville", interprétée avec tout le mordant et le charme insinuant qui sied à la gitane tandis que le piano joue la partie de Don José avec des accords percutants et emportés.