Mozart, une journée particulière à La Seine Musicale
Librement tiré du livre éponyme du musicologue américain H.C. Robbins Landon, Mozart, une journée particulière (celle du 12 novembre 1791, "dernière journée de travail avant qu’il ne s’alite définitivement") s’inscrit dans le genre d’un théâtre musical qui fait dialoguer sur le plateau l’orchestre et les interprètes (chanteurs et comédiens) pour plonger le public dans les légendaires derniers jours de Wolfgang Amadeus Mozart, entre ses difficultés financières, sa maladie et la composition de ses ultimes chefs-d’œuvre.
Le metteur en scène David Lescot fait le choix de collaborer avec le dessinateur de bande dessinée Sagar Forniés et son collaborateur Jordi Gastó en proposant sur scène un grand tulle sur lequel sont projetées les illustrations d’un style naïf et presque enfantin, derrière lequel est placé l’orchestre qui apparaît et disparaît. Ces dessins, mis en mouvement par l’animation vidéo de David Cremnitzer, constituent le riche décor principal du spectacle. En plus du tulle, la scénographie signée par Alwyne de Dardel intègre à la scène la présence du piano, joué par Thomas Enhco dans le rôle de Mozart, mis en avant par rapport au reste de l’orchestre, presque comme un personnage « vivant ». La lumière de Paul Beaurelles est très efficace dans le jeu d’apparition et disparition de l’orchestre et des interprètes, marquant bien les espaces devant et derrière le tulle. Les costumes de Mariane Delayre ainsi que les coiffures et le maquillage de Catherine Saint-Sever s’inscrivent aussi pleinement dans la tradition de la fin du XVIIIème siècle, en apportant un caractère historique véridique.
L’Orchestre dirigé par Laurence Equilbey emporte le public à travers plusieurs extraits de Mozart, Haydn et Bach, ces deux derniers représentant respectivement pour le compositeur salzbourgeois un de ses contemporaines les plus célèbres et un jalon dans son parcours de formation musicale. L’ensemble montre une grande aisance à dialoguer sans arrêt avec les interprètes et il ne se constitue pas seulement comme un accompagnement instrumental de la pièce mais, au contraire, comme un véritable personnage. En effet, il n’est pas simplement chargé de jouer de la musique extra-diégétique (entendue seulement par le public et pas par les personnages sur scène), mais aussi celle diégétique (qui fait partie de l’histoire et notamment dans les scènes où Thomas Enhco joue le Mozart qui compose et interprète dans les salons), en incluant dans cet exercice la participation des musiciens de l’Orchestre qui jouent le rôle des instrumentistes contemporains de Mozart. La note distinctive d’Insula Orchestra étant de jouer sur des instruments d’époque, cela confère au spectacle un caractère encore plus historique par rapport à l’époque ici représentée. La cheffe dirige avec précision et énergie en permettant à l’orchestre de restituer un son toujours équilibré et expressif.
Mozart est incarné par le pianiste Thomas Enhco qui fait preuve d’une grande virtuosité musicale, en solo, avec l’orchestre, en accompagnement avec les chanteurs ainsi que dans les arrangements des célèbres pièces (par exemple le Lacrimosa du Requiem en version jazz). L’absence dans son parcours d’une formation d’acteur se fait toutefois ressentir dans les moments où il se voit confier le véritable jeu dramatique (se traduisant par une certaine froideur dans les dialogues avec les autres personnages, ainsi qu’un manque d’intensité et de profondeur dans les scènes qui devraient être les plus émouvantes).
Le soprano Florie Valiquette, incarnant les personnages d’Ana Maria von Genzinger (une amie de Mozart) et Mlle de Destary (peut-être un personnage fictif), offre un timbre chaud et à la fois perçant, même dans les aigus, sans jamais paraître forcé. Son souffle soutient bien toutes les phrases et son articulation très précise permet d’entendre les paroles des textes en langues étrangères (italien et allemand). Sa présence scénique est remarquée, notamment dans l’interaction avec les autres personnages où elle démontre un jeu assez convaincu (et convaincant).
La fidèle femme de Mozart est interprétée par le mezzo-soprano Antoinette Dennefeld. Si son timbre profond et intense témoigne d’une brillante capacité à rendre émouvants et touchants tous les extraits qui lui sont confiés (en exprimant toute l’angoisse que son personnage ressent), son jeu d’actrice reste en retrait.
Le baryton Mikhail Timoshenko joue le rôle de Galitzin, l’ambassadeur de Russie à Vienne et grand mécène de Mozart : ses interventions musicales ne sont pas très nombreuses en solo, mais plutôt en formation de quatuor avec les trois autres chanteurs. Néanmoins, il restitue un timbre riche et large avec une musicalité rythmée et une ligne vocale bien articulée.
Le ténor Yoann Le Lan (Keess, le messager et l’assistant) se caractérise par une voix extrêmement limpide, propre de sa tessiture et de son timbre plutôt léger. Sa technique agile se combine pleinement avec ses rôles dramaturgiques plutôt discrets, alimentant la crédibilité de son interprétation scénique.
Seul véritable comédien présent sur scène, Jacques Verzier tient les rôles de Swieten (bibliothécaire et collectionneur), Schloissnigg (conseiller de l’empereur) et Schikaneder (chanteur et directeur de Théâtre). Il apporte subitement une forte ardeur au rythme dramatique et musical, en caractérisant dans les moindres détails scéniques et de jeu les personnages interprétés.
Le public salue les interprètes et les artisans de ce spectacle, par de longs applaudissements chaleureux et enthousiastes.